Comment s’explique le succès du général Pierre de Villiers ?

L’ancien chef d’état-major des armées, qui a démissionné en juillet 2017, a publié deux ouvrages, « Servir » et « Qu’est-ce qu’un chef ? », devenus des best-sellers. Certains « gilets jaunes » le voient comme l’homme providentiel.

16810647L’ancien chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, le 7 décembre 2018, à Paris, lors de la 5e édition du Sommet de l’économie, organisé par « Challenges ».  (MAXPPP)

Alors que les « gilets jaunes » poursuivent leur mobilisation, certains d’entre eux estiment qu’un homme pourrait incarner la solution pour sortir de la crise. Il s’agit du général Pierre de Villiers, 62 ans, chef d’état-major des armées entre 2014 et 2017. « Je [le] verrais bien à la tête du gouvernement », a déclaré, début décembre, Christophe Chalençon. « Il a servi la France de gauche ou de droite. Aujourd’hui, c’est un homme de poigne qu’il faut », a-t-il ajouté au micro d’Europe 1.

A l’image de cette figure du mouvement dans le Vaucluse, d’autres « gilets jaunes » souhaitent que le général de Villiers occupe un rôle politique de premier plan. C’est le cas de Richard, 47 ans. Ce cariste sans emploi à Saint-Quentin (Aisne) ne connaît Pierre de Villiers que depuis sa démission, en juillet 2017, à la suite de son désaccord avec Emmanuel Macron au sujet du budget de la Défense. Il n’a pas encore lu ses livres mais a écouté ses nombreuses interviews et commente les publications du général sur Facebook. « On a tout essayé en France, la gauche, la droite, le milieu, et on est à deux doigts de basculer dans le chaos », juge-t-il.

Pourquoi ne pas tenter quelqu’un comme le général de Villiers qui a beaucoup d’expérience sur le contact humain, sur l’autorité ?

Richard, 47 ans et « gilet jaune » franceinfo

« Il a mené suffisamment d’hommes pour pouvoir mener un gouvernement« , considère auprès de franceinfo Nathalie, 49 ans. Employée dans la fonction hospitalière et habitante de la région du Mans (Sarthe), elle a assisté à une conférence du général de Villiers, et elle imagine « tout à fait » l’ancien chef d’état-major s’installer à l’Elysée.

Christophe Chalençon tient à préciser à franceinfo qu’il exclut qu’une telle éventualité découle d’un conflit armé. « On peut lui laisser son siège et son avion, à Emmanuel Macron », qui n’aurait plus dans son scénario qu’un rôle honorifique. Il ne veut pas non plus la dissolution de l’Assemblée nationale. Il perçoit le général de Villiers comme un « organisateur de gouvernement de transition » qui ne serait en place que pour « quelques mois, afin de changer de cap ».

Les « gilets jaunes » ne sont pas les seuls à espérer que le général de Villiers s’engage en politique. Un étudiant en fac d’histoire, qui se fait appeler Jean Dorsenne, y croit dur comme fer. Il a créé la page Facebook « De Villiers au Pouvoir », suivie seulement par 21 personnes au 15 janvier, et lancé fin décembre une pétition « Pour que de Villiers soit au pouvoir ! » sur Change.org, qui n’a récolté que 184 signatures en trois semaines. Mais lui y croit : « Cette pétition n’a rien d’officiel et consiste juste à encourager ce candidat à se lancer dans une course vers l’Elysée. »

Plus de 250 000 exemplaires vendus

Le général de Villiers suscite un engouement qui dépasse largement les « gilets jaunes » et le cadre de son ancienne fonction, comme le montre son succès en librairie. Selon Fayard, son éditeur, 150 000 exemplaires de Servir ont été vendus et 100 000 exemplaires de Qu’est-ce qu’un chef ? ont été écoulés depuis sa parution le 14 novembre 2018. Sans compter qu’il attire plusieurs centaines de personnes à chacune de ses séances de dédicaces et de ses conférences.

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Lors de ces rencontres, « le général de Villiers a ressenti une crise profonde de l’autorité et un intérêt très vif pour les enseignements que son expérience de chef militaire pouvait offrir à la société civile », remarque auprès de franceinfo Sophie de Closets, directrice des éditions Fayard.

Pour Hervé Drévillon, professeur d’histoire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui a codirigé l’ouvrage Histoire militaire de la France, ce succès n’est pas si surprenant. Il existe « une certaine tradition française qui consiste à faire des personnalités militaires des personnalités politiques. En France, les changements politiques ont souvent été associés à des événements militaires, expose le spécialiste auprès de franceinfo. La Première République de 1792 est proclamée au lendemain de la victoire militaire à Valmy. En 1870, c’est la défaite de Sedan qui provoque la proclamation de la IIIe République. » Et de rappeler : « En 1889, pour le centenaire de la Révolution, des généraux de la Révolution sont panthéonisés pour bien marquer le lien entre l’idée républicaine et l’armée. »

Un « fantasme » et une « méconnaissance »

Une figure militaire au pouvoir ? Un « débat anachronique », selon l’historien Serge Berstein, car « l’armée a disparu du champ politique » en France. Du côté des militaires, certains trouvent même « saugrenue » l’idée de faire de l’ancien officier un candidat à des responsabilités politiques. « Il n’y a plus de service militaire. L’armée est sortie du paysage [de la société] et de la vie des gens », pointe un haut gradé auprès de franceinfo. Pour lui, si « les gens fantasment sur un prétendu recours à un militaire en tant qu’alternative politique« , cela « vient probablement de [leur] méconnaissance de l’armée, qu’ils conçoivent de moins en moins bien ».

Ce haut gradé évoque une conversation échangée avec des frères d’armes sur le sujet. « Quelques-uns m’ont dit : ‘Un militaire n’est pas en mesure d’administrer un pays. On n’est pas fait pour ça’. » Selon lui, un officier peut avoir « dans certains cas » du « leadership » et un « certain charisme », ce qui peut « susciter de l’adhésion ». « Mais cela ne fait pas de lui un administrateur, ni un politique, ni un gestionnaire et encore moins un financier« , abonde ce gradé.

Le dernier militaire qui a été président était un homme très particulier. Le général de Gaulle n’était pas n’importe quel militaire, il avait un profil et une légitimité tout à fait particuliers, avec derrière lui un parcours historique qui le prédisposait à assumer cette fonction.

Un haut gradé à france-info

« Un effet conjoncturel »

Si Pierre de Villiers bénéficie d’une popularité grandissante, cela est dû à un « effet conjoncturel », estime un militaire haut gradé. Un point de vue que partage l’historien Serge Berstein : « Avant son désaccord avec Emmanuel Macron, et sa démission, la société civile ignorait l’existence du général de Villiers. » Pour ce professeur émérite à Sciences Po et spécialiste de l’histoire politique du XXe siècle, l’ancien officier émerge en raison d’un « vide politique ». « En dehors des extrêmes, de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen, l’opposition manque de leaders », observe-t-il.

L’admiration pour la personne du général de Villiers vient peut-être du fait que l’on a personne d’autre à se mettre sous la dent.

Serge Berstein, historien, spécialiste de la politique du XXe siècle à france-info

Mais les gens ne savent pas vraiment qui est le général de Villiers. Ils expriment un besoin de charisme et d’autorité légitime« , avance le haut gradé. Se tourner vers un militaire est « le symptôme d’un pays en difficulté à la recherche d’une figure d’autorité qui ne soit pas autoritaire », commente auprès de franceinfo Pierre Servent, spécialiste des questions militaires et auteur du livre Les Présidents et la guerre.

« Je n’ai pas demandé à me mettre en avant »

Mais le général de Villiers est-il vraiment intéressé par une carrière politique ? Sollicité à de très nombreuses reprises par franceinfo, l’ancien chef d’état-major des armées n’a pas été en mesure de s’exprimer, prétextant un agenda chargé. Il faut alors remonter aux nombreuses interviews qu’il a accordées en décembre pour trouver des réponses. « Je suis un homme public par effraction, je n’ai pas demandé à me mettre en avant », a sobrement déclaré le général de Villiers sur le plateau de « C à vous », sur France 5, le 6 décembre. « Je ne ferai pas de politique. Je n’en ai ni l’envie, ni la volonté », a-t-il également assuré dans les colonnes de Ouest-France.

« Il a toujours marqué un grand respect pour la fonction politique mais il ne veut pas embrasser une carrière politique, il ne pense pas avoir le charisme nécessaire pour, confirme Pierre Servent, qui connaît bien le général Pierre de Villiers. Il est assez vacciné avec l’exemple de son frère [Philippe de Villiers]. » Reste qu’il apparaît comme l’homme providentiel pour certains. « Je pense qu’il va se lancer en politique parce qu’il aime son pays, il aime la France, il aime la République, se prend à rêver Richard, « gilet jaune » dans l’Aisne. Même si ça ne lui plaît pas à 100%, il se dira ‘Tant pis, j’y vais.' »

Source : France TV Info

 

 

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