Avec Emmanuel Macron, en effet un autre monde !

Avec le président de la République, et de plus en plus, en effet un autre monde.

Un autre monde et non pas un nouveau, qui a duré le temps d’une promesse électorale.

Un autre monde.

Le rassemblement invoqué comme un mantra – une sorte de discours obligatoire qui vise par l’abstraction à faire oublier les déchirures concrètes et ostensibles du tissu national – est en miettes.

Je n’incrimine pas forcément la responsabilité du président dans ce délitement inédit ; en tout cas elle n’est pas exclusive.

Mais pour qui essaie d’avoir une parole libre, d’être à la fois un citoyen concerné et un observateur curieux, le champ de ruines ne manque pas de frapper l’esprit et, davantage même, la sensibilité républicaine.

Inutile de revenir sur le degré de haine exprimé à l’encontre d’Emmanuel Macron et parfois de son couple. S’il a commis des maladresses de langage et eu des attitudes perçues comme arrogantes ou condescendantes, elles ne peuvent pas expliquer à elles seules cette intensité d’hostilité sans commune mesure avec les effervescences politiques antérieures. Une détestation régalienne plus qu’une animosité civique.

Inutile de relever la crise des Gilets jaunes – « plus qu’une émeute, moins qu’une révolution », selon François Sureau -, qui a durablement secoué le pays et dont les effets continuent à se faire sentir dans ses profondeurs. Le président, spécialiste du contretemps, en a pris conscience trop tard.

Inutile de faire un sort à cet immense et incompréhensible embrouillamini des retraites qui a mêlé une opposition en même temps classique, politique et syndicale, des manifestations dures et lassantes, à une maladresse gouvernementale insigne et laissant parfois le camp du pouvoir lui-même dans l’incertitude et la confusion.

Cet étrange attelage entre un président ne se rappelant plus qu’il avait promis de dépasser la droite et la gauche et un Premier ministre transfuge, s’est confronté à cette interrogation. Ayant décidé de modifier le régime des retraites, il cherche désespérément les moyens de nous en faire admettre la nécessité. Il n’y est pas parvenu. Le flou sert quelque temps mais à la longue il décrédibilise et gangrène. Il a ses mérites mais on en a abusé.

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Inutile de remarquer à quel point nous sommes embarqués depuis l’élection d’Emmanuel Macron dans une suspicion généralisée, une absence totale de confiance dans des autorités qui ne sont plus protégées par leur élection, un complotisme du quotidien où les apparences les plus simples, les moins équivoques sont battues en brèche, niées, parce que, pour aller vite, il y aurait la mauvaise foi systématique de ceux qui dirigent et la révolte forcément irréprochable de ceux qui sont dirigés !

Non, quelque chose s’est produit qui révèle, bien davantage encore que tout le reste, que nous sommes entrés dans une séquence gravissime où la contestation ne s’arrête plus aux portes du Parlement, où l’usage d’un droit – le 49.3 – est non seulement vilipendé mais attaqué dans la rue, par une multitude de citoyens qui dans toute la France mettent à mal une pratique gouvernementale constitutionnelle.

Le pouvoir est dans un étau. Si on comprend qu’il ne pouvait pas faire autrement – trop d’amendements et au regard des échéances municipales il désirait avoir le débat parlementaire et le vote derrière lui -, on perçoit aussi qu’il y a tout de même une faute politique majeure qui va « poisser » le futur et amplifier un gouffre déjà énorme entre la société et ses gouvernants.

Probablement vit-il cette fronde qui rassemble contre lui comme une injustice, à se souvenir des multiples 49.3 qui ont émaillé nos débats parlementaires, sous toutes les latitudes, sans faire frémir au-delà du champ strictement politique !

Mais l’impatience de ce pouvoir a définitivement fait perdre patience à une multitude de citoyens ulcérés. De gauche, d’extrême gauche, de droite, d’extrême droite auxquels s’ajoutent les inévitables déçus. On ne peut pas, en dépit de ce qu’un pouvoir a à sa disposition sur le plan technique pour faciliter sa maîtrise, gouverner contre une partie importante du peuple (Morandini).

Cette impasse est d’autant plus préoccupante que la République en marche à l’Assemblée nationale représente de moins en moins les forces du pays réel. Sa relative inconditionnalité, l’état de la France.

Sur tous les plans, notamment judiciaire, le contre-temps cher au président a été contagieux. Par exemple, la délinquance augmente mais on limite l’emprisonnement. Les mineurs violents ne sont plus une rareté mais on prévoit un absurde clivage et délai entre la culpabilité et la sanction.

Le 49.3 est jeté à la face du pays déjà bouillant avec des modalités de mise en oeuvre prétendument habiles mais inutilement provocatrices. S’abritant derrière le coronavirus!

Ce qui s’est passé spontanément dans la nuit du 29 février au 1er mars en France, au-delà d’un antiparlementarisme, représente une étape capitale dans la relégation de la démocratie. Ses règles n’entravent plus, ne limitent pas la colère. Elles l’exacerbent. Elle ne pourra plus dorénavant apaiser par l’invocation de ses principes quand la réalité l’aura vidée de sa substance.

Un autre monde, c’est sûr.

Source : Philippe Bilger

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