« J’ai entendu le fracas des combats » : à 17 ans, Marie Scott a participé au Débarquement

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Marie Scott, une Britannique de 92 ans, va recevoir la Légion d’honneur le 5 juin prochain en Normandie. Elle se voit récompensée pour le rôle qu’elle a joué en 1944 lors du Débarquement : elle était standardiste à Fort Southwick, centre névralgique des communications pendant la bataille de Normandie, et a transmis les messages entre les commandants et les hommes qui débarquaient sur les plages françaises.

Elle n’avait que 17 ans quand elle a participé à un événement qui a changé le cours de l’histoire. La Britannique Marie Scott, aujourd’hui âgée de 92 ans, a contribué, à son niveau, au bon déroulement de l’opération Overlord, le nom de code pour désigner la bataille de Normandie. C’était il y a 75 ans.

La guerre, Marie l’a connue très jeune : elle grandit dans un quartier pauvre de Londres et arrête l’école dès 13 ans, lorsque la capitale britannique est bombardée, de septembre 1940 à mai 1941. « Son école a été évacuée et les petits Londoniens étaient envoyés à la campagne où ils étaient plus en sécurité. Mais sa mère ne voulait pas que ses deux filles partent. Elle a donc vécu les bombardements, qui l’ont beaucoup marquée », nous raconte Gillian, la fille aînée de Marie, jointe par téléphone.

« Une manière d’ouvrir son monde »

C’est à 17 ans et demi que la jeune fille décide de rejoindre le WRNS (Women’s Royal Naval Service, aussi appelé « Wrens »), la branche féminine de la Royal Navy. Déjà formée au travail de standardiste après un passage par le General Post Office (qui gère le système postal de l’État et les différentes formes de télécommunications), elle ne passe que deux semaines à Mill Hill, le dépôt d’entraînement du WRNS, en mars 1944, avant d’être transférée à Fort Southwick, à Portsmouth. Ce lieu est considéré comme le centre névralgique des communications pendant la bataille de Normandie.

« Rejoindre les Wrens était pour ma mère une manière d’ouvrir son monde, ses possibilités. Elle a rencontré beaucoup de personnes qu’elle n’aurait pas rencontrées autrement. Bien sûr, elle voulait aussi avoir son rôle à jouer dans le déroulement de la guerre », explique Gillian.

Une photographie de Marie Scott, réalisée par la Royal Navy, en 1944. (Photo : DR)

Le standard téléphonique principal, dans les tunnels de Fort Southwick. (Photo : DR)

Marie passe ses journées à Fort Southwick. « Il fallait descendre 350 marches pour arriver dans les tunnels. Elle restait deux jours entiers sous terre : elle travaillait 8 heures par jour, puis avait 24 heures de repos », détaille Gillian.

« Il n’y avait pas de lumière naturelle et l’air n’était pas très pur, nous confie Marie par e-mail. Mais entre nous, il y avait un grand sens de la camaraderie ! »

Quand elle n’était pas de service au standard, la jeune Britannique vivait, avec d’autres « Wrens », dans une jolie maison de campagne. « C’est là qu’elle a goûté sa première nectarine, rapporte sa fille. Son quotidien était une découverte permanente. Par exemple, c’est avec les Wrens qu’elle a entendu parler, pour la première fois, de l’opéra, qui est devenu sa passion. Les Wrens, c’était un grand changement social, avec une mixité qu’elle n’avait jamais connue auparavant. »

Rapidement, Marie est formée à un nouvel équipement, la VHF (Very High Frequency). « C’était un système unidirectionnel : il fallait appuyer sur un interrupteur, un message passait. Lorsque vous aviez terminé, le destinataire pouvait vous renvoyer un message. Mais les messages étaient codés, donc elle n’en connaissait pas la teneur », explique Gillian.

« Elle entendait les tirs »

Le 6 juin 1944, Marie est à son poste VHF. On ne lui dit rien, mais elle comprend qu’il se passe quelque chose d’important : le Débarquement de Normandie est en cours. « En communiquant avec les commandants sur les plages françaises, j’ai entendu le bruit assourdissant et le fracas des combats qui ont suivi. C’était réellement terrifiant », nous raconte-t-elle.

« Quand elle recevait les messages, elle entendait les tirs, les rafales, précise Gillian. C’est comme ça qu’elle a compris ce qu’il se passait. » Ces coups de feu ont particulièrement marqué Marie : « Cela m’a fait comprendre que c’était une guerre et que des hommes mouraient, explique-t-elle en juin 2017 au Legion Magazine, le journal de la Royal British Legion, un organisme de bienfaisance apportant un soutien aux vétérans des Forces armées britanniques. Je savais qu’on se battait, bien sûr, mais je me suis soudain rendu compte de l’horreur que c’était. »

Si elle est consciente d’avoir participé à un événement historique, Marie, démobilisée après la guerre, n’en parle que tardivement à ses deux filles. « Elle nous disait surtout à quel point avoir fait partie des Wrens avait changé sa vie, se rappelle Gillian. Mais elle ne parlait pas trop de son rôle pendant le D-Day. Pour elle, c’était juste un travail. Il n’y avait rien d’héroïque, elle n’était pas au front, n’a pas risqué sa vie. Ce n’est que ces dernières années, parce qu’il y a de moins en moins de vétérans encore en vie et capables de raconter leur histoire, que ça a pris autant d’importance pour elle. »

Un rôle si important que Marie va se voir remettre la plus haute décoration française : recommandée par l’association britannique Taxi Charity for Military Veterans, elle recevra officiellement la Légion d’honneur au Mémorial-Pégasus, en Normandie, le 5 juin prochain.

Marie Scott, 92 ans, arborant déjà la Légion d’honneur qui lui sera officiellement remise le 5 juin prochain en Normandie. (Photo : Taxi Charity)

Quel rôle ont joué les femmes pendant le Débarquement ?

On ne parle pas beaucoup d’elles. Pourtant, les femmes ont joué un rôle essentiel durant la Seconde Guerre mondiale. « Dès 1940, elles ont pris une place importante, explique Christophe Prime, historien et responsable des collections au Mémorial de Caen. Elles étaient nombreuses, car cela permettait de libérer les hommes et de les envoyer au front. »

La plupart d’entre elles, comme Marie Scott, occupait des postes à l’arrière : « Par exemple, il y avait des armées de standardistes dans de grandes centrales téléphoniques. Ces postes étaient importants, rien ne devait être pris à la légère : il suffisait d’une erreur ou d’un oubli, et cela pouvait avoir des conséquences fâcheuses sur la suite des événements. »

« Mais quand on y regarde d’un peu plus près, on se rend compte de la multitude de casquettes que les femmes ont portées », relève Christophe Prime. Et rien que pour le Débarquement de Normandie, les exemples sont nombreux. Dans la préparation de l’événement, l’historien évoque notamment les Wasp (Women Airforce Service Pilots, ou Service de pilotes féminines de l’Armée de l’air américaine) : « Ces femmes pilotes effectuaient des missions de transport et de logistique aux Etats-Unis. Elles ont notamment convoyé, depuis les États-Unis jusqu’en Grande-Bretagne, les avions C-47, qui ont ensuite été utilisés pour larguer les parachutistes en Normandie. »

Quatre pilotes du Women Airforce Service quittant leur appareil au centre de formation AAF, dans l’Ohio. (Photo : Wikimédia / US Air Force / domaine public)

Il parle aussi des Rochambelles, une unité d’ambulancières volontaires créée à l’initiative de l’Américaine Florence Conrad. Intégrées à la 2e division blindée du Général Leclerc, elles ont débarqué en Normandie en août 1944. Leur rôle était d’évacuer les blessés des zones de combat et de leur prodiguer les premiers soins.

Cela ne fait que quelques années que le rôle des femmes pendant le conflit mondial est mis en avant : « Avant, on se concentrait surtout sur les combattants, ceux qui ont fait le coup de feu le 6 juin puis pendant toute la bataille de Normandie, pointe l’historien. Mais progressivement, nous avons pris conscience que ces hommes-là n’auraient pas pu faire leur travail sans ceux et celles de l’arrière. Pour un homme engagé au combat, ce sont quinze personnes derrière qui vont devoir l’équiper, le nourrir, le soigner, passer les ordres… Maintenant, ce sont eux qui ont le droit de parole, dont les femmes. Il est difficile de donner un chiffre précis, mais elles étaient nombreuses, et nous devons leur rendre hommage. »

Pour en savoir plus : le site internet du Mémorial de Caen

Voir aussi : lexposition Grandes femmes dans la guerre, au centre Juno Beach de Courseulles, dans le Calvados, jusqu’au 31 décembre 2020.

(Illustration : junobeach.org)

Source : Ouest-France

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