Suicide de policier : Lettre à mon ami Claude.

Bien que s’agissant ici  d’un de nos collègues Policier, Profession-Gendarme a tenu à vous soumettre cette Tribune qui aurait pu ou pourrait concerner des Gendarmes et prendre le         titre de :   « Suicide de gendarme : Lettre à mon ami Claude. »

Tribune Libre

 

marc louboutinSuicide de policier : Lettre à mon ami Claude.

 

Une fois encore le matin frappe avec une triste nouvelle : Un policier vient de tenter de mettre fin à ses jours la nuit dernière.

 

Une «simple» tentative me dira-t’on. De celles qui ne sont pas évidemment comptabilisées dans les plus ou moins 50 suicides de policiers par an depuis des années, et cela dans l’indifférence générale.

 

Pourquoi alors en parler ? Parce que ce policier, Claude, est un de mes amis. Et parce que son geste de désespoir, lui qui est père de famille, mari et passionné par son travail est tout à fait symbolique de ce malaise chez les vrais flics, celui que personne ne veut voir, entendre, comprendre ou même juste aborder.

 

Il y a quelques jours je l’ai eu longuement au téléphone. Il était écœuré, dégoûté, à bout. Je n’ai sans doute pas su trouver les mots. Pas su entendre qu’il n’était pas seulement en colère mais usé jusqu’au point de rupture. Je m’en veux. Si ce matin il n’était pas dans une chambre d’hôpital en train de se remettre mais malheureusement décédé, gageons que l’administration, dans une ultime gifle à sa femme et à sa fille, aurait communiqué son laconique et sempiternel : « geste causé pour des raisons personnelles ».

 

Cette ancienne « grande maison », en devenant une niche de clebs politiques, ne recule plus devant le mépris total de la vie des hommes et femmes de terrain et de leur réputation.

 

Tu as laissé, Claude, un dernier message sur ta page facebook avant de passer à l’acte, d’absorber des médicaments pour éviter sans doute à ta femme, également policier, et à ta fille le traumatisme d’une mort violente et leur laisser une image apaisée. « Mieux la fin que le déshonneur … »

 

Mais Claude, tu le sais pourtant bien : « ils » ne savent rien de l’honneur…

 

Tu devais passer ce matin au Tribunal Correctionnel. Pour une histoire de rébellion. Pourtant considérée avec un usage de la force strictement nécessaire pour maîtriser le mise en cause par l’IGPN, que l’on sait peu encline à faire de cadeaux aux fonctionnaires de police malgré la légende urbaine. Sans dépôt de plainte de l’individu interpellé qui reconnaissait avoir eu l’initiative des violences contre toi et tes collègues. Qui n’avait d’ailleurs pas été blessé contrairement apparemment à un des policiers intervenant. Lors d’une interpellation filmée par des caméras, ce que vous saviez puisque requis justement par les opérateurs-vidéo. Tu devais donc passer en jugement – et dans une urgence judiciaire fébrile et impatiente – à la seule initiative d’un Procureur. Il a le droit de l’initiative des poursuites. Il a donc estimé, le cul enfoncé en sécurité dans son fauteuil confortable, lui qui n’a jamais mis les pieds dans la rue, et encore moins connu sa violence, qu’il était de son «devoir » de vous juger au plus vite. De vous condamner d’avance. L’irresponsabilité est aussi dans son statut privilégié, et qu’importe donc les conséquences…

 

C’est dégueulasse.

 

On t’avait prévenu que les « flics à l’ancienne », de ceux qui ne reculent pas pour faire leur devoir, étaient une catégorie à faire disparaître à Marseille. Qu’il faillait les sacrifier au nom de la bien-pensance non violente qui ordonne de laisser le terrain aux voyous plutôt que de risquer des soubresauts médiatiques, des polémiques pour défendre ces éternelles victimes de la société, dont la violence et toutes les exactions doivent être examinées au seul prisme de la « culture de l’excuse ». Pour t’écœurer encore plus, et te pousser à abandonner le terrain, on t’a imposé également l’humiliation, contre toutes les règles administratives, de travailler désormais sous les ordres de moins gradés – mais sans doute plus malléables – que toi.

 

C’est dégueulasse.

 

Oubliés tes états de service d’une qualité rare dans la police, tes décorations obtenues au feu, de celles que ta hiérarchie ne portera jamais sauf en cadeau-paquetage avec l’avancement du aux serviles courbeurs d’échine. Oublié ta vocation depuis 25 ans et ton sens du sacrifice. Tout cela ne vaut rien dans la société d’aujourd’hui. Pour personne. Ni pour certains magistrats qui se délectent de chasser les « baqueux » sur dossier suspicieux comme d’autres traquent les vrais délinquants en flag au péril de leurs vies, ni pour une hiérarchie engluée entre consignes politiques, attente de la prime annuelle et carrière sans accroc et sans risque… Sans parler de la majorité de la population qui s’en branle et des journalistes prompts pour trop d’entre eux à jeter de l’essence pour commenter l’éclat du buzz de leurs propres incendies en crachant sur notre uniforme.

 

C’est dégueulasse.

 

Tu vois Claude, tout cela n’est pas nouveau, cela fait des années que cela dure. C’est même devenu désormais une règle mais tu voulais croire, trop fort, que cela ne te toucherait pas. Que tu pourrais résister. Tu voulais penser qu’il restait de l’honneur où ne règnent en maître que la médiocrité et le renoncement. C’est pour cela que tu fais partie des meilleurs d’entre nous. Mais à quel prix ?

 

Après le suicide, en 1996, d’un de mes meilleurs amis, le Commandant Yannick Collot, à peu près pour les mêmes raisons que ton désespoir, un responsable syndical avait écrit au Ministre de l’Intérieur Debré pour dénoncer avec force ce gâchis humain en concluant : « Il faut arrêter, Monsieur le Ministre, et redevenir des êtres humains. » C’était oublier que les politiques n’ont pas sentiments mais seulement des ambitions glaciales. Et ils n’ont pas changé : ils vont mêmes de pire en pire avec le temps. Le suicide des policiers ils s’en cognent, je le sais je les ai tous sollicité, de droite comme de gauche. Un flic qui se flingue, c’est juste un matricule à rayer sur la liste des effectifs. Dix, vingt, cinquante ou cent, quelle différence ? Seul reste la douleur des proches qu’ils méprisent tout autant.

 

C’est dégueulasse.

 

Un Brigadier-chef retraité que j’avais eu à défendre syndicalement m’écrivait, après avoir été condamné dans les années 2000, sans preuves et sans aucun témoignages des mises en cause à la barre, aussi injustement que ton ressenti sur ta citation comme un vulgaire et méprisable délinquant au Tribunal : « Beaucoup de flics vont …/… j’espère se sentir moins seuls et moins sales et se dire l’inverse que je que je me suis dit en partant : que ma vie professionnelle n’avait servi à rien ni personne et que tout cela avait été vain, que nos enfants vivraient dans un monde encore plus dégueulasse que celui dans lequel nous étions nés. Reste le dégoût ; des politiques, des institutions, des gens qui agissent au nom de la légalité ou de la République avec toute la latitude permise à ceux qui n’ont jamais à rendre compte à titre personnel de leurs décisions. Tout le contraire des flics de base. »

 

L’honneur, le tien Claude, le seul qui soit important, n’est pas tâché. Il est toujours debout dans ce champ de médiocres rampants. Tu n’as rien à te reprocher. Tu as fait ton devoir jusqu’au bout de ce qui était humainement possible. Nous ne pouvons pas lutter contre le naufrage de cette société qui laisse entrer à plein flots ce mépris d’elle-même qu’elle cultive, qui se saborde de brèches honteuses qui la condamnent.

 

Il te reste, en reprenant pleine conscience, à te souvenir qu’avant d’être un flic plus qu’un fonctionnaire tu es, toi, un vrai être humain. De ceux qui peuvent garder la tête haute. Que tu vaux bien mieux que partir ainsi par la porte de service d’une existence que tu avais décidé de dédier à la sécurité des autres. Ils ne te méritent pas.

 

Il te reste ceux qui autour de toi sont heureux de t’aimer. Ta femme, ta fille, ta famille et tes amis. Ils sont aujourd’hui en colère contre ce que tu as subi, tristes, mais surtout t’attendent avec impatience. Parce ce sont eux qui sont les seuls essentiels pour qui garder fierté, honneur, affection et toutes ces qualités humaines qui font de toi quelqu’un de rare. Le reste n’est qu’accessoire déjà moribond et sans valeur.

 

Il te reste à vivre pour eux. Pour nous. Pour toi, donc.

 

Il te reste aussi à venir boire des bières chez moi sur le port. Nous cracherons en riant dans la mer comme sur les pompes des minables aux commandes. Cela ne servira à rien, c’est sûr, mais nous pourrons le faire sans honte et en nous regardant en face. C’est un luxe inaccessible à ces imbéciles.

 

Remets-toi bien et vite mon ami, mon camarade. En ayant hâte de te serrer dans mes bras et de t’entendre rire de nouveau.

Marc Louboutin

Source :    7seizh.info

 

 

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