TRIBUNE. Guerre en Ukraine : « Attention, d’anciens militaires français contribuent aux intérêts du Kremlin »

Patrick Chevallereau est un vice-amiral français, senior fellow et administrateur de l’Institut Open Diplomacy. Fin connaisseur des enjeux de défense et de la question européenne, il alerte sur l’appui d’anciens responsables militaires français à une narration pro-russe de la guerre en Ukraine. 

Vice-amiral (2S) Patrick Chevallereau 18/01/2023 à 11:59, Mis à jour le 18/01/2023 à 12:02

Un quartier en ruine après une attaque de drone russe, dans la région de Kyiv, en Ukraine, le 19 décembre 2022 © REUTERS/Valentyn Ogirenko

Voici sa tribune. « Depuis le début de l’agression militaire russe contre l’Ukraine et la réalité quotidienne de sa barbarie, chacun peut observer un phénomène qui devrait inquiéter tous ceux qui sont attachés à la défense de nos intérêts de sécurité et à la stabilité du continent européen : sur les réseaux sociaux souvent, sur des plateaux de télévision parfois, d’anciens responsables militaires n’hésitent pas à relativiser ou à inverser la charge des responsabilités qui sont à l’origine du pire conflit que connaît l’Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ces anciens militaires, de manière plus ou moins appuyée, épousent ainsi le narratif du Kremlin.

Peu d’analystes se sont interrogés jusqu’à présent sur les causes de cette aberration intellectuelle et morale qui a cours dans un milieu où les notions de rigueur, d’éthique et de loyauté sont pourtant consubstantielles de celle d’engagement au service du pays. 

Idéologie, politisation et aveuglement

Plusieurs facteurs, la plupart de nature idéologique ou politique, contribuent à cette situation :

  • Un sentiment russophile existe depuis longtemps au sein d’une partie de la France traditionnelle, voire traditionnaliste, dont certains officiers sont issus : une « Sainte Russie », cœur d’un monde slave fantasmé, constituerait une sorte d’allié civilisationnel face à un Sud islamiste et conquérant ;
  • Une confusion s’est installée dans certains esprits entre les vertus de l’autorité, notion logiquement cultivée au sein de l’institution militaire, et une sorte de fascination pour l’autoritarisme de la démocrature russe ;
  • À travers un patriotisme qui se fourvoie, certains adhèrent à l’idéal d’une France « souverainiste » dont les différents promoteurs politiques cultivent tous une aversion viscérale pour le projet d’une Europe puissante et unie, et d’un lien transatlantique fort. Ces deux points, parce qu’ils constituent ensemble un centre de gravité de la sécurité des démocraties occidentales, sont une cible prioritaire de Vladimir Poutine ;
  • D’autres – les mêmes parfois – ont développé des sentiments anti-atlantistes souvent alimentés par une ignorance de l’OTAN et, quelquefois, par la frustration de s’être trouvés eux-mêmes à travailler dans l’environnement de cette organisation, sans toujours en maîtriser les subtilités, les codes ni même parfois la langue de travail, point de passage obligé pour pouvoir s’y imposer.

On peut aussi ajouter que le rythme et l’exigence des opérations menées au Sahel et au Levant par nos armées depuis 2013 ainsi que les grands attentats de 2015-2016 sur le territoire national, ont entraîné certains chefs à hiérarchiser les priorités, au point parfois (et sans que ceci ne relève d’une quelconque idéologie), de quasiment écarter l’idée d’une menace russe pourtant potentiellement existentielle.

Dangereuse nébuleuse

Quels sont donc aujourd’hui les principaux cercles ou vecteurs, proches de l’institution, à travers lesquels ces différentes sensibilités s’expriment ? Des sensibilités qui, parfois, se recoupent et, finalement, servent toutes la guerre hybride que nous mène la Russie depuis des années.

Il existe aujourd’hui essentiellement le milieu des officiers retraités et des officiers généraux en 2ème section. Une petite partie d’entre eux s’est engagée activement auprès de personnalités politiques notoirement anti-européennes et anti-atlantistes : le général de la Chesnais , ancien numéro deux de l’Armée de Terre, comme directeur de la campagne présidentielle du candidat Zemmour, ou d’autres auprès de Nicolas Dupont-Aignan . Le cas de Jean-Michel Cadenas, ex-officier de gendarmerie et chef de file du Rassemblement National en Mayenne est plus emblématique d’un soutien directement affiché à la Russie. Extrêmement actif sur les réseaux sociaux dans lesquels il déverse son fiel, cet ancien militaire consacre depuis le début de l’invasion russe une part importante de son activité en ligne à dénigrer l’Ukraine et à critiquer l’aide des Occidentaux à Kiev.

De manière tout aussi préoccupante car ceci concerne de plus jeunes générations d’officiers, le milieu de l’enseignement militaire supérieur n’a pas été épargné. Il s’est en effet parfois ouvert à des doctorants à l’idéologie prononcée et aux engagements politiques ultérieurement révélateurs. Le colonel de la réserve opérationnelle Caroline Galactéros, directrice du très anti-atlantiste institut Géopragma et proche d’associations d’officiers de réserve, copinant avec le Dialogue Franco-Russe de l’eurodéputé RN Thierry Mariani , est devenue le temps de la campagne présidentielle conseillère géopolitique du candidat Éric Zemmour. Elle avait œuvré comme directrice de séminaire à l’École de Guerre lorsque le général Vincent Desportes en était le directeur. Celui-ci, reconverti aujourd’hui dans le commentaire géostratégique exalté, n’hésite pas à aller se compromettre sur les plateformes pro-russes et anti-atlantistes que sont Omerta, Elucid et le Dialogue Franco-Russe. Le géopolitologue complotiste Aymeric Chauprade quant à lui, ex-conseiller affaires internationales de Marine Le Pen, a été jusqu’en 2009 directeur de cours au Collège Interarmées de Défense. Une façon, en quelque sorte, de faire entrer dans la bergerie les loups d’une extrême-droite au discours géopolitique aligné sur celui du maître du Kremlin.

Outre Géopragma, on peut aussi s’arrêter sur le cas du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), dirigé par Éric Dénecé, une officine particulièrement complaisante avec les thèses du Kremlin quand elle ne se charge pas de les relayer. Or, lorsque que l’on consulte la gouvernance de ce think tank, il apparaît que pas moins de trois officiers généraux en 2ème section ou en retraite sont membres aujourd’hui de son comité stratégique.

Bien sûr, cette « nébuleuse militaire » mêlant russophilie, anti-atlantisme ou (au mieux) approche géopolitique relativiste, préexistait au 24 février 2022. L’omniprésence médiatique de la guerre déclenchée par Moscou et les réseaux sociaux l’ont simplement exposée à la lumière. Elle n’est malheureusement que la partie visible d’une confusion des esprits plus étendue et plus enracinée qu’on pourrait le croire, même si ceci ne concerne qu’une minorité de l’institution militaire.

Agir à l’heure de cette guerre hybride et globale

Minoritaire, le phénomène n’en est pas moins préoccupant car ces opinions ou ces sensibilités, qu’elles se manifestent par des engagements publics ou de manière plus discrète, n’épargnent aucune des armées. Surtout, elles nient souvent le caractère menaçant des visées et des modes opératoires russes pour les démocraties européennes. Cette réalité a pourtant été exprimée et renforcée au fil de chacune des revues stratégiques nationales publiées depuis dix ans (revues – et actualisations – stratégiques de 2013, 2017, 2021 et 2022). Et ces documents ne présentent aucune ambiguïté sur nos alliances.

Dans un tel contexte, il paraît important de traiter ce qui pourrait être un élément de vulnérabilité interne au sein d’une institution pourtant situé en première ligne pour la défense du pays. Au-delà d’actions immédiates à prendre – ou peut-être en partie déjà prises -, ce sera notamment dans le cadre de la nouvelle fonction stratégique « Influence », présentée dans la revue nationale stratégique publiée en novembre 2022, qu’il conviendra de décliner de manière concrète les dispositifs de « contre-influence » à mettre en œuvre. Il s’agit d’une question de sécurité nationale. »

Source : Le JDD

Note de la rédaction de Profession-Gendarme :

Ayant eu connaissance de cet article, le Général Dominique Delawarde répond au propos du Vice-amiral (2S) Patrick Chevallereau. Nous avons publié cette réponse le 20 janvier 2023.

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IRIS – CHERCHEURS

Patrick Chevallereau
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Chercheur associé à l’IRIS
chevallereau@iris-france.org

Patrick Chevallereau

Patrick Chevallereau est chercheur associé à l’IRIS, consultant international sur les questions de défense et de sécurité.

Distinguished Fellow au think tank Royal United Services Institute (RUSI), spécialiste des relations transatlantiques et franco-britanniques, ainsi que des sujets de sécurité et de sûreté maritimes, il donne des cours à l’université de Clermont-Auvergne. Il intervient dans les médias et est l’auteur de plusieurs articles tant dans la presse française que britannique.

Ancien pilote de l’aéronautique navale, il a tenu, en tant qu’officier général, plusieurs postes à l’état-major des armées, dont celui de chef de la division « Euratlantique », et au commandement stratégique de l’OTAN à Norfolk (USA). Il a assuré des responsabilités interministérielles comme secrétaire général adjoint de la Mer, en charge de l’Action de l’État en Mer à l’échelon central. Vice-amiral, il a occupé dernièrement le poste d’attaché de défense au Royaume-Uni, notamment dans le contexte du Brexit. Il a quitté le service actif en 2018 après 38 années d’activité.

Source : Iris-France.org

il oublie d’évoquer ses multiples conflits d’intérêt… C’est ce que l’on appelle un atlantiste pur et dur, dévoué à ses maîtres états-uniens et macroniens, bien loin des positions du général de Gaulle. (citation du Général Delawarde)

« Polls US civil war 2023 »

(Sondages Guerre civile américaine 2023)

Les publications sur les images ci-dessus, sont accessibles en allant sur le lien source.

Source (en anglais) : https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=Polls+US+civil+war+2023

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