Armée : le défi de protéger sans s’infecter

FRANCE - OPERATION RESILIENCE

Toutes les armées ont été mises à contribution… – © Jc Milhet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
L’affaire de la contamination massive sur le “Charles de Gaulle” met au jour un dilemme auquel les militaires doivent faire face. Comment assurer la continuité des missions, tout en préservant la santé des soldats ?

Une enquête interne de commandement, ordonnée par le chef d’état-major de la Marine, l’amiral Christophe Prazuck, afin « de tirer tous les enseignements de la gestion de l’épidémie au sein du groupe aéronaval », ainsi que deux enquêtes épidémiologiques. Il ne fallait pas moins que cela. Le nombre de personnels testés positifs au Covid-19 sur le porte-avions Charles de Gaulle est impressionnant : 1 060, sur les 1 720 qui se trouvaient à bord. Soit 60 % de l’équipage. Le 18 avril, selon les informations rapportées par le blog spécialisé « Secret défense » du journal l’Opinion, 24 étaient hospitalisés dont dix sous oxygène, et un avait été évacué par hélicoptère, intubé.

Que s’est-il passé pour que le virus se répande à une telle vitesse et dans de telles proportions ? Certes, avec la promiscuité, les systèmes d’aération et de climatisation, on peut imaginer que tout était réuni. Mais pourquoi ce bâtiment et pas d’autres ? Toutes les interrogations se concentrent autour de l’escale qui a eu lieu à Brest du vendredi 13 au lundi 16 mars au matin. Un tiers de l’équipage habitant dans la région, les visites aux familles ont été autorisées, mais celles qui étaient prévues à bord ont été annulées. A ce moment, on recensait une trentaine de cas dans le Finistère, et un « cluster » avait été identifié à Auray, dans le Morbihan, où les marins avaient interdiction de se rendre. Le 16 mars au matin, le « PA » reprenait la mer, quelques heures avant l’annonce du confinement. Pendant une dizaine de jours, les entrées et sorties à l’infirmerie sont normales, mais elles augmentent en flèche dans la nuit du 5 au 6 avril, passant brusquement de 18 à 36 visites, comme indiqué par le général Lecointre, le chef d’état-major des Armées (Cema) sur TF1, alors que la polémique commence à enfler. Des témoignages épars remontent dans les médias, on évoque des repas au restaurant à Brest. Un marin, resté anonyme et dont les propos sont qualifiés de « fausse rumeur » par la ministre des Armées, Florence Parly, prétend sur France Bleu Var que le pacha du Charles de Gaulle aurait demandé dès l’escale que la mission soit interrompue pour confiner l’équipage. Ce n’est que le 7 avril que la décision de l’annuler est prise. Le bâtiment regagne alors le port de Toulon.

Procédures spécifiques

Au-delà du cas du Charles de Gaulle, c’est toute la question de la gestion d’une pandémie dans les armées, qui doivent assumer leurs missions régaliennes de protection du territoire et des populations tout en préservant leurs soldats et les personnes avec lesquelles ils sont en contact, qui est posée. Un casse-tête pour une institution dans laquelle le collectif est la base du travail.

Les missions en cours ont dû se poursuivre. « La pandémie de Covid n’a pas diminué les menaces sur le plan sécuritaire, et pourrait même constituer un facteur aggravant », nous déclare un représentant de l’état-major des Armées. Pas question donc de baisser la garde, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. L’opération « Barkhane », au Sahel, qui regroupe 5 100 personnes, se poursuit, et après les premières interrogations, les relèves ont été effectuées. Simplement, les nouveaux arrivants effectuent une « quatorzaine » avant d’être déployés sur le terrain. Sur la base de Gao, au Niger, un officier supérieur du Génie nous avait montré les bâtiments de confinement destinés aux personnels qui présenteraient des symptômes. Selon le ministère, quelques cas ont été détectés, et les militaires mis en quarantaine. La mission « Chammal », au Levant, se poursuit aussi, même si les éléments chargés de l’instruction de l’armée irakienne ont été rapatriés.

Toutes les armées ont été mises à contribution : les unités de l’armée de terre, de l’air pour les transferts et le transport de matériel, de la marine notamment pour l’assistance à nos populations d’outre-mer.

En France, l’opération de surveillance « Sentinelle » continue, ainsi que la toute nouvelle mission « Résilience », destinée à assister les hôpitaux, en assurant des transferts de malades et en mettant à disposition ses savoir-faire et les personnels du service de santé des Armées.

Si les mesures prises l’ont été dans l’urgence, elles correspondent cependant à celles qui figurent dans des plans de continuité d’activités, visant à assurer la pérennité des missions en contexte dégradé, dans lesquelles sont incluses les catastrophes naturelles et les pandémies. Des procédures spécifiques gardées secrètes « pour des raisons de sécurité des opérations » . Toutes les armées ont été mises à contribution : les unités de l’armée de terre, de l’air pour les transferts et le transport de matériel, de la marine notamment pour l’assistance à nos populations d’outre-mer. Les pompiers de Paris, eux, ont effectué 9.500 missions sur des cas de Covid-19 avérés février, et ont pu soulager les médecins urgentistes embarqués avec leur nouveau système, celui des « infirmiers urgentistes » (un peu l’équivalent des « medics » américains, des superinfirmiers en mesure de poser un diagnostic et d’apporter des soins spécifiques).

Quant à l’organisation de la vie quotidienne, elle s’est évidemment transformée. Les rassemblements ont été annulés, le respect des distances de sécurité a été mis en place, les footings ne peuvent pas se faire à plus de trois personnes, le lavage des mains au gel dans les réfectoires est obligatoire, les repas sont pris à distance les uns des autres. Les masques sont distribués en priorité au personnel soignant et à ceux dont la mission ne permet pas de maintenir les gestes barrières.

Angoisse au quotidien

Mais dans la réalité, difficile de respecter ces consignes. Un sous-officier instructeur de l’école d’infanterie et d’artillerie de Draguignan, qui tient à garder l’anonymat, confie son angoisse au quotidien : « Je continue de faire cours quotidiennement à une vingtaine de stagiaires. En salle, nous ne devons pas être à plus de dix et à moins d’un mètre les uns des autres. Et nous ne devons pas monter à plus de trois dans les véhicules. Avant le confinement, j’ai été en contact avec des gens qui ont déclaré la maladie. On n’a pas de masques, alors que forcément, dans la journée, quand vous prodiguez un enseignement sur un système d’armes, vous devez vous rapprocher. Je trouve scandaleux qu’on ait maintenu les activités d’instruction. Je rentre chez moi tous les soirs, j’ai peur de contaminer ma compagne et mes enfants. On ne parle que de cela. Les stagiaires qui restent à l’école sont dans des chambres à plusieurs, ils sont confinés, mais nous, nous entrons et sortons. Et comment voulez-vous nettoyer les véhicules dans lesquels nous partons en manœuvre ? Avec des lingettes ? »

Certes, une bonne partie du personnel administratif est en télétravail, l’école semble peu remplie, mais pour ceux qui restent, l’affaire du Charles de Gaulle est dans toutes les têtes : « Je trouve que le parking se vide de jour en jour, il y a de moins en moins de monde », observe notre instructeur. Dans quelques jours, il repartira sur le terrain. Et essaiera de maintenir les gestes barrières, dans la garrigue, sous le soleil. En songeant que ceux qui continuent à nous protéger ne sont, eux-mêmes, guère protégés.

Source : Marianne

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