Vers une hausse du prix des vaccins ? « Pfizer a une énorme marge de manoeuvre »

080_HL_MCOHEN_1368873« Les futurs tarifs dépendront de l’arrivée future d’autres vaccins, et de leur efficacité », analyse l’économiste spécialiste de la santé Nathalie Coutinet.
Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Des dirigeants de Pfizer ont laissé entendre que le laboratoire augmentera le prix de ses doses à l’avenir, alors que des rappels d’injections pourraient être nécessaires. Selon l’économiste Nathalie Coutinet, l’entreprise se trouvera de fait en position de force pour négocier ses tarifs.

Une condition durable au retour à la normale ? A en croire le PDG du laboratoire Pfizer, des rappels de vaccins anti-Covid pourraient devoir être administrés à intervalles réguliers pour éviter une reprise de la pandémie. « Une hypothèse vraisemblable est qu’une troisième dose sera probablement nécessaire, entre six mois et douze mois, et à partir de là, il y aura une vaccination à nouveau chaque année, mais tout cela doit être confirmé », a affirmé Albert Bourla, selon des propos révélés jeudi 15 avril par la chaîne américaine CNBC. Pour anticiper ce possible besoin d’immunisations répétées, la Commission européenne a annoncé avoir entamé des négociations pour commander 1,8 milliard de doses sur la période 2021-2023 : « Nous pourrions avoir besoin de rappels pour renforcer et prolonger l’immunité, et de développer des produits adaptés aux nouveaux variants », a expliqué le 14 avril sa présidente, Ursula Von der Leyen.

Les laboratoires pourraient ainsi écouler leurs vaccins sur le long terme, à travers des livraisons régulières. Anticipant cette prolongation de la demande, un autre dirigeant de Pfizer a laissé entendre qu’elle s’accompagnerait d’une hausse du prix des doses. « La demande et les prix actuels n’ont clairement pas été guidés par des conditions de marché normales. Mais par l’état de pandémie dans lequel nous nous trouvons, et les besoins des gouvernements d’obtenir des doses », a argué le directeur financier du laboratoire, Frank D’Amelio, lors d’une conférence virtuelle sur la santé le 11 mars. « Je pense que lorsque nous aurons atteint un stade endémique [une présence stabilisée du virus] les conditions normales du marché prendront le relais (…) et nous voyons cela comme une opportunité importante du point de vue de la demande et du prix », a ajouté le dirigeant, selon des propos relayés par le fournisseur de données financières Refinitiv.

Faut-il dès lors craindre que le prix de l’indispensable vaccin monte en flèche, et représente un fardeau durable pour les pays demandeurs ? Selon Nathalie Coutinet, enseignante-chercheuse à l’université Paris-XIII et spécialiste en économie de la santé, Pfizer peut en tout cas espérer se trouver en position de force à la sortie de la crise sanitaire.

Marianne : Pfizer se trouvera-t-il dans une position plus favorable pour fixer son prix en sortie de pandémie, comme affirmé par ses dirigeants ?

Nathalie Coutinet : Maintenant que l’efficacité de son vaccin est prouvée et se révèle supérieure à plusieurs de ses concurrents, cela lui donne en effet une énorme marge de manœuvre pour augmenter ses prix. D’autant plus qu’il s’agit du laboratoire avec la plus grosse capacité de production, et qu’AstraZeneca et Johnson & Johnson connaissent des difficultés. Alors que les premiers contrats portaient sur des produits qui n’existaient pas encore, et dont l’utilité était incertaine. Il faut toutefois rappeler que les laboratoires ont touché des montants élevés à travers ces précommandes : Pfizer a par exemple reçu près de deux milliards de dollars dans le cadre de l’opération américaine Warp Speed*.

Le futur prix des doses Pfizer est cependant difficile à anticiper. Son niveau dépendra par exemple de l’arrivée d’autres vaccins, et de leur efficacité. Il pourrait ainsi être modéré par la mise au point d’un autre produit à ARN messager, l’Allemand CureVac étant notamment attendu. Dans les faits, le coût du vaccin a déjà augmenté entre les commandes successives passées par l’Union européenne [le premier ministre bulgare a en effet affirmé le 12 avril que le prix par dose était passé de 12 à 19,50 euros dans le contrat le plus récent, selon des propos relayés par le site Euractiv].

Devant des actionnaires, le directeur financier de Pfizer avait évoqué un « prix normal de 150, 175 dollars par dose » début février avant que l’entreprise précise à l’AFP que ces montants ne s’appliquaient qu’aux Etats-Unis. Quelles différences de coût pourrait-il y avoir entre les marchés américains et français ?

Cela renvoie à la manière dont sont fixés les prix des médicaments dans chaque pays. En France, le tarif des produits remboursés par l’Assurance maladie est négocié entre les laboratoires et le Comité économique des produits de santé (CEPS), un organisme interministériel. Tandis qu’aux Etats-Unis, ces tractations sont gérées par des assureurs, qui disposent d’un pouvoir de négociation inférieur à celui d’une administration. Cela explique que les prix des médicaments y sont beaucoup plus élevés qu’ailleurs. Si les vaccins étaient distribués par ces circuits [et non plus via des commandes passées par les Etats, N.D.L.R.], leur prix pourrait donc être décuplé aux Etats-Unis, alors que la hausse serait plus contrôlée en France.

Les consommateurs français risquent-ils de pâtir de cette augmentation ?
On peut imaginer que les vaccins anti-Covid seront remboursés par l’Assurance maladie, à l’instar de celui contre la grippe, avec peut-être un reste à charge compensé par les mutuelles. Il s’agit donc davantage d’un enjeu pour les finances de la Sécurité sociale, avec un coût important si on le compare à l’enveloppe de remboursement des médicaments [pour 2021, le gouvernement a anticipé un coût de plus de 3 milliards d’euros des vaccins anti-Covid].

*A la suite de la publication de cet article, Pfizer a envoyé à Marianne un correctif sur son partenariat avec le gouvernement américain. Selon l’entreprise, le contrat passé avec l’équipe Trump n’incluait pas de financement du développement du produit, à l’inverse des autres laboratoires impliqués dans l’opération Warp Speed : « Pfizer n’a reçu aucun fonds public, gouvernemental ou privé pour financer sa recherche et la mise en production de son vaccin contre le Covid-19. Il est important de noter que les coûts de développement et de fabrication du vaccin Covid-19 sont entièrement autofinancés », indique la firme. Cette affirmation peut toutefois être nuancée par le fait qu’une promesse d’achats de près de 2 milliards de dollars était en soi une incitation à investir dans un nouveau vaccin, même si cet argent n’a été versé qu’au moment de la livraison des doses.

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Source : Marianne

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