Chronique d’un flic #7 – La revalorisation de nos salaires n’est pas un cadeau

« Le malaise dans la police ne se soignera pas avec un caddy plus convenable », estime KSF dans une chronique où le désespoir le gagne un peu plus.

KSF*

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Il va de soi que considération rime avec valorisation. Revoir nos conditions salariales, après six années de gel dans la dernière décennie, est loin d’être un cadeau si énorme. Détrompez-vous. Cela était une avancée plus que nécessaire, ne serait-ce que pour que notre profession retrouve un peu d’attractivité. Notre métier subit tellement d’humiliations qu’il faut plus que jamais être téméraire pour avoir envie de signer. Quand mon fils me dit qu’il veut devenir «  policier comme papa  », ça me fait toujours mal au cœur. Et pourtant, notre salut passera forcément par un recrutement adéquat.

Sinon, se contenter d’un meilleur traitement salarial reste une grave erreur. Le malaise dans la police ne se soignera pas avec un caddy plus convenable. Nos syndicats ont donc par ailleurs signé un protocole, j’ai même cru voir qu’ils en étaient fiers. Je voudrais leur proposer une citation de Jacques Chirac, et ce sera la seule fois de ma carrière d’écrivain, promis : « Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. »

Voilà trois ans qu’on suffoque, qu’on gémit

J’ai pour ma part horreur du champ lexical qu’il évoque. La dernière fois qu’on a parlé de « protocole » à deux de mes proches, déjà, c’était l’aveu d’une grave maladie, mais ça s’est surtout très mal fini. Je pense qu’on connaît tous ça à notre époque malheureusement. Que notre gouvernement nous reconnaisse gravement malade. Ce n’est vraiment pas le signe de hautes études de médecine. Voilà trois ans que notre fonction souffre d’hémorragie, trois ans qu’on suffoque, qu’on gémit, trois ans qu’on essaye de nous enterrer vivants. Ne comptez pas sur moi pour leur donner une médaille, ou alors si, mais via un lance-pierre.

De manière très formelle, je ne vois pas en quoi avoir les moyens d’acheter un vase plus grand va nous aider à le vider. Ce sont tous les non-sens que notre métier suscite qui sont à la base de notre trop-plein. J’insiste sur le fait, par exemple, que nous avons payé, nous payons et nous payerons encore les errements d’une justice à la balance fébrile, qui juge qu’un kilo de peines affligés ne vaut pas un kilo de peines… J’insiste sur le fait d’un manque de moyens matériels considérable. J’insiste sur le fait qu’il suffit de sans cesse s’excuser de ce qu’on n’est pas, en fonction de ce que les médias répandent. J’insiste sur le fait que notre soumission aux flammes de l’enfer n’a que trop duré. Je pourrais tellement insister que je finirais par vous saouler…

Sachez aussi et surtout qu’on nous a fait tant de serments dans notre carrière que personne parmi nous n’a besoin d’investir dans un détecteur de mensonges.

Cocktails Molotov

Je profite également de cette tribune pour m’adresser à cette frange des Gilets jaunes qui se repassent en boucle des montages vidéo de prétendues violences policières. Tout d’abord, je trouve le procédé très malhonnête. Si on vous avait soumis tour à tour Kad Merad quittant le Nord dans sa voiture et Omar Sy laissant Philippe en plan dans un restaurant, pas sûr que vous auriez compris tous les tenants et les aboutissants de ces histoires. Je vous le répète, si on fait le bilan des violences et des blessés, la police est très largement perdante, et depuis bien longtemps. Ne vous trompez pas d’ennemis. La vie serait si facile s’il n’y avait qu’un côté cœur… mais il y a du carreau, du trèfle, du pique.

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Il y a tellement de pierres que l’on reçoit que même Trump est sur le coup pour nous les racheter pour son mur. On nous offre bien des cocktails, mais uniquement de la marque Molotov. Si peu recommandée, que même les voitures qui osent en consommer, on les retrouve complètement carbo. Il y a des vitrines de Noël tellement magiques que j’ai vu mes clients habituels passer à travers et en ressortir la hotte pleine. Il y a des marchés alsaciens d’une tradition pourtant si chaleureuse qui ont été plongés dans le froid. Il y a des gens qui ont été prêts à tirer sur la foule, avec sur le corps une ceinture d’explosifs garnie de ferrailles. Il y a des promenades de bord de mer qui se sont transformées, le temps d’un éclair, en une autoroute de larmes et de sang. Il y a des crevards qui traînent des vieilles dames sur le sol pour leur sac. Il y a des gens qui se font cambrioler le fruit de leur travail par des gens inactifs qui considèrent ça normal. Il y a des enfants qui rentrent à la maison sans leur vélo, d’autres sans leur veste, d’autres sans leur dignité, mais incontestablement, tous avec des traumatismes ! ! ! Y’en a qui te doublent, te bousculent, te crachent dessus alors que c’est toi le plus impatient dans cette putain de file d’attente ! Il y a même des parents qui se font égorger en direct sur Facebook live, au sein de leur foyer devant leur enfant de 3 ans… Oui, il y a tout un tas de raisons qui font que je ne peux pas être d’accord avec vous sur le fait que ce soit nous le problème.

J’ai relevé deux-trois choses en revanche que je ne peux pas contredire. Nous ne gagnons pas le smic en effet, nous ne connaissons pas tous la pénibilité du travail en usine et, du coup, pas non plus l’ampleur de vos fins de mois difficiles. Je comprends par conséquent que notre revalorisation soit sujet à discussion à la vue des conditions de vie de certains d’entre vous. Je voudrais vous dire cependant encore une fois que c’est en cela que la plupart d’entre nous vous soutiennent. Nous étions face à vous pour plein de bonnes raisons, comme des mauvaises, complètement étrangères à ces éléments.

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* KSF, pour K, simple flic, est policier dans la région lyonnaise.

Source : Le Point

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