Sahel : ces maladresses politiques françaises qui fragilisent l’opération Barkhane

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Treize soldats français engagés dans l’opération Barkhane ont été tués au Mali dans la collision accidentelle de leurs deux hélicoptères de combat le lundi 25 novembre. La France tente de mobiliser des alliés au Sahel afin de lutter contre le djihadisme.

Alexandre Del Valle (géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France Soir, Il Liberal, etc.))

Atlantico.fr : L’Afrique noire musulmane autour du Sahel est le lieu au monde aujourd’hui où l’on paye le plus lourd tribut dans la lutte contre le djihadisme. Chaque jour, des dizaines de personnes trouvent la mort dans des attentats, des Eglises sont attaquées et des groupes armés comme Boko Haram au Cameroun, le Katiba Macina au Mali ou encore Daesh au grand Sahara coopèrent entre eux contre les populations locales.

Ce jeudi, Emmanuel Macron a reçu à l’Elysée le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg. Le Président français a fait part de son incompréhension face à l’attitude de l’OTAN et a réitéré son souhait de mener une véritable coalition au Sahel pour défaire le djihadisme.
Qu’en pensez-vous ?

Alexandre del Valle : Afin de lutter contre le terrorisme islamiste qui est une menace globale, croissante, idéologique et de plus en plus létale (plus de 150 000 morts dans le monde direct et 1 million indirect), il est certain que la France ne peut se battre seule dans un pays qui fait trois fois sa taille et dans une région qui équivaut à l’ensemble de l’Europe. On a besoin des moyens logistiques de l’OTAN et d’une réelle coopération avec les Etats-Unis que ce soit en Syrie ou au Mali. Il est impératif de s’entendre avec les américains et nos partenaires de l’OTAN pour deux choses : être plus efficaces mais surtout pour ne pas être seuls dans certains théâtres d’opérations, comme c’est le cas au Mali. Défendre l’Etat malien contre le fait qu’il devienne une base terroriste est extrêmement important. La France ne peut plus se battre seule dans cette zone. Il y a certes des intérêts stratégiques, économiques et industriels avec notamment  l’uranium  dans la zone Burkina Faso-Niger-Mali, mais il ne faut pas oublier que l’on se bat aussi pour l’ensemble de l’Europe. Si l’on continue seul, nos matériels vont s’épuiser rapidement et les conditions météorologiques comme les tempêtes de sable ne vont rien arranger. On ne pourra pas rester éternellement seuls. Soit l’armée française partira et les djihadistes reprendront ces zones et progresseront partout, soit on reste mais avec plus de coopération politique car il est vrai qu’il y a pu avoir des erreurs par le passé. Nos militaires font du très bon travail mais sur le plan politique, nous avons pu faire des erreurs.

Jean-Yves Le Drian a demandé aux dirigeants du Mali et du Burkina Faso d’agir sur le plan politique. Peut-il y avoir une vraie coopération venant de ces pays ?

La France a 4500 militaires déployés dans une région de la taille de l’Europe et dans un Etat si pauvre qu’il n’a pas la capacité d’être bien armé ou bien formé. Il est clair que les partenaires européens et de l’OTAN doivent mettre la main au portefeuille. Il faut plus de moyens pour la formation de militaires maliens qui sont des hommes courageux et d’une extrême bravoure. Il leur manque de la formation, un meilleur encadrement et plus de matériel logistique. Il faut que nos partenaires comprennent que le Mali n’est pas seulement un intérêt français mais global dans la lutte contre le djihadisme et que si ce maillon tombe, il y aura de fait un effet boule de neige avec le Burkina Faso ou d’autres pays fragiles comme le Bénin ou la Mauritanie. On constate depuis un certain nombre d’années – en partie dû au réchauffement climatique – une migration assez importante de peuples nomades comme les peuls. Ces peuples ont eu par le passé de grands empires islamiques comme l’empire Massina, mais aussi un passé djihadiste dans lequel les populations étaient coutumières de pillages, de razzias et de terreur. Lorsque les phénomènes peuls, nomades et éleveurs migrent vers le sud en recherche de terres, cela se fait au détriment de peuples sédentaires et crée un choc civilisationnel et sécuritaire. On retrouve ces populations peules au Bénin, au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger, c’est pourquoi il est nécessaire d’éviter une contamination djihadiste dans ces pays. Il faut comprendre que le djihadisme n’est pas l’apanage de quelques voyous qui terrorisent les populations. Si l’on prend l’exemple de l’Irak, il était aisé de voir que des villes entières acclamaient les djihadistes et que certaines villes Sunnites ont été conquises sans faire un seul mort. Cette lame de fond ne pourra pas être arrêtée par 4500 militaires français, c’est inconcevable.

Etes-vous optimiste pour la suite ? Va-t-il y avoir une réponse positive de l’OTAN ?

Je ne suis pas optimiste car aujourd’hui, lorsque l’on voit depuis 30 ans la difficulté des américains à demander plus d’argent aux européens dans le budget défense (2% du budget national de chaque pays), je ne suis pas convaincu. Avec les dettes et les déficits publics, l’Europe se montre très réticente à l’idée de mettre de l’argent dans ce budget alors que c’est pourtant quelque chose de statutaire. De plus, combien de pays européens veulent envoyer des militaires mourir pour les maliens ? En Italie par exemple, des observateurs disent ne pas vouloir mourir pour des « colonialistes français ». Au Mali également, de plus en plus de gens hurlent des slogans comme « Dégage la France ! », « Halte au colonialisme ! » ou encore « Les russes plutôt que les français. » Beaucoup de maliens veulent une présence française durable pour juguler le djihadisme, mais un sentiment de colonisation se fait sentir dans une partie de la population. A titre d’exemple, une erreur de la France a été d’interdire les journalistes et les militaires maliens dans la commune de Kidal, là où de nombreux militaires français sont en poste. Cette idée qu’un territoire, chez eux, leur est interdit par une ancienne puissance coloniale ne passe pas. Il va falloir repenser la solution politique au Mali.

Source : Atlantico

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