Intervention au Burkina : « Militaires, humanitaires ou touristes, on ne fait pas de différence selon les otages »

FRANCE-BURKINA-BENIN-HOSTAGE-CEREMONYChristophe PETIT TESSON / POOL / AFP

Tandis qu’Emmanuel Macron a rendu ce mardi 14 mai aux Invalides un hommage national aux deux militaires tués lors de la libération la semaine dernière de deux otages français au Burkina Faso, Michel Goya, colonel en retraite des troupes de marine, spécialiste des questions militaires, analyse les circonstances de cette opération.

En présence d’éléments du Commando Hubert, l’unité spéciale de la Marine basée à Saint-Mandrier (Var) à laquelle Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello appartenaient, Emmanuel Macron a rendu ce mardi 14 mai, au cours d’une cérémonie dans la Cour des Invalides, un hommage national aux deux militaires tués la semaine dernière lors de l’opération de sauvetage de deux otages français au Burkina Faso. Lundi, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour « arrestation, enlèvement, séquestration et détention arbitraire d’otage commis en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste ».

Confiées à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et à la Sous-direction antiterroriste (Sdat), les investigations s’intéresseront par la force des choses au lieu exact où Patrick Picque et Laurent Lassimouillas ont été enlevés dans le parc de la Pendjari, qui s’étend sur 5.000 km2 dans le nord du Bénin, le long de la frontière avec le Burkina Faso. La polémique sur les risques inconsidérés qu’auraient pris les deux hommes a rebondi avec le témoignage auprès de l’AFP, et sous couvert d’anonymat, d’un responsable d’African Parks Network, l’ONG gestionnaire du parc. Selon lui, accompagnés de leur guide Fiacre Gbédji, assassiné par les djihadistes, les deux touristes se seraient rendus tout près d’« une zone frontalière entre le Bénin et le Burkina Faso ». Or, depuis décembre 2018, cette frontière était « formellement déconseillée » sur les cartes que le ministère des Affaires étrangères réalise, et modifie régulièrement, à destination des voyageurs. Et une partie du parc lui-même était classée en orange, soit une zone « déconseillée sauf raison impérative ».

Pour Eric Chevallier, directeur du Centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay, également cité par l’AFP, le « tourisme n’en fait pas partie », ce qui n’empêche pas des milliers de voyageurs d’ignorer cette mise en garde, un peu partout sur tous les continents et le plus souvent, sans conséquence dramatique. Mal informés ou désinformés par les organisateurs de leur safari, les deux touristes français se sont-ils aventurés trop loin, jusqu’à l’extrême bordure de la frontière avec le Burkina Faso ? Leur éventuelle imprudence pourrait alors expliquer le coup de sang de Jean-Yves Le Drian, lequel, affirmant faussement, que le parc était en rouge avant leur enlèvement, n’a guère aidé à clarifier la situation.

L’opération ayant abouti à leur libération dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 mai a pareillement entraîné les habituelles théories complotistes sur une noria de sites supposément spécialisés sur les services de renseignement. Officiellement mobilisés pour libérer les deux otages français, la vingtaine de « commandos » du COS (Commandement des opérations spéciales) que dirige le vice-amiral Laurent Isnard a récupéré deux autres détenus, une Sud-Coréenne et une Américaine. Si la première était présente aux côtés des deux Français quand Emmanuel Macron les a accueillis samedi à Villacoublay, la ressortissante des Etats-Unis a été rapidement exfiltrée par les autorités de son pays. Une procédure habituelle mais qui nourrit le soupçon sur une éventuelle appartenance à un service américain et par contrecoup, la nature de l’intervention qui a coûté la vie à Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello. Spéculation sans objet ou pas ? Marianne a interrogé Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine et spécialiste des conflits.

Que vous inspire l’opération ayant abouti à la libération au Burkina Faso de nos deux compatriotes pris en otages au Bénin, dans laquelle deux de nos militaires ont trouvé la mort ?

Michel GoyaMichel Goya : En dépit de son coût très élevé, elle est un succès et je ne vois pas qu’il y ait lieu de polémiquer dessus. On peut s’interroger sur les risques qu’ont pris ou pas ces deux hommes pris en otages. Certains le font. Je n’ai pas à me prononcer. Que nos forces soient intervenues est conforme à leur mission. On ne peut pas faire de discrimination sur l’identité des otages et les raisons de leur présence dans un secteur à risques. Militaires, professionnels de l’information, humanitaires ou simples touristes, on ne fait pas de différence, tous sont des citoyens français. Et nous devrions nous en féliciter car ce n’est pas le cas dans tous les pays.

Il est aussi de tradition en France de payer des rançons…

Effectivement, par le passé on l’a fait dans de nombreux cas mais la doctrine a changé.

« L’intervention était parfaitement légitime »

Il n’y avait donc pas d’autre option ?

A partir du moment où nous disposions d’informations permettant d’établir une « fenêtre de tir » avant que les otages ne soient transférés vers le Mali, où il aurait été beaucoup plus difficile, sinon impossible, de les récupérer, l’intervention était parfaitement légitime. Comme le chef d’état-major et la ministre de la Défense l’ont expliqué, elle était particulièrement complexe et il n’y a jamais de garantie absolue de pouvoir surprendre totalement les ravisseurs. On sait ce qu’il est advenu lors de la tentative manquée de libération de Denis Allex (agent de la DGSE, otage des shebabs somaliens).

Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello avaient pour consigne de ne pas ouvrir le feu immédiatement.

Oui, pour protéger la vie des otages ! Car il y a des précédents. En 2009, quand d’autres éléments du Commando Hubert sont intervenus pour libérer les otages retenus sur leur voilier par des pirates somaliens, Florent Lemaçon, le skipper et propriétaire du bateau, a été tué lors des échanges de tirs. Ce genre d’expérience a des conséquences sur les procédures d’intervention.

La présence de deux autres otages, dont une Américaine, suscite un flot d’interrogations sur le rôle des Etats-Unis : étaient-ils au courant ? Ont-ils sous-traité l’opération à nos forces ?

Je n’ai aucune information. Que les Américains aient participé d’une manière ou d’une autre à l’opération n’est pas inconcevable. Je pense aussi que les forces burkinabés ont pris leur part dans la localisation des ravisseurs. Sous réserve de révélations particulières, je ne vois pas où est le trouble.

La multiplication des attentats djihadistes au Burkina et au Mali met en tout cas, à nouveau, en évidence les limites de dispositif Barkhane sur l’ensemble de la zone sahélienne..

Ma position sur le sujet n’a pas changé. J’étais favorable à l’opération Serval (intervention française au Mali de janvier 2013 à juillet 2014, ndlr), beaucoup moins à Barkhane. Certes, le dispositif permet d’empêcher les très grosses concentrations de groupes terroristes mais, sur une telle étendue, il est impuissant à contenir les infiltrations et la contagion djihadiste.

« La France est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants »

Au cours de l’hommage national rendu aux deux militaires tués, Emmanuel Macron a déclaré : « La France est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants, quelles que soient les circonstances (…) Ceux qui attaquent un Français doivent savoir que jamais notre pays ne plie ».

Capture d’écran 2019-05-14 à 21.43.53Source : Marianne

 

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