Comment la police et la gendarmerie utilisent Facebook et Twitter

Les forces de l’ordre doivent-elles jouer sur l’humour, comme le fait la police espagnole ? Plutôt Facebook ou Twitter ? Décryptage des différentes stratégies

 

C’est par ce tweet énigmatique – repartagé tout de même, excusez du peu, 27 000 fois- que la police espagnole a célébré le 6 septembre le cap du million d’abonnés sur Twitter. Ce qui fait d’elle la police la plus suivie au monde, devançant même le FBI.

La clé de cette popularité ? Un ton décalé et humoristique qui plaît aux internautes, même s’il conduit parfois à des dérapages. Comme lorsque que dans un tweet, début janvier, la « policia nacional » répondant à une revue culturelle espagnole, distillait ses conseils pour cacher la drogue avant un voyage dans l’Union européenne (1). Un message par la suite supprimé, pour lequel la police s’est excusée mais qui n’a pas entravé la ligne éditoriale qui fait son succès. Car les résultats sont probants pour la police espagnole.

Avec son compte twitter, elle a atteint « un pouvoir d’influence qu’elle n’avait jamais eu, touché une nouvelle tranche de population et est parvenue à se donner une nouvelle image », décryptait l’année dernière à l’AFP Enrique Dans, spécialiste espagnol des techniques d’information. « Cela conduit même les gens à collaborer, car ils se sentent plus proche de la police », expliquait-il. Ainsi, selon Le Mouv‘, « pas moins de 500 délinquants ont été arrêtés grâce aux témoignages des internautes ».

« En France, ça ne passerait pas »

Le modèle est-il transposable en France ? Jérôme Bonet, chef du service d’information et communication dans la police nationale, a passé quelques jours avec l’équipe espagnole chargée d’animer les réseaux sociaux. Pour lui, « ce n’est pas comparable ». Par exemple, explique-t-il, « la police espagnole fait appel à la population pour dénoncer  des narcotrafiquants. Une sorte de délation qui, chez nous, ne passerait pas », affirme Jérôme Bonet. S’il reconnaît qu’ils « manient l’humour avec talent », il estime que les policiers espagnols « ont un droit à l’erreur supérieur au nôtre ».

L’humour, c’est pourtant, aussi, ce qui fait le succès du compte Twitter de la police de Loire-Atlantique. Avec ses 4 500 followers, @pnationale44 est le compte le plus populaire des cinq comptes départementaux de la police lancés en test fin 2013-début 2014 (avec les Alpes-Maritimes, l’Ille-et-Vilaine, le Pas-de-Calais et le Bas-Rhin).

 

« Il faut avoir un ton décalé mais rester dans le métier »

Le style employé est bien différent de celui utilisé par le compte national ou même sur la page Facebook. Leur chef de service ne cache pas son scepticisme : « Il faut avoir un ton décalé mais rester dans le métier. Est-ce que notre rôle est de se moquer d’un délinquant ou d’une victime ? », demande Jérôme Bonet. « Peut-être avec l’humour, ont-ils un temps d’avance, mais à l’inverse, il ne faut pas être trop en avance. On n’est pas là pour faire rire, surtout dans une actualité aussi sombre ».

La gendarmerie de Gironde cartonne sur Facebook

Dans un registre un peu différent, avec un humour plutôt basé sur les images d’illustration que sur les commentaires et principalement basé sur la prévention, la gendarmerie de Gironde a attiré, en l’espace d’un an, plus de 10 000 fans sur sa page Facebook. Ce qui en fait la deuxième page la plus « likée » des 44 comptes locaux Facebook de la gendarmerie, derrière le Var, pionnier en la matière, présent sur le réseau social depuis 2012.

 

« Mon leitmotiv : faire de la prévention dans tous les domaines avec de l’humour« , explique le colonel Ghislain Réty, commandant du groupement de la gendarmerie de Gironde. Il s’occupe seul d’alimenter la page Facebook. S’il n’a pas reçu de formation particulière, ses contributions ont tout d’un community manager, à l’image de celle, début août, d‘un concours pour assister à l’inauguration d’une vedette sur le Bassin d’Arcachon en présence de Guillaume Canet.

La gendarmerie de Dordogne, non plus, ne se prive pas d’un trait d’humour de temps à autre. Créée quatre jours après la page Facebook de Gironde, elle affiche plus de 5 000 fans. Contrairement à leur voisin de gauche, ils sont 3-4 à poster des contributions sur la page, quand le temps leur permet. Comme pour chaque groupement de gendarmerie, ce n’est qu’une tâche parmi les multiples de la journée.

Certains appels à témoins vus jusqu’à 500 000 fois

Mais pour le commandant de Gironde, l’investissement de temps est loin d’être anodin. « Cela permet d’être beaucoup plus proche des citoyens, de changer l’image du gendarme qui fait des contrôles routiers. Les retours sont très positifs« , analyse Ghislain Réty. Les appels à témoins sont un vrai succès d’audience. « Certains ont été vus jusqu’à 500 000 fois », détaille-t-il. Et parfois, ils portent leurs fruits. Comme le jour où un membre de la famille d’une personne grièvement accidentée a reconnu le dessin du tatouage et permis l’identification de la victime. Le colonel Réty cite également « la mise en ligne de photos d’objets volés qui nous a permis de résoudre 125 cambriolages et donc surtout de retrouver 125 victimes ». Et à l’inverse, parfois, ce sont les internautes qui alertent la gendarmerie, via des messages privés, sur des arnaques ou des sites malveillants.

« Chacun est libre de sa ligne éditoriale »

Dans le Sud-Ouest, hormis la Charente-Maritime (dont la page Facebook devrait naître avant la fin de l’année), tous les groupements de gendarmerie départementale disposent d’une page Facebook. « Après une expérimentation positive dans le Var, il a été décidé d’élargir la création de pages Facebook à tous les groupements. Petit à petit, chacun aura la sienne« , explique Suzanne Ferret, responsable du développement Facebook à la gendarmerie nationale. En revanche, poursuit-elle, « il a été décidé de ne rien imposer. Chaque groupement est maître de sa page, selon le personnel à disposition, le temps à consacrer. Idem pour la ligne éditoriale. C’est vraiment à l’appréciation de chaque commandant. »

A l’inverse de la Gironde, de la Dordogne ou de la Charente par exemple, la page Facebook de la gendarmerie des Landes reste beaucoup plus dans un style d’écriture « sérieux », ce qui ne l’empêche pas de rassembler 4.000 fans, quand celles des Pyrénées-Atlantiques, du Gers, et du Lot-et-Garonne cumulent, à trois, 3.500 fans. Si le ton diffère en fonction des groupements de gendarmerie, tous ont en commun des contributions portées sur la prévention (sécurité routière, cambriolages) et des appels à témoins. Avec parfois une petite dose de communication institutionnelle.

« Pas une course à l’échalote »

Si le déploiement sur Facebook est concluant pour la gendarmerie, il est nullement question pour l’heure de le décliner sur Twitter. « Sur Twitter, l’objectif est d’être réactif, on est dans l’immédiateté. Dans les chefs-lieu, nous n’avons pas le personnel pour ça. Nous sommes d’abord des gendarmes, puis spécialisés dans la communication ».

De son côté, la police vient de faire le bilan de ses cinq comptes Twitter locaux. « Et la conclusion est : il faut que le projet précède l’outil, ne surtout pas tomber dans une course à la modernité. Il faut y aller pour répondre à un objectif, à un besoin », explique Jérôme Bonet. Car, poursuit-il, « ça coûte cher au niveau investissement humain et un peu financier. Il faut du personnel dédié à Twitter. Il faut surveiller, agir et interagir. Et chaque publication nécessite une validation, on reste dans l’administration », poursuit le chef du service d’information et communication de la police nationale. « On est sur l’idée dune ouverture possible à condition d’avoir un projet, d’avoir les moyens qui vont avec. Ça va vous faire plaisir (sourire), mais localement, la PQR a plus d’impact qu’un compte Twitter« .

Satisfaite par sa page Facebook « nationale » avec des résultats « vraiment au-delà » de ses attentes -notamment en ce qui concerne les appels à témoins-, la police n’envisage pas, pour l’heure, la création de pages Facebook par départements. « On n’est pas une logique de course à l’échalote« , indique Jérôme Bonnet. « Certains pensent parfois qu’il faut suffit d’être sur les réseaux pour nous rendre sympathiques, ce n’est qu’un élément qui consiste à renforcer le lien avec la population, mais ça ne fait pas tout. Il y a le terrain aussi ».

(1) Tweet de la revue culturelle @Jotdownspain :  « Si tu voyages à l’étranger (UE) et que tu prends quatre joints, est-il préférable de les mettre dans la valise que tu enregistres ou de les porter sur soi ? ». Réponse de la police espagnole : « C’est mieux si tu les gardes sur toi, roulés, et à un endroit où les chiens ne peuvent pas les détecter (dans un paquet de tabac ?). Mais tu risques une infraction pour consommation dans un lieu public ».

En chiffres et en liens

  • Gendarmerie

Gendarmerie de Gironde : page créée le 11 octobre 2013. Plus de 10.000 fans.

Gendarmerie de Dordogne : page créée 15 octobre 2013. Plus 5.500 fans.

Gendarmerie de Charente : page créée le 5 juin 2014. Plus de 2.800 fans.

Gendarmerie des Landes : page créée le 2 décembre 2013. Plus de 4.000 fans.

Gendarmerie du Lot-et-Garonne : page créée le 2 juin 2014. Près de 800 fans.

Gendarmerie du Gers : page créée le 18 octobre 2013. Près de 1.300 fans.

Gendarmerie des Pyrénées-Atlantiques : page créée le 25 juillet 2014. Plus de 1.400 fans.

La page Facebook de la Charente-Maritime devrait voir le jour avant la fin de l’année.

Facebook de la gendarmerie nationale : plus de 200.000 fans.

Compte Twitter de la gendarmerie nationale : plus de 35.000 fans.

  • Police

Page Facebook : plus de 100.000 fans.

Compte Twitter : plus de 17.000 fans.

Source : Sud-Ouest

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