Diffuser une BD porno contre son adversaire, l’erreur première de Castaner

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« Sur la couverture pastichant le Canard enchaîné sont dépeints, animalisés, la candidate RPR Marie-Josée Roig et le sénateur Alain Dufaut, en train de s’accoupler. » – AFP
On reproche au ministre de l’Intérieur de multiplier les bévues. L’une d’entre elles, sans doute la première de sa carrière politique, n’est que peu relatée. C’était en 1995, à Avignon.

Castaner, le roi de la bourde, de la boulette, de la bévue… Pourtant, il en est un, d’écart, qui n’est que rarement évoqué dans les portraits qui lui sont consacrés. Comme si les confrères avaient des pudeurs de gazelle. D’ailleurs, quand ils osent en parler, cet épisode est renvoyé au rang des « erreurs de jeunesse ».

L’histoire se déroule le 9 juin 1995 au matin dans un Avignon en pleine campagne municipale, où les habitants se réveillent partagés entre surprise, rires et dégout : 35 000 tracts sous forme d’une bande dessinée, titrée « La dinde enchaînée » et « Érections municipales », ont inondé les boîtes aux lettres entre 1h30 et 7h00 du matin. Sur la couverture pastichant le célèbre Canard enchaîné sont dépeints, animalisés, la candidate RPR Marie-Josée Roig et le sénateur Alain Dufaut, en train de s’accoupler. Lui est grimé en vautour, elle en dinde, enchaînée et extatique, tous deux bavant de plaisir. Le scénario est simple : Alain Dufaut (alias « Duf-duf ») manque de courage pour prendre la mairie lui-même et fait appel au représentant du « F-Haine » local, chauve et bardé d’un brassard noir, qui lui fait rencontrer Marie Josée-Roig. Celle-ci est croquée déambulant dans une voiture noire dont le pare-chocs a laissé place à une bouche aux lèvres bombées façon imagerie coloniale. Et au cas où tout le monde n’aurait pas saisi la finesse de la blague, un personnage la décrit, dans un parler petit nègre, comme arrivant au volant de sa « twingo noi’e »…

Reste à trouver la personne idoine pour la diffusion des 35 000 tracts. Ce sera Christophe Castaner.

Suivent une dizaine de pages crayonnées avec tant de précision qu’on apprendra plus tard que les dessinateurs se sont appuyés sur de véritables portraits des deux protagonistes. Le scénario, lui, pêche par manque de vraisemblance. Trois anciens membres du RPR dont Alain Dufaut lui-même l’affirment aujourd’hui à Marianne : « Marie-Josée Roig est une femme respectable, très éloignée des portraits diffamatoires de l’époque. » Contactée par Marianne, la principale intéressée se souvient bien entendu de l’affaire : « J’ai été très interloquée en découvrant ce tract, mais ayant une bonne connaissance de la population avignonnaise, j’étais aussi persuadée que cela ne prendrait pas, et ce fut largement le cas. »

Voler au secours du maire PS Guy Ravier

Si le tract n’empêchera pas Marie-Josée Roig d’être élue à Avignon, où elle restera jusqu’en 2014, la justice se saisit rapidement des plaintes déposées et s’intéresse à cinq hommes, ayant un intérêt commun : voler au secours du maire socialiste Guy Ravier. Parmi eux : Christophe Castaner, alors adjoint au directeur général des services de la mairie, entre les mains duquel le tract a transité. Il a 29 ans, c’est son premier poste important. Le petit groupe se dit que leur maire dévisse et que, plutôt que de faire seulement campagne pour Guy Ravier, il est temps aussi de mener « campagne contre ». Une rencontre de trois personnes, Michel Becker, Alain Moretti et Thomas Pierre, jettera les bases du tract. Un quatrième, Michel Coviaux, sera le dessinateur, tandis qu’Alain Moretti se chargera du scénario. Reste maintenant à trouver la personne idoine pour faciliter la diffusion des quelques 35 000 tracts. Ce sera Christophe Castaner.

Les juges avignonnais concluront qu’il s’agit « non pas d’une brochure satirique » mais bien d’« une bande dessinée véritablement pornographique »

Ce dernier a évoqué furtivement l’affaire en 2018 au JDD – dans un portrait pour le moins complaisant – et sa version des faits est la suivante : « Un militant m’appelle vers minuit. Il me réveille et me dit : “Casta, je crois qu’on a fait une connerie.” Je n’avais pas vu la BD. Je me rhabille, je débarque et je dis stop ! » A l’époque des faits, il sert la même version à la justice, reconnait avoir « pêché », tout en invoquant auprès du tribunal une « inattention pendant une durée de vingt minutes ». Pas convaincant pour les juges du TGI d’Avignon, qui trancheront le 10 octobre 1996 : « Christophe Castaner a été chargé de la distribution des brochures tirées à 35 000 exemplaires pour le prix de plus de 50 000 francs ; il est aussi peu pensable qu’après avoir permis cette diffusion, il en eut arrêté celle-ci seulement vingt minutes après, en raison du nombre d’exemplaires répandus dans la ville d’Avignon. » Avant de conclure : « M. Castaner ne peut bénéficier d’une équivoque quelconque car lui a eu en sa possession l’ouvrage en son entier et en couleur, et c’est par son intermédiaire que ces brochures ont été distribuées ». Pour la justice, il apparaît donc clairement qu’on ne peut diffuser 35 000 tracts et en même temps « pêcher » par « inattention », au même titre que les juges avignonnais établiront qu’il s’agit « non pas d’une brochure satirique » mais bien d’« une bande dessinée véritablement pornographique ». « Christophe Castaner réfutait des réalités avec un aplomb hors du commun », nous confie un ancien Avignonnais ayant suivi le dossier de près.

Influencer des élections municipales hier… et les organiser aujourd’hui

Christophe Castaner sera finalement reconnu coupable d’avoir organisé la diffusion sur la voie publique des tracts, et condamné pour « diffamations et injures publiques envers particulier, fonctionnaire ou citoyen chargé d’un service public par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel », à payer 50 000 francs d’amende. Auxquels s’ajoutent 51 000 francs de dommages et intérêts à régler avec ses camarades éditeurs improvisés de bande dessinée à l’attention d’Alain Dufaut et Marie-Josée Roig.

A l’époque, j’ai été ennuyée par cette histoire pour mes enfants et pour ma mère encore vivante.

Marie-Josée Roig,ancienne maire d’Avignon

Cette affaire n’a en rien arrêté Christophe Castaner : au contraire, cette même année 1995, il lance sa carrière politique à Paris. Il devient directeur de cabinet de Tony Dreyfus, maire du 10e arrondissement, et conseiller technique de Catherine Trautmann, dont il deviendra chef de cabinet par la suite, avant d’en faire de même auprès de Michel Sapin.

 

« A l’époque, j’ai été ennuyée par cette histoire pour mes enfants et pour ma mère encore vivante », se souvient aujourd’hui Marie-Josée Roig. Et Christophe Castaner ? Il a, lui, la charge, en tant que ministre de l’Intérieur, d’organiser les élections municipales de 2020. Espérons qu’il y mettra plus de rigueur.

Source : Marianne

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