À la Réunion aussi, la politique par juge interposé.

Saint-Pierre

Ayant eu la chance de passer le mois de février à la Réunion, j’avais été assez stupéfait du niveau d’instrumentalisation politique de la justice à l’approche des élections municipales.

Je m’en étais ouvert dans un article où, consterné je constatais que la situation était pire qu’en métropole où le problème est déjà pourtant très préoccupant.

Il apparaît bien que le corps de la magistrature a rallié le pouvoir d’Emmanuel Macron et soutient le projet autoritaire de celui-ci. Le récent procès de François Fillon venant clôturer le raid judiciaire de 2017 destiné à fausser l’élection présidentielle et amener Emmanuel Macron à la présidence, quelques opportunes enquêtes préliminaires ne visant que des adversaires politiques du chef de l’État candidat aux municipales ont émaillé les derniers jours. Tout ceci se déroulant avec une étonnante absence de scrupules.

Force est de constater que de ce point de vue, l’éloignement de la métropole permet de pousser ces logiques jusqu’à la caricature.

De quoi s’agit-il cette semaine ?

La procureure du TGI de Saint-Pierre, l’un des deux tribunaux judiciaires de l’île, a le sens de l’urgence.  Alors que le TGI tourne au ralenti – conséquence d’une grève très suivie des avocats -, alors que la perspective d’une fusion des tribunaux de Saint-Denis et de Saint-Pierre hypothèque les affaires en cours, il était urgent d’intervenir dans la municipale de la ville de Sainte-Pierre, 85.000 habitants.

Ainsi, le 11 mars, trois personnes, dont une colistière du maire LR sortant, donné largement favori, ont été placées en garde à vue. Le lendemain, aux environs de 20 heures, la procureure signifiait la garde à vue de la colistière précitée. Dix minutes plus tard, un article très complet relatant l’affaire paraissait sur un site en ligne.

Objet de « l’affaire » : 17 bulletins de vote au nom de François-Xavier Bellamy qui aurait « bourré » urne lors des élections européennes du mois de mai 2019.

Peut-être une dizaine d’autres, dans un autre bureau de vote. Des faits relativement fréquents à La Réunion : lors des européennes du mois de mai 2014, quelques bulletins favorables au candidat de la France insoumise avaient été glissés dans une urne, cette fois dans le nord de l’île. L’affaire n’avait pas donné lieu à un grand vacarme, et pour cause : c’est un scénario très marginal, et folklorique dans l’île, qui voit quelques militants un peu zélés « aider » leurs candidats lors des scrutins désertés par les électeurs. En l’occurrence, c’était même un peu ridicule les élections européennes, à la Réunion comme ailleurs, n’ayant pas intéressé grand monde. Et en tout cas, cette soi-disant « fraude » n’avait aucune espèce d’incidence sur le résultat final.

C’était il y a près d’un an, mais il semble que certains ont trouvé là un excellent prétexte pour instrumentaliser la justice au profit des amis de Monsieur Macron. Comme d’habitude on a retrouvé à la manœuvre le média d’Edwy Plenel Médiapart qui a annoncé ce scandale planétaire, l’un de ses journalistes annonçant qu’en plus il détenait des « documents » prouvant une tricherie du maire de Saint-Pierre lors du « second tour des municipales de 2014 ». Problème : il n’y a pas eu de second tour en 2014 et il n’y a donc pas de « documents ». Malgré ce bide aux allures de fake news, et le caractère dérisoire de tout ceci, l’« affaire » des bulletins Bellamy a semble-t-il été considéré comme une aubaine dans les couloirs du Tribunal de Saint-Pierre. Et comme d’habitude au rythme d’un feuilleton bien scandé, les mises en garde à vue et mises en examen tombent à des moments décisifs.

A chaque fois qu’un meeting géant ou qu’un évènement médiatique marque l’avance du maire sortant, la justice « dégaine » un épisode de la télénovella des 19 bulletins. Immédiatement, la presse est informée et le nom de celles et ceux qui sont entendus jetés aux chiens de la vindicte populaire. L’institution judiciaire ne craignant pas de qualifier en amont les faits comme « toujours en cours d’investigation »…

Et c’est comme cela que dans un communiqué Mme la Procureure sans aucune intention politique évidemment, a relevé « l’importance du processus de fraude ». Il est vrai qu’une vingtaine de bulletins, si tant est que l’infraction soit établie c’est de nature à détruire la république… Surtout dans une élection où il n’y a pas eu la moindre campagne et 75 % des Réunionnais ne se sont pas déplacés. Comme je l’ai constaté lors de mon séjour à La Réunion, les convocations, mises en garde à vue, mises en examen pleuvent sur les acteurs politiques locaux depuis le début de la pré-campagne. La justice est devenue un acteur de la vie politique électorale. Délibérément ?

Parce qu’évidemment la pluie ne tombe pas au hasard : elle ne mouille que les adversaires du Président de la Région Réunion, lui-même candidat LREM sous faux drapeau comme tant d’autres marchistes en métropole. Les mauvaises langues prétendre que la perspective d’une victoire dans les urnes de ses opposants de droite ou de gauche, dans une île qui ne compte que des grandes communes, contrarie sa volonté de garder son siège aux régionales de 2021. Contrariété partagée par les magistrats ?

Que ce soit en métropole ou à la Réunion, nourrir ainsi ce soupçon de politisation qui pèse sur l’institution judiciaire est une mauvaise action.

Source : Vu du Droit

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