5G: 6 arguments pour un moratoire stratégique

5G: 6 arguments pour un moratoire stratégique - Ciel Voilé

Peut-on avoir un débat stratégique sur la 5G ou doit-on se contenter des a priori pour ou contre ? La partie est-elle déjà jouée ou les États européens et leurs citoyens peuvent-ils recouvrer leur souveraineté dans cette affaire ? 6 arguments devraient être débattus séparément et à égalité d’importance: la santé, l’environnement, la souveraineté, les territoires, l’utilité sociale, la sécurité.

Peut-on avoir un débat stratégique sur la 5G ou doit-on se contenter des a priori pour ou contre ? La partie est-elle déjà jouée ou les États européens et leurs citoyens ont-ils une possibilité de recouvrer leur souveraineté dans cette affaire ? 6 arguments devraient être débattus séparément et à égalité d’importance: la santé, l’environnement, la souveraineté, les territoires, l’utilité sociale, la sécurité. Tout débat qui éviterait l’une de ces questions serait détourné des vrais enjeux et de l’exploration des possibles qui sont tellement plus nombreux que la dépendance de sentier que l’on veut encore renforcer.


1/ La santé

C’est l’argument principal des opposants. Argument aussitôt rejeté par les partisans puisque « les autres pays l’ont bien lancée ». Mais on peine à trouver les études convaincantes sur le sujet et d’autres pays comme la Suisse et la Belgique ont mis leur processus de lancement en pause pour traiter la question. Les fréquences utilisées sont connues et n’ont jamais provoquées aucun problème, nous dit-on. Sauf que les usages et la densité de couverture n’avait rien à voir. Il faut donc faire des études correctes et cela non seulement en calquant sur les antennes de la 4G puisque la 5G demandera beaucoup plus d’antennes de plus courte portée, certes de plus faible puissance, donc avec de nouveaux paramètres.

N’oublions pas non plus de tester la potentialisation des effets entre ondes électromagnétiques, les effets cocktails, comme on devrait le faire pour les médicaments ou pour les substances chimiques, ce qui est compliqué certes mais nécessaire pour avoir une idée des effets en environnement réaliste ( et on en labo). On ne teste pas une antenne mais la combinaison avec un environnement déjà saturé d’ondes. De même pour le WiFi d’ailleurs, dont les constructeurs ne mesurent les box que émetteur par émetteur et non avec tous les émetteurs de la box activés ensemble, sans parler des autres équipements domestiques ou professionnels.

Nous construisons l’infrastructure du XXIeme siècle nous disent certains pour promouvoir la technologie. Si c’est le cas, cela vaut donc le coup de prendre le temps de faire tous les tests. Mais aussitôt, ce que j’appelle depuis plus de 30 ans « la tyrannie du retard » s’impose à tous : « nous n’avons pas le temps, sinon les autres pays et firmes prendront tout le marché ».

Voilà comment nous avons cédé aux lobbies automobiles, nucléaires ou chimiques pour arriver à ces conséquences que l’on ne peut plus traiter, en laissant faire une dérive systémique. Petite lâcheté après petite lâcheté, avec beaucoup de bonne conscience et pour le bien de tous et surtout de l’industrie, nous avons été incapables de mettre en place une « seconde modernisation », comme l’appelle Ulrich Beck, qui soit capable de penser les conséquences de ses décisions.

Pour la 5G, il n’existe pas de nécessité sociale immédiate mais au contraire un impératif de santé et d’environnement qui est celui du développement contrôlé de la technologie réseau du XXIeme siècle ( dont la 5G n’est qu’un maillon). On ne peut pas jouer avec la santé des consommateurs sous prétexte de business à court terme comme on l’a fait avec l’amiante, le tabac, les pesticide ou les particules du diesel.

Pour la santé, il faut donc : expertises indépendantes, tests en environnements réalistes qui débouchent sur un cahier des charges précis et contraignant, et cela avant d’attribuer les fréquences pour que les opérateurs sachent à quoi s’en tenir.


2/ L’environnement

La consommation d’énergie de la 5G ne peut pas être passée sous silence au moment où tout le secteur du numérique se révèle en croissance permanente, adoptant  parfois des technologies aberrantes en matière d’énergie (blockchain à base de proof of work par exemple). De même pour la consommation de matières rares qui ne représente aucun avenir durable mais que l’on poursuit sans vergogne.

Les équipementiers annoncent tous des performances supérieures à la 4G en efficacité énergétique et on voudrait bien les croire. Mais c’est toute la chaine de production qui devrait être auditée sur ce plan, y compris les serveurs et les terminaux. Et cela supposera de prendre en compte l’incitation à la consommation de bande passante et donc les contenus que l’on pousse toujours en plus haut débit, même lorsqu’on pourrait s’en passer, et qui sont fondés sur une captation de notre attention pour engendrer une surconsommation constante.

Les équipementiers ou les opérateurs disent que ce n’est plus leur affaire mais la responsabilité du consommateur. On crée des autoroutes mais ce ne serait pas pour encourager les voitures à rouler plus nombreuses et plus vite, pas du tout, évidemment. La chaine des responsabilités ne peut pas être coupée à volonté. Peut-on arrêter de développer des technologies comme si nos ressources et notre planète n’étaient pas finies, limitées, et en voie de destruction d’un équilibre précieux ? « Du pain, des jeux et de la 5G », voilà le slogan politique et la vision de l’avenir que l’on doit soutenir ?

Tout cela pour que tout le monde reste sage dans sa roue de hamster à produire et à consommer pour le profit de quelques-uns pendant que les biens nécessaires ne sont même pas accessibles aux autres ? Cette énergie, ces matériaux devraient être tous traités comme rares, comme précieux et notre consommation numérique (comme les autres ) devrait devenir frugale, nous le savons tous mais les firmes du numérique veulent continuer à s’aveugler. Jamais cet argument n’est poussé par les gouvernements face aux firmes qui se contentent de faire le service minimum et à qui l’on fait des recommandations en misant sur leur bonne volonté pour ne pas être punitif.

Rappelons que contrairement à ce qui est dit, la 5G nécessitera l’équipement de nouveaux terminaux pour le grand public, ce qui est une bonne affaire pour les firmes qui ont trouvé un prétexte de renouvellement de téléphones portables (car même avec 4 appareils photos ou en devenant pliables, ça ne suffit pas  à faire vendre !)

De plus, le point clé en termes d’innovation reste la latence optimisée qui permettra une grande réactivité des capteurs et des objets connectés. Imagine-t-on ce que représente cette prolifération d’électronique dans tous les objets, leur cycle de vie, leur consommation ?

L’analyse environnementale doit donc porter sur tout le système technique ainsi développé. Pour éviter cette discussion, certains comme le PDG d’Orange préfère réduire la 5G à une augmentation des capacités du réseau, au contraire d’autres qui annoncent un nouveau monde merveilleux d’objets connectés.

Cette seule ambiguïté des arguments devrait nous mettre la puce à l’oreille : soit ils ne savent pas ce qu’ils font soit il ne faut pas trop le faire savoir pour éviter tout débat argumenté. Si la faute est attribuée aux consommateurs comme le dit X. Niel, il faut mettre cela sur la table et anticiper sur les éventuelles restrictions de débit : devons-nous vraiment développer des autoroutes pour ensuite dire aux utilisateurs qu’il faudra rouler à 110 ?

Le projet devient tout de suite moins attractif et cela nous aurait évité des investissements routiers inutiles et contre-productifs qu’on aurait pu réorienter vers le train par exemple. C’est la même chose pour la 5G : si le projet est irrémédiablement trop consommateur, il faut soit changer de techno, soit réorienter les investissements vers d’’autres priorités qui ne manquent pas comme nous allons le voir. Ce qui veut dire une discussion stratégique, que les Etats doivent piloter, et non sous la menace de la compétitivité et de la tyrannie du retard.

Pour l’environnement, il est indispensable de mettre en place un cahier des charges très exigeant qui aboutirait à une division des consommations par 4 (rappelons-nous facteur 4) dans tout le système, consommations de contenus comprises, et qui réduisent de la même façon l’usage des matériaux rares ainsi que les transports nécessaires à l’assemblage de tous ces composants (effet de souveraineté qu’il est temps de mettre en pratique).


3/ La souveraineté

Reconnaissons que le problème de la 5G a été largement rendu public par les exigences de Trump vis-à-vis de Huawei, ce qui a obligé beaucoup d’acteurs à se positionner quant aux risques de dépendance vis-à-vis de la Chine. Je m’en réjouis mais pas pour les mêmes raisons antichinoises primaires. Il est enfin établi qu’on ne peut pas commercer de manière conventionnelle avec une dictature comme la Chine. Parfait ! Nous devrions en tirer les leçons sur tous nos transferts de technologie, sur toute la sous-traitance que nous avons laissé se développer pour faire pression sur les coûts et sur les salaires occidentaux à la fois, sur nos accords diplomatiques qui couvrent les exactions chinoises à Hong-Kong, au Tibet, chez les Ouighours ou avec les prisonniers politiques.

Mais il en faudra plus pour stopper cette real politique probusiness qui est en fait d’une lâcheté totale et qui rend tous les discours de souveraineté ridicules, comme on l’a vu pendant la crise du coronavirus. Il est aussi très utile qu’on se pose la question du capitalisme dictatorial contrôlé de main de fer par le parti communiste, qui laisse la corruption prospérer quand ça l’arrange et qui punit soudain certains des corrompus/ corrupteurs quand ça l’arrange aussi.

Xi Jinping est passé maitre dans ce domaine et l’on peut être certain qu’aucune firme chinoise ne peut se permettre de conduire une politique industrielle et commerciale sans l’assentiment du parti, d’autant plus lorsque les commandes publiques et l’attribution des marchés nationaux sont aussi contrôlés. Ce qui représente quand même une concurrence légèrement faussée, n’est-ce pas ? Mais cela ne semble pas gêner les libéraux dogmatiques qui nous gouvernent !

Il est aussi de notoriété publique que la surveillance des trafics, des comptes, des données est au cœur du contrôle social et politique qui s’exerce sur toute la société chinoise avec l’appui de toutes les firmes technologiques et ce modèle finit même par faire des envieux dans les pays occidentaux qui vantent par exemple l’avance de la Chine en matière de reconnaissance faciale, argument très convaincant pour en favoriser l’adoption chez nous ! Il en est de même pour la surveillance extérieure et l’espionnage industriel qui sont rendus possibles par l’installation des équipements chinois dans toutes les chaines de production de service, comme pour les équipements de la 5G.

Soupçon abusif me dira-t-on ? On croit rêver ! Alors que les services de renseignements de tous les pays occidentaux sont TOUS actifs dans la captation de traces en exploitant toutes les failles des systèmes d’information (d’où leur refus du chiffrage généralisé), ce que tout le monde sait depuis Snowden, il faudrait pourtant faire plus confiance aux firmes chinoises et aux services secrets chinois qu’à la NSA ?

En fait, c’est bien là le problème de l’argument de Trump : en ciblant la Chine, il se permet à bon compte de passer sous silence que les services américains et leurs firmes font exactement la même chose, ce qui a encore été mis en évidence par le Cloud Act selon lequel les exigences de la justice (ou de la sécurité) américaine justifient l’accès de ces services à toutes les données hébergées sur des serveurs de firmes américaines. Et l’on pourrait en dire autant des firmes européennes et de leurs relations avec les agences de renseignement ou avec la police.

Cela veut dire que la question de la souveraineté est une affaire bien plus importante qu’un enjeu diplomatique d’Etat à Etat. Dans ce domaine du numérique, les puissances qui comptent sont en fait des firmes plates-formes, des équipementiers ou des opérateurs, ainsi que des agences de renseignement et  tous ces acteurs sont bien plus puissants que les instances politiques supposées définir la loi et les contrôler.

La souveraineté citoyenne dans le domaine du numérique nécessite un soupçon systématique, des audits indépendants, des pouvoirs de sanction accrus pour une mise en œuvre de technologies au service du bien commun.

Pour la souveraineté, il convient d’établir un cahier des charges pour TOUS les équipementiers et opérateurs (y compris européens) qui les obligent à documenter totalement leurs matériels et logiciels de façon à les rendre auditables en permanence par des experts indépendants ( et la France possède de très bons experts dans ce domaine). Dès lors, les mesures ne sont pas protectionnistes ou antichinoises mais établissent des règles communes à respecter par toutes les parties prenantes. Puisque cette technologie semble si décisive, il est impensable de la mettre en place sans un contrôle public très strict. Nous savons malheureusement depuis le scandale Volkswagen ce qu’il en coûte de faire confiance à la supposée bonne volonté de conformité des firmes.


4/ La stratégie d’équipement des territoires et les priorités de services

Pour les promoteurs de l’urgence de la 5G, la question stratégique est vite réglée : il faut et il suffit de suivre le mouvement que les autres pays, comme la Chine ou la Corée, ont déjà enclenché et cela suffit à justifier une décision qui de ce fait n’en est pas une. « On ne peut pas ne pas y aller », nous verrons les détails plus tard. Cela donne une idée de la vision, du projet et de l’ambition. On continue à parler d’innovation mais il s’agit là vraiment d’abus de langage puisqu’il s’agit de techno-push, de suivisme commercial et de « metoo innovation ».

Techno push car ce sont les équipementiers et les vendeurs de smartphones qui sont intéressés par un renouvellement du parc, sans savoir vraiment quels usages vanter.

L’augmentation des débits comme je l’ai dit ne trouve aucune autre justification alors que pendant ce temps, des régions entières n’ont pas de fibre (sans conséquence sur la santé) ni de 4G correcte. Voilà ce que serait une stratégie industrielle et territoriale : analyser les points faibles, les inégalités et faire en sorte de les améliorer et non d’adopter une nouvelle technologie qui va aggraver les inégalités territoriales.

En effet, les services de l’internet des objets et des smart cities ( avec les capteurs) ne seront jamais attractifs pour les investisseurs dans des zones rurales ou urbaines de petite taille, comme on le voit déjà avec la fibre et avec la 4G. Il faut des zones denses de population pour capter un marché immédiatement rentable et obtenir des retours sur investissements corrects.

La 5G, sans obligation de service public, aggravera inévitablement les inégalités entre territoires car il ne s’agit pas seulement de renouvellement des antennes 4G mais d’implantation de grandes quantités d’antennes pour assurer un service du type Internet des objets avec latence réduite.

En matière d’usages, s’il s’agit seulement de débits accrus, à quoi serviront-ils ? Au porno, à You Tube et au streaming type Netflix, si l’on suit les contenus consommateurs de bande passante actuellement. Est-ce vraiment nécessaire de se lancer si rapidement dans une techno qui sert ces finalités ? Ne peut-on pas avoir en même temps une discussion sur les contenus qui doivent être favorisés ou les applications qui seraient indispensables au bien commun et que peut être la 5G pourrait soutenir ?

Je le disais déjà il y a 25 ans en orientant la politique numérique de la Ville de Rennes dont j’étais adjoint au maire : si l’on veut une politique cohérente et un effet de levier réel des investissements techniques, un centime dans les équipements doit être obligatoirement associé à un centime dans les terminaux (pour d’autres usages et pour leur répartition égale), un centime dans les contenus ( car il faut créer ces contenus nouveaux) et un centime dans l’organisation autour de ces technos pour aider à l’appropriation.

Voilà une stratégie qui ne croit pas à la baguette magique de la technologie ni au solutionnisme qui doit régler des problèmes que l’on ne connait pas et créer des besoins artificiels pour le seul soutien aux firmes technologiques. Dès lors, les discussions doivent être ouvertes sur les applications, services et contenus que l’on veut privilégier et pour lesquels on reconnait une véritable importance stratégique. « On » étant particulièrement vague, cela suppose de créer une instance et une procédure ad hoc, adossée aux institutions existantes, pour enfin faire émerger une modernité réflexive (Beck) et une démocratie dialogique (Callon et al.) qui pense aussi stratégie industrielle.

Pour les territoires, la priorité reste de laisser ces territoires définir leurs stratégies qui permettent de valoriser leurs activités, les intérêts des citoyens et non seulement des consommateurs de contenus stéréotypés, en réduisant les inégalités avec une diversité de technologies et pour cela de réorienter les choix actuels de la 5G (repurposing). Les investissements publics, les plans de développement doivent avant tout renforcer tous les territoires (mais sans les uniformiser en leur supposant une règle de compétitivité toujours aussi réductrice).
5/ L’utilité sociale des applications

On perçoit bien la gêne des promoteurs de la technologie qui sont incapables de prendre appui sur des technologies mûres et désirables et qui peinent à convaincre.

Nous pouvons les aider ! Prenons quelques exemples.

Pour les applications utilisant au mieux la réduction de la latence, on évite souvent de parler des jeux vidéo en ligne massivement multijoueurs ou du type Pokemon Go. Ce sont de réelles innovations qui engendrent une passion de masse et aussi des revenus non négligeables Car là encore tout réside dans ce modèle économique publicitaire qui doit inciter les joueurs à aller visiter certains lieux pour bénéficier de certaines offres avantageuses.

Même si l’on considére que le potentiel culturel, social, éducatif et même artistique de ces jeux est remarquable, on ne doit pas pour autant être contraint d’accepter le modèle de captation publicitaire de l’attention qui le sous-tend actuellement. Dès lors, tant qu’un débat sur ces offres n’a pas lieu, il n’y a pas de raison de se précipiter à développer une 5G supposée agnostique quant aux contenus, ce qui est faux : selon les choix techniques de détail, ce sont certaines applications que l’on encouragera et non d’autres.

Parmi les autres applications souvent mentionnées, la chirurgie à distance. J’ai entendu cet argument dès le début des années 90 quand j’ai étudié plusieurs systèmes d’imagerie médicale et d’interventions à distance (par exemple un projet de neurochirurgie entre Saint Brieuc et Rennes). Tout cela n’a donc rien d’original, il s’agit au contraire du discours d’accompagnement classique de toutes les innovations en matière de réseaux car ce type d’offres semble surtout très utile pour empêcher le débat sur le plan moral et politique.

Or, aucune de ces promesses ne s’est jamais réalisée. Et aucune ne se réalisera pour plusieurs raisons : les enjeux juridiques et assurantiels sont de plus en plus énormes en santé et étant donnés les risques encourus, on peut être sûr que personne ne se précipitera ; ce que j’appelle le design organisationnel d’un tel système d’intervention à distance en mode de routine ( et non plus au stade expérimental) est extrêmement complexe si l’on connait les systèmes hospitaliers (délégations, contrôles, répartition des coûts, compétition de prestige, etc.) et on ne peut qu’espérer que le système de santé percevra qu’il y a bien d’autres priorités ; la disqualification des compétences locales est intrinsèque à ces processus de soin à distance réalisés avec de telles technologies et cette vision coloniale du progrès de la santé doit être combattue.

Là encore, la vision territoriale encapsulée dans ces technologies aggrave les inégalités et s’éloigne de tout empowerment des acteurs locaux.

Autre application enfin qui fait partie des éléments constitutifs des projets de smart cities : les véhicules autonomes. Le mot est lancé de façon vague comme si l’on savait de quoi l’on parlait et comme si le déploiement de ces solutions était indiscutable. Pourtant, aucune des annonces faites depuis 5 ans n’a été suivie d’effet, à l’exception de quelques réalisations en circuit fermé.

La transformation de tout le système routier est en effet nécessaire pour accueillir ce type de véhicules. Les enjeux d’assurance seront décisifs pour régler la répartition des torts en cas d’accident, qui ne sont pas impossibles comme Google ou Uber en ont fait l’expérience. Et il faudra que les villes soient décisionnaires en matière de type de véhicules puisqu’on peut imaginer des véhicules autonomes collectifs ou à l’inverse totalement individuels, alors que toute la communication est actuellement centrée sur des véhicules très semblables aux voitures du début du XXeme siècle, à 4 places.

On le voit « l’effet diligence » fonctionne toujours qui guide l’innovation en la maintenant dans les rails des technologies précédentes. Tant que l’on n’obtient pas de véritables offres d’innovation en matière de mobilité (et donc tous modes confondus avec couplages éventuels à certaines fonctions des véhicules autonomes) il est urgent d’attendre, d’expérimenter et de débattre et non de développer une infrastructure en la justifiant par une application (la voiture autonome) qui n’a rien de mûr et qui sera totalement différente dans dix ans.

Pour l’utilité sociale des services et des applications, il faut un débat national sur les priorités de développement qui débouche sur un cahier des charges exigeant sur la valeur sociétale des applications offertes, et qui organise un plan d’investissement dans les services technologiques « à valeur ajoutée citoyenne », avec soutien aux développeurs de services, d’applications et de contenus. Voilà une pensée stratégique publique et non un suivisme de la pression des intérêts boutiquiers des équipementiers et des opérateurs.


6/ La sécurité

La 5G n’est pas une simple augmentation des capacités du réseau existant, elle est conçue pour exploiter des objets mobilisant les protocoles de l’internet des objets (IoT). La réduction de la latence est son principal avantage qui oblige à multiplier les antennes puisque la portée des longueurs d’onde sélectionnées est moindre. Or, indépendamment des applications mentionnées précédemment, toute l’ouverture d’internet à la connexion généralisée des objets, permise aussi par IPv6 qui peut fournir des adresses IP à toute entité sur terre, la plus minuscule soit –elle, pose des problèmes de sécurité considérables que tous les promoteurs de « la 5G tout de suite » préfèrent ignorer ou minimiser.

Si l’on se situait dans une véritable stratégie d’infrastructure d’un état souverain (comme on l’a fait pour les autoroutes ou les lignes de chemin de fer quand elles ont été créées), la priorité des investissements n’irait pas à la 5G mais à la sécurisation du réseau existant. Car les failles de ce réseau (tout internet) sont énormes et constituent des occasions de data breaches répétées provoquées par les hackers.

Des sites stratégiques ou essentiels sont visés tous les jours, pas toujours pour du rançonnement, pas seulement pour du sabotage délibéré entre entités étatiques ou para-étatiques, mais parfois seulement pour faire la preuve des faiblesses d’un fournisseur de services ou pour casser la réputation des services en question. Des hôpitaux ont été attaqués et bloqués pendant plusieurs jours à Rouen ou en Angleterre par exemple. Amazon Web Services a été attaqué à 2,3 Tb/s, en Juin 2020, la plus puissante attaque jamais réalisée et la course entre les gendarmes de la cybersécurité et les voleurs/ hackers monte sans cesse d’un cran de finesse et de puissance.

Or, les objets connectés (depuis les caméras de surveillance jusqu’aux jouets connectés) sont déjà utilisés pour lancer des attaques, notamment en DDoS, comme ce fut le cas en 2017 en visant le fournisseur d’adresses de tout le quart Nord Est des Etats-Unis (ce qui bloqua tout Internet pendant 5 heures dans cette région).

Lorsque l’on sait (et on le sait !) une infrastructure peu sûre, il est irresponsable de vouloir étendre son système de base (internet) avant de l’avoir renforcée.

Chaque nouvel objet sera potentiellement une entrée pour des hacks coordonnés. Comme si l’on réalisait une autoroute encore plus rapide pour des véhicules sans frein. Pour garantir cette sécurité et arrêter de privilégier la vitesse à tout prix, il faut rendre les objets, les équipements et les algorithmes de tous ces fournisseurs entièrement auditables du point de vue de la cybersécurité (ce qui permettra aussi de couvrir les impératifs de souveraineté) avec exigence de certification et de contrôle régulier.

Mais la question est bien plus vaste que celle de la 5G car le principe même d’un chiffrage généralisé doit être établi et une mobilisation internationale des Etats enclenchée pour en finir avec ce laisser-faire. Les firmes se sont avérées incapables de réinventer Internet comme le demandait Berners-Lee, elles ont failli à leurs promesses et à leur responsabilité, il faut désormais reprendre le contrôle complet du réseau et revoir totalement les instances de régulation ad hoc d’internet.

On le voit le chantier est énorme mais c’est la condition pour établir des bases durables d’un développement technologique sûr. Le dogme de la liberté ne peut être la liberté du renard (hacker ou firme cynique ou service de renseignement) dans le poulailler des internautes. La régulation doit s’appuyer sur une refonte complète des principes du réseau.

Pour la sécurité, il faut donc organiser un cahier des charges de tout le système de l’internet des objets, que j’avais demandé à l’ARCEP dès 2015 qui n’a rien fait depuis, des obligations de qualité de service public strictes, une auditabilité permanente et prendre des initiatives internationales pour reprendre en mains la gouvernance de tout l’Internet avec des objectifs de sécurité et non plus seulement de vitesse.

 

Conclusion: libérez le hamster de sa roue!

Tous ces objectifs se tiennent ensemble. Un développement responsable de la technologie se traite sur tous ses aspects. Un moratoire permet seul d’organiser un débat sur tous ces thèmes à la fois. Si l’Europe avait subi la pression de la Chine, des USA ou des plates-formes commerciales pour édifier sa doctrine en matière de données personnelles, le RGPD n’aurait jamais vu le jour.

Or, ce qui a pu être perçu comme une menace pour le business au début est devenu au contraire un modèle mondial pour générer de la confiance dans toute la chaine de valeur. Au court-termisme de ceux qui veulent privilégie leur business actuel, il faut préférer une vision du bien commun de longue durée, soutenable dans tous les domaines qui créera les conditions d’une convention stable pour d’autres types de projets, d’innovation et d’affaires.

La 5G constitue cette occasion à condition de refuser l’urgence de décisions purement commerciales ou justifiées par de mauvaises raisons de budget (ce que les enchères vont rapporter à l’Etat) à une époque où toutes les cartes des déficits et de la dette sont révisitées.

La démocratie technique qui restitue les choix politiques des infrastructures aux citoyens est la condition d’une transition écologique crédible, qui soit responsable sur les 6 points que j’ai présentés et non réduite à de simples « conséquences environnementales ».

Ecologiser le numérique, c’est rendre tous ces choix responsables vis-à-vis de la planète et des générations futures et c’est lui donner une vision stratégique qui pourra encourager l’innovation mais pour le bien commun car il y a tant à faire sur ce plan ! Par pitié, faites descendre le hamster de sa roue de start-up nation et redonnez lui le droit d’explorer les possibles avec ses congénères, de toutes espèces !

Source : Médiapart

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