Secret des affaires. Irène Frachon se fâche

Jeudi, à l’occasion de ses vœux à la presse, Emmanuel Macron s’est voulu rassurant sur « le secret des affaires »,l’un des volets polémiques de sa loi « pour la croissance et l’activité ».

Le Dr Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, qui avait révélé le scandale du Mediator, a découvert « avec effarement » l’amendement de la loi Macron instaurant un « secret des affaires » susceptible d’écarter journalistes et lanceurs d’alerte. « Avec cet amendement, l’affaire du Mediator ne serait jamais sortie », prévient-elle.

Pourquoi estimez-vous que cet amendement est dangereux ?
Avez-vous lu l’amendement initial ? C’était… terrifiant ! Une information devenait protégée dans la mesure où celle-ci avait « une valeur économique » ou encore parce qu’elle n’était « généralement pas connue ou aisément accessible ». Cela voulait dire, pas question de mettre le nez dans nos affaires ! Pas d’investigation possible ! C’est tout simplement incroyable. C’est une chape de plomb qui s’abat avec le verrouillage de toute info qui pourrait gêner les intérêts d’un industriel. Qu’elle provienne de la presse ou d’un lanceur d’alerte.

Cela vous a immédiatement fait penser à l’affaire du Mediator ?

Oui ! Sortir cette affaire, vous vous en souvenez, n’a pas été une promenade de santé. C’est grâce au relais de la presse que le scandale a véritablement éclaté. Le livre que j’avais écrit et qui donnait l’alerte avait été censuré par le tribunal de Brest. Les motifs donnés par le jugement donnent un aperçu de ce que serait le prétexte du « secret des affaires » : le sous-titre « combien de morts » avait été censuré parce que cette mention était, je cite, « une imprudence par l’important discrédit qu’elle pourrait faire supporter au fabricant du produit et les conséquences sur l’image de ce dernier, et, par là-même, son activité industrielle, économique, et commerciale » et dépassait « à l’évidence la seule liberté d’expression en matière de presse ». Avec l’amendement de la loi Macron, en sus de la censure, c’était le spectre de la ruine et de la prison ! Je n’aurais personnellement jamais eu le courage d’affronter cette perspective et certainement renoncé à publier mon livre.

Le revirement du gouvernement, hier matin, qui promet d’amender l’amendement (sic) pour garantir la liberté de la presse, la liberté d’information et la liberté d’investigation vous satisfait-il ?
Les derniers éléments qui m’ont été communiqués, hier midi, ne me rassurent pas du tout. Il est, par exemple, fait mention d’un risque « grave » pour la santé pour échapper à cette loi. Tout est dans ce terme de « grave » et son appréciation. Le diable se glisse dans les détails. Dans le jugement qui a condamné mon éditeur à retirer le livre sur le Mediator (NDLR, le jugement a été cassé en appel, huit mois plus tard), c’est bien la contestation du mot « grave » par le juge qui a abouti à cette condamnation, ainsi que la préservation de l’intérêt commercial de la firme. Servier estimait que je surévaluais le risque et contestait la gravité des faits dénoncés…

Quelle solution s’impose à vos yeux ?
Il me semble qu’il faut retirer la totalité de l’amendement et le réécrire plus tard, après audition de lanceurs d’alerte et de journalistes. Pour moi, le problème a été abordé à l’envers. Si on doit protéger les firmes de l’espionnage industriel, ce n’est pas en muselant la critique.

Source : Le Télégramme

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