Suicides dans la police : «Il avait choisi de mourir sur son lieu de travail»

Comment un service peut surmonter le suicide de l’un des siens ? Un responsable hiérarchique décrit le traumatisme toujours présent cinq ans après le suicide d’un de ses collègues au commissariat.

JH3OCU4GIVBZ5SLGAJSJKMET4ESur les 46 policiers qui se sont suicidés, cinq d’entre eux se sont donnés la mort sur leur lieu de travail. (Illustration) LP/Olivier Boitet

Dans la mémoire de son téléphone portable, une photo d’apparence anodine. On y voit un groupe d’hommes en uniforme face à l’objectif. En nous la montrant, le regard de notre interlocuteur, un officier de police, se voile. Le cliché est pris à la sortie d’un crématorium de région parisienne, souvenir ressuscité de l’hommage rendu à un policier qui vient de se suicider. Cinq ans plus tard, la douleur est toujours présente chez celui qui était le supérieur du défunt. La mort d’un flic, c’est une cicatrice que l’on n’exhibe pas en dehors de la famille. Une douleur, sur laquelle on s’épanche rarement.

Paul* était brigadier-chef. « Depuis quelques mois, il répétait : Je vais partir. Vous allez voir, se remémore l’officier. Nous pensions qu’il faisait des cachotteries sur une future mutation. Quand ses collègues lui demandaient des précisions, il se bornait à répondre : Vous recevrez un télégramme. Personne n’imaginait alors les tourments qu’il traversait. »

Une nuit, vers une heure, la sonnerie du portable de notre interlocuteur retentit. La routine. À l’autre bout, une voix blanche : « Paul s’est mis une balle. Il avait choisi de mourir sur son lieu de travail, au commissariat. Dans de telles circonstances, quand on occupe des fonctions hiérarchiques, poursuit l’officier, il faut d’abord accompagner la détresse du service puis, le lendemain, affronter celle de la famille qui veut voir son lieu de travail, son vestiaire, l’endroit où il a vécu ses derniers instants. »

«Des drames comme celui-ci, j’en vivrai d’autres»

L’enquête révèle que Paul a marché vers la mort avec méthode, pas après pas : « C’était un suicide construit. Fermeture des comptes bancaires, virement d’argent à ses enfants, vente de sa voiture et de sa moto : il avait mis sa vie en ordre avant de partir. » Dans l’hôtel de police, le premier réflexe est le repli sur soi : « Il a fallu convaincre les collègues de recevoir les psys qui s’étaient déplacés pour nous rencontrer. Personne ne voulait les voir. Ils sont finalement restés trois jours. C’est finalement quand tu rentres chez toi, épuisé, que tu réalises ta solitude face à tant de souffrances. Je n’ai pas honte de le dire : je me suis mis à pleurer. »

Le dernier mot de Paul sur les ondes de son service fut pour ses collègues. Bon courage à tous. Dans la foulée, une détonation. Silence radio. Il vivait en couple. N’a laissé aucune lettre derrière lui pour expliquer la raison précise de cette balle dans le cœur. « Les mêmes questions nous taraudent surtout quand on fait partie de la hiérarchie : « A quel moment ai-je manqué quelque chose? », se demande aujourd’hui à voix haute l’officier. « Aujourd’hui, je ne sais toujours pas pourquoi il a fait ce choix. Ce manque d’explication ajoutée à l’absence, c’est dur à vivre. » Surtout quand on est taraudé par cette certitude : « Des drames comme celui-ci, j’en vivrai d’autres. »

*Le prénom a été changé.

Source : Le Parisien

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *