Seine-Saint-Denis : Babeth, la policière qui a inspiré le dernier roman du flic écrivain

8043054_d0d2a0d6-52f7-11e9-bc02-115684b741bd-1_1000x625Pour Babeth, la police était un rêve d’enfant. Elle est restée dans l’institution, même après son agression en 2002 à Pantin. Elle témoigne pour la première fois. LP/C.S.

Malgré son agression à Pantin en 2002, Babeth, 43 ans, est toujours dans la police. Son ami, ancien collègue et romancier, Oliver Norek s’est inspiré de son histoire. C’est la première fois qu’elle revient sur cette épreuve qu’elle a traversée.

C’est à elle qu’Olivier Norek dédie son dernier livre. «Babeth, Noémie Chastain te doit beaucoup. Elle a ton courage et ta force», écrit l’ancien flic de la PJ 93 (déjà 450 000 livres vendus) dans son dernier roman, Surface. Noémie Chastain, capitaine de police défigurée par une balle en pleine tête. Babeth, gardien de la paix stagiaire, le visage en miettes sous les coups.

C’était à Pantin (Seine-Saint-Denis), dans la cité des Pommiers le 24 juillet 2002. Deux jeunes partent en courant à l’approche des trois policiers en VTT, une odeur de cannabis s’échappe du hall, les fonctionnaires contrôlent ceux qui sont là. Mais Babeth se retrouve au sol avec un adolescent fluet qui se rebelle. «J’ai reçu un coup de pied venu de derrière dans la tête», raconte-t-elle. Un de ses collègues l’a cru morte.

Elle avait 25 ans, elle était gardien de la paix stagiaire en VTT depuis 8 mois. Elle voulait le 93. La mâchoire fracturée, le menton pendant, tout le côté droit de son visage était en miettes. Des plaques, des vis, huit semaines à ne se nourrir qu’à la paille de compotes et de yaourts dilués, la mâchoire retenue par des filins d’acier. A l’hôpital, le premier jour, sa mère est passée près d’elle sans la reconnaître. Aucun miroir dans la chambre d’hôpital ni de télé. «Tout le monde voulait me protéger mais je me voyais dans le regard des autres», se souvient-elle.

Nicolas Sarkozy l’appelait tous les jours

Le chirurgien a fait des miracles mais Babeth ne se reconnaît toujours pas dans la glace. L’oeil, le nez, les sensations, les douleurs encore tenaces dix-sept ans plus tard : tout a changé. Il ne faut surtout pas prendre en photo son profil droit, ses amis le savent. Et c’est à eux, amis, famille, collègues, qu’elle attribue sa renaissance. Elle garde comme une relique les lettres de soutien, dont celles des habitants des Pommiers qui lui écrivaient leur tristesse.

Des « patrons » envoyaient une voiture la chercher pour ses soins, le préfet, les directeurs, et même un ministre, Nicolas Sarkozy, l’appelaient tous les jours. «La petite courageuse de Pantin» était un sujet politique, elle le sait, une mascotte dans la maison police, aussi, et ça l’a aidée même si elle ne cherche pas la lumière. «J’étais invitée à dîner avec des femmes extraordinaires, alors que moi je m’étais juste fait casser la gueule…» explique Babeth, le caractère bien trempé. Mais après tout, sa mère lui a toujours dit, «s’il y a quelque chose, dis le!».

L’agression n’a pas ébranlé sa vocation ni ses idéaux. Encore fallait-il l’aval d’un psy pour retrouver le terrain. Et quand on se dit que tout va bien, ce n’est pas facile à admettre. «Je refusais d’y aller, j’avais peur qu’il me trouver débile», dit-elle. Finalement, elle baisse la garde et obtient le sésame. «Tu ne t’es pas simplement fait casser la gueule, t’es encore là et il est là ton courage» salue un divisionnaire qui lui permet d’intégrer la brigade canine.

« Tout ce que je vis maintenant, c’est du bonus »

Son retour sur le terrain est en juillet, un soir de feu, où il faut secourir des collègues, sous les tirs de mortiers. «On s’équipe, et là je panique», avoue Babeth. Deux collègues la rassurent, une main sur l’épaule, le chien devant. «Ils ne m’ont pas lâchée» se souvient-elle. C’était reparti pour de bon.

«Tout ce que je vis depuis 2002, c’est du bonus», lance Babeth, brigadier chef, qui fête chaque 24 juillet comme un anniversaire. Elle a eu beaucoup de mal à lire les 100 premières pages de «Surface». «Même si c’est très romancé, j’ai eu un bad trip… Avec Olivier on a toujours parlé comme ça, sans entretien, et il a tellement bien retranscrit ce que j’ai pu ressentir.»

Babeth croit au destin. Elle a rejoint les rangs de la PJ, en Seine-Saint-Denis, toujours. «J’aurais peur de quitter le département, ici je me sens chez moi».

POUR L’ECRIVAIN, « C’ETAIT UN CHALLENGE »

«En 2019, on a tout fait, tout écrit, mais jamais encore on n’a connu d’héroïne défigurée, on ne touche pas au visage des femmes dans les romans » raconte Olivier Norek. La vie est moins regardante. Avec ses quinze ans de police, les gueules cassées, il connaît.

LIVRE OLIVIER NOREK - SURFACEOlivier Norek/BRUNO CHABERT

«C’était pour moi un challenge, savoir si je pouvais décrire ce que ressentais une femme, qui plus est défigurée dans un monde où tout passe par la superficialité de l’image », explique l’écrivain qui vit toujours en Seine-Saint-Denis.

Il a une profonde tendresse pour Babeth. Ils se sont rencontrés quand elle était à la brigade canine. Il a absolument tenu à tester une attaque de chien, et il s’en souvient encore. Pour Norek, « Babeth frôle la mort, lui rit au nez et retourne au boulot». Brisée, reconstruite, vivante, tout comme Jamy, Stéphane, Corinne, accidentés de la vie après une perte totale de mémoire ou un accident domestique. Il a essayé d’imaginer ce qu’ils pouvaient ressentir, et leur a demandé à la fin de lire le livre.

Dans Surface, il délaisse la Seine-Saint-Denis et la jungle de Calais, pour s’immerger plus au sud, dans les entrailles d’un Aveyron qui lui est familialement très cher.

La notoriété grandissante de cet ancien flic qui excelle dans l’art du suspense n’a rien changé à son hypersensibilité. Ses quatre précédents ouvrages (la trilogie Code 93 »/Territoires/Surtension et Entre deux Mondes (Lafon)) cumulent déjà 420 000 ventes. Et on pourrait parier que Surface, ne tardera pas non plus à être au sommet des ventes.

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« Surface » (Ed. Michel Lafon), 425 p, 19,95 € sort le 11 avril. 

Source : Le Parisien

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