Gilets jaunes blessés : «Des policiers seront renvoyés en correctionnelle»

8083233_2ab0367a-82d9-11e9-ab75-bcdda208a091-1_1000x625Rémy Heitz, le nouveau procureur de la République de Paris, a été nommé en novembre 2018. Frédéric Dugit

Dans une interview exclusive au Parisien – Aujourd’hui en France, le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, dresse le bilan judiciaire des six mois de mobilisation des Gilets jaunes. Il annonce les premiers résultats des enquêtes visant les forces de l’ordre.

Nommé à la tête du parquet de Paris début novembre, Rémy Heitz a d’emblée été happé par la gestion des débordements en marge des rassemblements des Gilets jaunes. Samedi après samedi, la capitale a connu des pics de violence, imputés aux manifestants, mais aussi parfois aux forces de l’ordre. Critiqué pour la timidité présumée de son parquet à poursuivre les auteurs de violences policières, le procureur assure que personne ne bénéficiera d’une quelconque impunité. Et annonce pour la première fois les suites données aux enquêtes visant les forces de l’ordre.

Alors que la France s’apprête à vivre l’Acte 29 des Gilets jaunes, quel bilan judiciaire faites-vous de ces six mois de mobilisation ?

RÉMY HEITZ. Ce mouvement des Gilets jaunes a considérablement mobilisé mon parquet. Certains week-ends, il a fallu réunir jusqu’à 25 magistrats pour faire face à l’afflux de gardes à vue. Plus de 40 audiences supplémentaires ont dû être créées. Ce sont tous les acteurs de la chaîne pénale, dont je veux souligner l’engagement, qui ont dû s’investir dans des conditions inédites : les magistrats, les greffiers, les avocats, les policiers… Sachant que plusieurs dossiers nécessitent des investigations longues, c’est un mouvement qui nous occupera encore pendant de longs mois.

Qu’en est-il concernant les manifestants ?

Depuis le début du mouvement le 17 novembre, nous avons recensé 2 907 gardes à vue. En dépit de ce contentieux de masse, nous avons toujours privilégié une approche personnalisée de chaque situation et eu le souci des victimes. 1 304 gardes à vue ont donné lieu à un classement sans suite, soit 44,8 % des dossiers. 1 357 personnes ont en revanche été déférées, dont 515 jugées en comparution immédiate. Pour les autres, nous avons eu recours à tout le panel des réponses pénales : plaider-coupable, convocation ultérieure… Nous avons aussi requis beaucoup d’interdictions de paraître.

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Il y a quand même un écart important entre le nombre de gardes à vue et les poursuites. Les arrestations n’ont-elles pas été trop massives ?

Non. Une personne est placée en garde à vue par un officier de police judiciaire lorsqu’il existe des indices laissant supposer la commission d’une infraction. C’est pourquoi je réfute totalement le terme entendu parfois de garde à vue préventive. Il s’agit ensuite d’objectiver. Par exemple, quand des manifestants ont été retrouvés en possession de gants coqués, nous avons cherché à vérifier si c’était bien par volonté d’en découdre avec les forces de l’ordre. Si les éléments ne tenaient pas, les magistrats en ont tiré les conséquences. La moitié des classements se sont soldés par des rappels à la loi, preuve que ces gardes à vue n’étaient pas nécessairement dénuées de fondement.

Vous avez été très critiqué sur votre circulaire incitant à faire durer les gardes à vue au maximum, même en cas de classement, pour éviter aux militants de participer aux manifestations…

J’ai mal vécu cette mise en cause, car nous avons toujours agi dans le respect du cadre posé par la loi. Le code de procédure pénale prévoit la possibilité de placer un mis en cause en garde à vue pour « garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser l’infraction ». C’est sur ce fondement que ces consignes ont été données. Je les assume. Je tiens toutefois à souligner, que, contrairement à ce que j’ai pu lire dans certains articles, il n’a jamais été question de maintenir en garde à vue quelqu’un en l’absence d’infraction.

Plusieurs enquêtes se poursuivent…

Oui, 30 dossiers ont été confiés à la police judiciaire. Il s’agit des cas les plus graves et complexes : les agressions de forces de l’ordre, les pillages d’enseignes de luxe ou le saccage de l’Arc de Triomphe… Certains dossiers remontent au 24 novembre : l’attaque des magasins Givenchy et Dior, les violences contre un commandant de police blessé à l’œil… Les investigations sont plus longues, il y a notamment un travail important à mener sur la vidéo.

Et qu’en est-il des dossiers visant les forces de l’ordre ?

Je veux être très clair : il n’y a aucune volonté de ma part d’éluder ces violences ou de les minimiser. À ce jour, 174 enquêtes ont été ouvertes : 171 confiées à l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et 3 à l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). 57 dossiers ont été clôturés et remis à mon parquet qui est en train de les analyser. Je peux d’ores et déjà vous dire que 8 d’entre elles ont justifié l’ouverture d’une information judiciaire, c’est-à-dire que la poursuite des investigations est désormais confiée à des juges d’instruction.

De quels dossiers s’agit-il ?

Je ne veux pas rentrer dans les détails, mais cela concerne par exemple les faits dénoncés par Jérôme Rodrigues le 26 janvier ou bien encore ceux commis dans un restaurant Burger King le 1er décembre. Il s’agit notamment des dossiers où les préjudices sont les plus lourds, avec des infirmités permanentes par exemple, qui datent pour la plupart des premières manifestations de novembre et décembre. Plusieurs dossiers ont trait à l’usage de lanceurs de balle de défense (LBD).

Quelles décisions seront prises sur les autres dossiers ?

Toutes ces procédures vont être analysées avec beaucoup d’attention. Il y aura des classements sans suite. Il y aura aussi des renvois de policiers devant le tribunal correctionnel d’ici la fin de l’année.

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Des poursuites ont-elles déjà été engagées ?

Non. À ce stade, aucun policier ou gendarme n’a été mis en examen. Un policier a été placé en garde à vue dans une affaire où un manifestant a été blessé et hospitalisé, mais l’enquête est toujours en cours.

N’y a-t-il pas une différence de traitement entre les Gilets jaunes massivement renvoyés en comparution immédiate et les forces de l’ordre dont l’examen des cas prend plus de temps ?

Cela tient à la spécificité des violences qui leur sont reprochées et à la complexité des investigations. Il faut resituer les événements dans leur contexte. Depuis six mois, les forces de l’ordre effectuent des missions extrêmement difficiles. Elles ont subi de violentes agressions, mais ont su garder leur sang-froid. La République leur doit une reconnaissance toute particulière. Il faut aussi rappeler que les forces de l’ordre peuvent avoir un recours légitime à la force, ce qui n’est pas le cas des manifestants venus pour commettre des violences ou des dégradations. La question est alors de savoir si policiers et gendarmes ont pu parfois faire un usage illégitime ou disproportionné de la force. Cela prend du temps : il faut analyser des heures de vidéos, recueillir des témoignages, identifier les auteurs et évaluer le préjudice des victimes… Mais la justice passera dans ces affaires, comme dans toutes les autres.

Utiliseriez-vous le terme de violences policières ?

Je parlerais plutôt de violences illégitimes, car c’est bien la question de la proportionnalité qui est posée.

L’IGPN, un service de police, est-elle légitime pour enquêter sur ses collègues ?

J’ai une totale confiance dans l’IGPN. Les enquêteurs de ce service sont réputés pour leur rigueur et leur impartialité.

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Source : Le Parisien

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Via: LCI

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