Fausses procurations et suspicions d’achat de voix : l’enquête se poursuit sur les conditions d’élection du maire d’Ajaccio

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Dans un arrêt rendu le 13 décembre dernier, la chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Bastia a ordonné la poursuite de l’enquête portant sur les conditions de l’élection en 2014 de l’actuel maire d’Ajaccio, Laurent Marcangeli. Tout portait à croire que le magistrat en charge de l’affaire s’orientait vers une décision de non-lieu.

Il y a des campagnes municipales plus sereines que d’autres. Celle d’Ajaccio, en Corse, risque d’être particulièrement tendue. Selon les informations de Marianne, la chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Bastia a ordonné au juge d’instruction du Tribunal de grande Instance d’Ajaccio, dans un arrêt rendu le 13 décembre dernier, de poursuivre son enquête sur les conditions dans lesquelles l’actuel maire de la cité impériale, Laurent Marcangeli, a été élu en 2014. Les faits incriminés sont graves, « faux administratif et usage de faux, manœuvre frauduleuse tendant à l’exercice irrégulier d’un vote par procuration, obtention de suffrage ou d’abstention de vote à l’aide de don ou promesse », entre autres.

De quoi mettre le candidat sortant ex-Les Républicains, Laurent Marcangeli, sous pression. Et d’interroger sur la volonté du magistrat instructeur d’Ajaccio en charge de l’enquête d’aller au bout de l’affaire… Le 11 avril 2018, celui-ci mettait fin à l’information judiciaire et rejetait les demandes d’actes complémentaires réclamées par les avocats de Simon Renucci, le candidat battu en 2014 et partie civile, tendant à obtenir de nouvelles auditions. « Le juge s’apprêtait à rendre une décision de non-lieu. Personne n’avait été mis en examen ou même sous le statut de témoin assisté », note un observateur de la vie judiciaire ajaccienne. La chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Bastia en a décidé autrement. Elle a également fait droit aux demandes de nouvelles auditions de la partie civile.

Des procurations suspectes

Retour en 2014. La ville d’Ajaccio voit s’affronter Simon Renucci, maire socialiste sortant, au jeune candidat de la droite, Laurent Marcangeli lors des élections municipales. Loin d’être un inconnu, il est alors conseiller général de la Corse-du-Sud du canton d’Ajaccio, président de la Commission des affaires sociales du Conseil Général de Corse du Sud et député. À l’issu du second tour, la liste emmenée par le jeune loup de la droite remporte la mairie avec 281 voix d’avance. Une victoire ric-rac. Mais une victoire quand même. Sauf qu’un fonctionnaire territorial en charge du bureau des élections constate qu’entre les deux tours, le chiffre des procurations a anormalement explosé. De quoi mettre la puce à l’oreille au maire sortant, qui saisit immédiatement le tribunal administratif.

Après enquête, les juges décident l’annulation de l’élection en raison du nombre important de procurations litigieuses ayant « altéré la sincérité du scrutin » et du faible écart entre les deux listes. En janvier 2015, une nouvelle élection est organisée, Laurent Marcangeli obtient cette fois 59,26 % des voix contre 40,74 % pour son adversaire. Sauf que parallèlement à la décision administrative, le procureur de la République décide d’ouvrir une enquête préliminaire pour faire toute la lumière sur la première élection invalidée. Enquête durant laquelle, comme le rappelle l’ordonnance de la chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Bastia dans des termes très feutrés, « étaient mis en évidence plusieurs sujets d’interrogation liés aux procurations ».

Les dysfonctionnements du commissariat d’Ajaccio épinglés

Les enquêteurs découvrent que sur les 261 procurations épinglées par la partie civile, 45 d’entres elles posent problème. « Six procurations apparaissent entièrement fausses et un doute sérieux planait sur une septième puisqu’il était établi que le mandant n’était pas informé de l’établissement de sa procuration (…) » » Dix-neuf procurations n’avaient pas été signées par les mandants » « Dix-neuf procurations pour lesquelles le mandant avait signé mais ne s’était pas déplacé au commissariat », relatent les juges d’appel. Surtout, l’analyse de lesdites procurations fait apparaître une constante troublante : « Au total, sur ces quarante-cinq procurations litigieuses, les permanences électorales étaient citées-vingt neuf fois, vingt-six fois la permanence de Laurent Marcangeli et trois fois la permanence de Simon Renucci ».

L’enquête préliminaire met « clairement en évidence un dysfonctionnement dans le processus de validation des procurations au commissariat d’Ajaccio ».

Mais les enquêteurs ne sont pas au bout de leurs surprises. Le code électoral établit un formalisme très strict pour qu’une procuration soit valable, formalisme censé être vérifié par les autorités compétentes. Toutefois, l’enquête préliminaire met « clairement en évidence un dysfonctionnement dans le processus de validation des procurations au commissariat d’Ajaccio », notamment qu’un « officier de police judiciaire (…) signait et tamponnait hors la présence du mandant, parfois en liasse entière. L’identité du mandant pouvait ainsi dans un certain nombre de cas ne pas être vérifiée par l’officier de police judiciaire lui-même ». Gênant. Autant d’éléments poussant le procureur de la République à confier cette enquête à un juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en octobre 2014.

Les attributions d’aides sociales durant la période préélectorale en cause

Information durant laquelle plusieurs nouveaux éléments troublants apparaissent. Notamment des corrélations entre les noms liés aux procurations litigieuses et des aides sociales fournies par le conseil général de Corse du Sud. Certaines personnes figurant sur des procurations ont ainsi bénéficié durant la période préélectorale « entre deux et trois aides (comprises entre 200 et 300 euros chacune) ». Autre découverte, en mars 2014, les secours sur fonds départementaux (SFD) « marquaient une augmentation de 264 bénéficiaires ».

Aux enquêteurs les services d’un conseil général, il s’agit d’un simple jeu de vase communicant. Pour eux, cette augmentation s’expliquerait par une application stricte de la prime de Noël 2013 – réduisant ainsi le nombre de bénéficiaires – ce qui aurait fait mécaniquement augmenter les demandes d’autres aides… Quant à la découverte de bénéficiaires de la SFD ayant des ressources jugées suffisantes, ils défendent qu’ »il n’y avait pas de condition de ressources ». Une générosité assez rare pour être soulignée. Surtout que le directeur général adjoint chargé de la solidarité et de la santé à cette époque rejoindra les équipes du jeune maire fraichement élu en tant que directeur général des services de la ville d’Ajaccio… De quoi laisser la place à tous les fantasmes.

UNE instruction bien timide

Mais étonnamment, le magistrat instructeur ne cherchera pas à infirmer ou confirmer ces déclarations, ce qui aurait pourtant permis de faire toute la lumière sur cette zone d’ombre. Le procureur de la République du TGI d’Ajaccio devra lui-même prendre la plume dans un réquisitoire supplétif, suite à la décision du juge d’instruction de mettre fin à l’enquête, pour lui demander de vérifier lesdites allégations « sur l’absence de conditions de ressources à l’octroi d’aides sociales » ainsi que « le rôle qui aurait pu être joué » par l’ancien directeur général adjoint chargé de la solidarité et de la santé dans ce mécanisme d’attribution d’aides… Les auditions des assistantes sociales pour déterminer si elles avaient reçu des consignes spéciales pour faciliter l’attribution d’aides auraient pu permettre de lever également le doute. Mais comme le note un peu circonspect les juges d’appel, « les enquêteurs se heurtaient à l’inertie des services du Conseil général de Corse-du-Sud (puis de la collectivité unique) qui ne répondaient pas aux réquisitions tendant à obtenir la liste des fonctionnaires concernés », refus n’entrainant aucune conséquence particulière.

La décision de la chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Bastia risque de venir perturber la prochaine campagne municipale, Laurent Marcangeli ayant annoncé en février dernier sa volonté de se représenter. Au cabinet du maire, on se dit très « surpris. Ça fait au moins deux ans qu’on n’a plus eu de nouvelles. » Maître Paul Sollacaro, conseil du maire d’Ajaccio sur ce dossier, précise que « depuis le début de l’enquête, Laurent Marcangeli a exprimé à plusieurs reprises sa disponibilité pour être entendu par les enquêteurs ou les magistrats. Mais il n’a jamais été entendu. Comme personne n’a été mis en examen ou placé sous le statut de témoin assisté, personne ne sait rien. Pour Laurent Marcangeli, ce dossier est classé depuis longtemps. D’où notre surprise de cette nouvelle à l’approche des municipales… » Quant à Simon Renucci, retiré de la vie politique depuis sa défaite, ses conseils n’ont pas souhaité s’exprimer « pour ne pas interférer dans l’enquête en cours ».

Source : Marianne

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