Gendarmerie : une garde à vue de 96 heures entraînera-t-elle 15 jours de repos ?

Jusqu'ici cette directive ne posait pas à la gendarmerie aucune problème dans la mesure où elle ne l'appliquait pas.
Jusqu’ici cette directive ne posait pas à la gendarmerie aucune problème dans la mesure où elle ne l’appliquait pas. (Crédits : reuters.com)
Si la gendarmerie appliquait une directive européenne sur le temps de travail, elle serait contrainte d’accorder à un gendarme quinze jours de repos après avoir assuré une garde à vue de 96 heures.
Pour la gendarmerie, appliquer la directive européenne 2003/88 sur le temps de travail est une gageure dont elle se serait bien passée dans une période où la menace terroriste est à haut niveau. Mais comme l’a déploré devant les députés lors d’une audition le patron de la gendarmerie, le général Richard Lizurey « nous y sommes contraints par l’obligation qui nous incombe de transposer la directive européenne sur le temps de travail ». Et de préciser que « nous sommes actuellement en phase de pré-contentieux, l’Union européenne nous ayant signifié que nous ne respections pas la directive ».

Mais cela ne va pas sans mal pour le directeur général de la gendarmerie nationale. Il en résulte par ailleurs une baisse de la capacité opérationnelle. « Nous évaluons la dégradation à 3 à 5 % de temps de service en moins. Ce n’est pas grand-chose mais, pour 100.000 hommes, cela représente tout de même 3.000 à 5.000 équivalents temps plein (ETP) », détaille le général Richard Lizurey.

« Cette directive est un peu à contre-courant au moment où nous devons tous nous mobiliser contre le terrorisme », estime-t-il. « Nous allons nous y plier – nous n’avons pas le choix -, mais ce ne sera pas sans quelques difficultés ».

Pourquoi la gendarmerie doit-elle appliquer cette directive?

Jusqu’ici cette directive ne posait pas à la gendarmerie aucune problème dans la mesure où elle ne l’appliquait pas. « Il se trouve qu’une instance a été introduite par l’un de nos personnels, qui a appelé l’attention de l’Union européenne sur la non-transposition de la directive en droit français, et nous sommes donc en phase de pré-contentieux », regrette le directeur général de la gendarmerie nationale.

En outre, la gendarmerie a dû commencer à mettre en place les onze heures de repos physiologique journalier de façon urgente et surtout sans attendre la transposition de la directive. Car, parallèlement à la situation de pré-contentieux avec la Cour européenne, une association a introduit en janvier 2016 un recours devant le Conseil d’État attaquant les dispositions de la gendarmerie en matière de temps de travail. La gendarmerie a demandé au Conseil d’État s’il était possible d’attendre la transposition définitive, en 2017, pour régler le problème mais la réponse a été sans appel.

Le Conseil d’Etat « nous a expliqué qu’il serait obligé de nous condamner si nous maintenions notre texte, ce qui nous a contraints, en mars 2016, à retirer l’instruction (notre texte, ndlr) et à engager un travail de concertation avec le CFMG (Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, une instance de concertation, ndlr) pour rédiger un nouveau texte, lequel est entré en vigueur le 1er septembre ».

Des dispositions transitoires

Rattachée désormais au ministère de l’Intérieur, la gendarmerie a tant bien que mal entrepris la transposition en lien avec le ministère de la Défense dans le cadre d’une approche statutaire. Elle applique d’ailleurs déjà cette mesure dans le cadre de dispositions transitoires. Ainsi, depuis le 1er septembre, elle applique dans toutes les unités le tarif « de onze heures de repos physiologique journalier par tranche de vingt-quatre heures », précise le patron de la gendarmerie. « C’est, je ne vous le cache pas, d’une difficulté sans nom », se plaint-il devant les députés.

Ainsi, « on repart de zéro lorsque le temps de repos est interrompu, sauf au bout de neuf heures de repos, seuil qui requiert un nouveau calcul et un report ; de telles complexités administratives ne facilitent pas la tâche des commandants de brigade. Mais nous n’avons pas le choix », explique-t-il.

Les premiers retours des unités confirment la dégradation du service, a assuré le patron de la gendarmerie. « Nous ferons un premier RETEX (retour d’expérience, ndlr) avec les personnels fin novembre et un deuxième début 2017 afin de voir comment aménager ces dispositions, mais la mesure est en tout état de cause définitive ».

La gendarmerie remplit également d’autres exigences de la directive. « Alors qu’elle prévoit 24  jours de vacances par an, nous sommes à 45 jours de permission, détaille le patron de la gendarmerie. Alors qu’elle prévoit 24 heures de repos par semaine, nous sommes à 48 heures ». En revanche, elle n’est pas encore en conformité avec cette directive sur les onze heures de repos physiologique journalier et les quarante-huit heures de travail maximal hebdomadaire.

Application de la directive

La gendarmerie travaille actuellement à la transposition définitive de la directive, en appliquant notamment les 48 heures maximales de travail hebdomadaire par agent. « Cela nous pose un problème : cette mesure signifie que, quand on assure une garde à vue de 96 heures, on a quinze jours de repos ensuite ! Ce n’est pas ainsi que nous fonctionnons aujourd’hui. Nous allons donc devoir trouver un système adapté. Nous en discutons avec l’Union européenne« , souligne le directeur nationale de la gendarmerie nationale.

« Ce nouveau texte complexifie la manœuvre car chaque gendarme doit désormais avoir onze heures de repos journalier par tranche de vingt-quatre heures. À défaut, il a un droit à un temps de récupération, appelé repos physiologique compensateur, qui donne lieu à des calculs assez complexes. Si un gendarme est rappelé au bout de huit heures de repos, on lui doit les onze heures précédentes. Si, en revanche, il a passé la barre des neuf heures, on lui calcule la différence entre onze heures et le moment où il a été rappelé. Cette comptabilité se fait par le biais du logiciel Pulsar GD ».

Comment faire alors qu’une brigade classique assure toutes les missions (police de la route, police judiciaire, police administrative…), ainsi que toutes les charges administratives liées au fonctionnement? « L’idée serait de retirer toutes ces missions, ou une grande partie, à certaines brigades pour leur donner du temps, explique le général Richard Lizurey. Tout ce qui consomme du temps à la caserne a vocation soit à ne plus être fait soit à être fait par quelqu’un d’autre, une unité spécialisée comme une unité de recherche pour la PJ, une unité motorisée pour la sécurité routière… »

L’objectif est que les gendarmes de ces unités n’aient d’autre mission que le contact avec la population et les élus, sans travail de nuit qui implique des récupérations ni déplacements au chef-lieu de communauté qui prennent du temps. « Nous expérimenterons le concept ici et là pour voir si c’est, tout d’abord, réalisable et, ensuite, efficace », fait-il valoir.

Et la gendarmerie mobile?

L’instruction provisoire sur le temps de travail s’applique également à la gendarmerie mobile. La directive européenne précise que, lorsque les personnels ne sont pas employés mais en alerte au cantonnement pendant onze heures, le contrat est rempli. Paradoxalement, donc, la gendarmerie mobile respecte davantage la directive – à 95 % – que ne le fait la gendarmerie départementale. Les 5 % restants sont liés à des contextes particuliers de violences ou d’activité importante : les récupérations sont alors cumulées et données à la fin.

Il existe un cas particulier pour les déplacements en outre-mer puisque le texte considère que dans l’avion les personnels ne sont pas en repos physiologique mais en temps de travail ; aussi, quand ils se rendent en Nouvelle-Calédonie, par exemple, ils ont droit à une journée de repos à leur arrivée, de même qu’à leur retour.

Source : La Tribune

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