Affaire Benalla : comment des images de vidéosurveillance de la police sont parvenues au conseiller spécial de Macron

Les policiers qui enquêtent sur l’affaire Benalla ont retracé l’itinéraire du CD-Rom d’images de vidéosurveillance des violences du 1er mai, qui ont été transmis illégalement à Alexandre Benalla puis à l’Elysée, explique mercredi le site Mediapart.

Affaire-Benalla-comment-des-images-de-videosurveillance-de-la-police-sont-parvenues-au-conseiller-special-de-MacronAlexandre Benalla quand il travaillait encore pour Emmanuel Macron le 24 février dernier. (Sipa)

Dans le dossier Benalla, il y a deux affaires réunies en une. Les enquêteurs cherchent d’abord à retracer le fil des événements du 1er mai dernier pendant lesquels Alexandre Benalla a outrepassé ses fonctions, notamment place de la Contrescarpe à Paris. En parallèle, les policiers s’intéressent aux images de vidéosurveillance, sorties illégalement de la préfecture de police de Paris et que l’ex-chargé de mission de l’Elysée a eues en main au soir de la publication des premières révélations dans cette affaire. Dans ce second volet, les enquêteurs ont réussi, selon des éléments du dossier révélés mercredi par Mediapart, à comprendre le cheminement du CD-Rom contenant ces images, de la préfecture à l’Elysée.

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Selon le site d’informations, le syndicat de policiers VIGI-Mi, partie civile dans ce dossier, a réclamé mercredi l’audition d’Ismaël Emelien, le conseiller spécial d’Emmanuel Macron qui est accusé d’avoir détenu le dit CD-Rom.

Un policier a tenté de copier les images, en vain, avant de les faire sortir de la préfecture

Avant que le CD-Rom ne parvienne jusqu’à l’Elysée, il est d’abord passé entre plusieurs mains. Les faits remontent au mercredi 18 juillet, jour où Le Monde révèle l’affaire Benalla, et impliquent cinq personnes :

  • Alexandre Benalla, alors encore chargé de mission à l’Elysée
  • Laurent Simonin, chef d’état-major adjoint à la Direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC)
  • Maxence Creusat, commissaire à la DOPC
  • Jean-Yves Hunault, officier de liaison de la préfecture à l’Élysée
  • Ismaël Emelien, conseiller spécial d’Emmanuel Macron

Selon le dossier et le contenu des auditions publiées par Mediapart, c’est le commissaire Maxence Creusat, qui était présent place de la Contrescarpe au moment des faits, qui a pensé que « les images [de vidéosurveillance des lieux] pouvaient intéresser l’Élysée ». Le 18 juillet vers 21 heures, il en parle à son supérieur, Laurent Simonin : « Je [lui] dis : ‘Je crois qu’on a la vidéo [à la préfecture de police] de la place de la Contrescarpe où on aperçoit Benalla et l’individu interpellé jeter la bouteille de bière.' » Le chef d’état-major adjoint le rappelle une heure plus tard, vers 22 heures, et lui dit : « Oui, ça intéresse. » « Comprendre : l’Élysée », précise Mediapart. Le commissaire Creusat reçoit peu après 22 heures un appel de Jean-Yves Hunault qui propose de le rejoindre à la préfecture de police. Maxence Creusat explique avoir tenté de copier le CD-Rom au bureau, puis chez lui. En vain. Il confie alors l’original à Jean-Yves Hunault.

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Au même moment, Alexandre Benalla est appelé par Laurent Simonin qui lui parle des images de vidéosurveillance. Voici ce qu’a expliqué l’ancien chargé de mission aux policiers : « Il [Laurent Simonin] m’a demandé si ça m’intéressait d’avoir cette vidéo, je lui ai répondu que, oui, pour essayer de faire stopper ceux qui disaient qu’il s’agissait d’un gentil manifestant. Il m’a alors dit que Jean-Yves Hunault prenait en charge cette vidéo sur un support et venait me l’amener. » Ce qui est fait plus tard dans la soirée, dans un restaurant rue du Colisée, proche de l’Elysée.

Quel a été le rôle d’Ismaël Emelien dans cette affaire?

En cette fin de soirée du 18 juillet, Alexandre Benalla prévient alors Ismaël Emelien, qui lui demande d' »apporter cette vidéo au Palais dès le lendemain matin ». Le jeudi 19 juillet, « à 8h30 » précise Benalla, le CD-Rom se trouve donc entre les murs de l’Elysée. Pendant quelques heures, personne ne sait ce qu’il en est advenu. Selon Mediapart, plusieurs comptes Twitter, anonymes, auraient diffusé ce 19 juillet au matin des images de vidéosurveillance de la place de la Contrescarpe, sur lesquelles les manifestants apparaissaient plutôt agressifs envers les forces de l’ordre. Ces images ont été effacées du réseau social quelques heures plus tard. Voici l’un des tweets effacés :

Capture

Ces vidéos émanaient-elles du CD-Rom de la préfecture de police de Paris? En l’état des éléments du dossier diffusés par la presse, il est impossible de le savoir. Mais Mediapart souligne que l’effacement des tweets en question coïncident avec le rapatriement du CD-Rom à la préfecture de police de Paris. En effet, lors de son audition, Alexandre Benalla explique avoir reçu, dans la journée du 19 juillet, de « nombreux appels » de Laurent Simonin et de Jean-Yves Hunault lui demandant « de leur ramener en urgence le CD » : « Ils m’ont dit qu’ils me l’avaient donnée mais qu’en fait, c’était une preuve dans le cadre de l’enquête, et que c’est la police judiciaire qui devait en être le destinataire. J’ai demandé d’où sortait cette vidéo, je n’ai pas eu de réponse. »

Entre temps, la hiérarchie a été informée au sujet du CD-Rom. A commencer par le préfet de police Michel Delpuech qui contacte le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb et saisi le procureur de la République, ouvrant la voie à une enquête judiciaire. Cette dernière a au passage permis à l’Elysée d’avoir un motif de licenciement pour Alexandre Benalla. L’Elysée restitue alors le CD-Rom, en le communiquant le même jour au procureur de la République, a expliqué Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, lors de son audition au Sénat.

Les juges ont ensuite qualifié ces faits de « recel de détournement d’images issues d’un système de vidéo-protection », faits pour lesquels Alexandre Benalla et plusieurs fonctionnaires de police sont mis en examen. Pour que le détournement soit pénalement condamnable – la peine maximale est de cinq ans de prison et 300.000 euros d’amende -, il faut toutefois qu’il soit intentionnel. Alexandre Benalla insiste ainsi sur le fait qu’il n’a pas demandé d’avoir des images illégales – il ne savait pas « d’où sortait [la] vidéo ». De même, il assure lors de son audition ne pas avoir connu la nature des images du CD-Rom, tout comme, dit-il, Ismaël Emelien. Ce dernier, dont le rôle reste à éclaircir, n’est pas inquiété aujourd’hui.

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