Relaxé, le « logeur de Daech » Jawad Bendaoud est sorti de prison

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Il lève les bras, tape amicalement l’épaule des gendarmes dans le box puis embrasse la tête d’un de ses avocats: Jawad Bendaoud, qui avait hébergé deux djihadistes du 13 novembre 2015, est sorti mercredi soir de prison après sa relaxe prononcée par le tribunal correctionnel de Paris.

« Tous les éléments considérés comme des charges ayant justifié le renvoi (devant le tribunal, ndlr) du prévenu n’ont pas emporté la conviction du tribunal et sont insuffisants pour démontrer la culpabilité de Jawad Bendaoud », a déclaré Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la 16e chambre du tribunal spécialisée dans les affaires terroristes.

« On se voit dehors »

Le parquet, qui avait requis quatre ans de prison, a aussitôt fait appel de la relaxe – tout comme de la condamnation des deux coprévenus de Jawad Bendaoud.

Me Samia Maktouf, avocate de parties civiles

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« Le dossier ne permettait pas de condamner Jawad Bendaoud. Rien n’était établi, et surtout pas la connaissance par Jawad de l’identité des terroristes et le projet terroriste qui se préparait. Il serait temps qu’on réfléchisse sur la manière dont le pôle antiterroriste (du tribunal de Paris) procède aux investigations en matière terroriste. »

« S’il ne ressort pas suffisant d’éléments du dossier d’instruction, notre Etat de droit, notre démocratie ne peut pas condamner (…).Les deux autres prévenus ont tenté par tous les moyens de s’effacer, de se faire oublier, et fort heureusement, le tribunal ne s’est pas laissé avoir. »

Jawad Bendaoud, vêtu du gilet rouge du PSG qu’il portait déjà quand il a rencontré les deux djihadistes comme il l’avait expliqué au début du procès, a salué depuis le box une victime des attentats, Bilal Mokono, blessé par un kamikaze au Stade de France. Cet homme, qui se déplace en fauteuil roulant, avait livré un témoignage poignant lors du procès, qui avait ému le prévenu.

« On se voit dehors, Bilal », lui a lancé Jawad Bendaoud.

« Jawad, tiens-toi à carreau », a répondu Bilal Mokono.

« C’est fini, je me range », a promis le délinquant multirécidiviste.

« La relaxe, pour moi, elle était attendue. Jawad m’a convaincu sur beaucoup d’éléments », a déclaré Bilal Mokono à la sortie du tribunal.

Il a toujours clamé son innocence

Jawad Bendaoud, qui était jugé depuis le 24 janvier pour «recel de malfaiteurs terroristes», a toujours clamé son innocence.

« Même pour 150000 euros, je n’aurais pas hébergé des terroristes », a-t-il dit dans les premiers jours de ce procès hors norme.

Me Astrid Ronzel, avocate de parties civiles

« Je ne suis pas étonnée par la décision. La cour a rendu un jugement très motivé, très pédagogique, et finalement très juste. On vous avait dit qu’il ne fallait pas se focaliser sur Jawad Bendaoud, que ce n’était pas le ‘procès Jawad’ ! Le tribunal a bien cerné les responsabilités ou non de chacun des prévenus, c’était ce qui ressortait du dossier. »

Celui qui avait été surnommé « le logeur de Daech » – et qui fut la risée d’un pays traumatisé après son arrestation en direct sur BFM TV – comparaissait pour avoir mis à disposition d’Abdelhamid Abaaoud, l’un des cerveaux présumés des attentats, et de son complice, Chakib Akrouh, un squat où ils s’étaient repliés à Saint-Denis. C’est là que les deux djihadistes sont morts le 18 novembre dans l’assaut des policiers du Raid.

Âgé de 31 ans et détenu à l’isolement depuis 27 mois, Jawad Bendaoud est sorti mercredi soir de la prison de Fresnes, en région parisienne, a indiqué Me Marie-Pompéi Cullin, qui le défendait avec Me Xavier Nogueras.

« On est extrêmement émus d’avoir entendu le tribunal nous dire que Jawad Bendaoud était innocent », ont commenté ses avocats.

Réactions indignées

Mais des parties civiles ont exprimé leur « écœurement » et leur « colère ». « Je trouve, au regard de son passé, que la justice est vraiment très clémente », a lancé Patricia Correia, dont la fille a été tuée au Bataclan.

« Nous sommes choqués par ce verdict qui ravive la douleur des victimes des attentats et des familles traumatisées par l’assaut », dont certaines avaient dû être relogées, a réagi la mairie de Saint-Denis.

La vice-présidente des Républicains, Virginie Calmels, a fustigé sur Twitter une « décision incompréhensible » tandis que la présidente du FN Marine Le Pen a dénoncé « une injure à nos martyrs ».

Guillaume Denoix de Saint-Marc, fondateur et directeur de l’Association française des victimes du terroristes

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« Grâce à ce procès, on a bien compris le processus de fuite et de planque d’hébergement des terroristes, et aussi du projet d’autre attentat qu’ils avaient. La vérité judiciaire, sur ce point-là, est importante, même si ce n’est qu’un petit élément. Nous n’avions pas d’attentes énormes sur ce procès. Je crois qu’il y a eu beaucoup trop d’excitation, d’engouement autour de Jawad Bendaoud. Il y a eu une création du mythe Jawad, qui était plus comique qu’autre chose, alors que derrière, il y a quand même la tragédie des attentats. »

« On a appelé ce procès le procès Jawad mais les deux autres prévenus étaient beaucoup plus intéressants. Il ne fallait pas que Jawad cache les deux autres, et le tribunal ne s’est pas laissé berner. C’était vraiment ma crainte : que le cirque Jawad éclipse Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen. C’est un très beau jugement : le tribunal a mis à plat, décortiqué, analysé. C’est une décision que je trouve très satisfaisante. »

Les deux autres prévenus condamnés

Le deuxième prévenu, Mohamed Soumah, également jugé pour « recel de malfaiteurs terroristes », a été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Il avait mis en contact Hasna Aït Boulahcen, qui cherchait une planque pour les deux djihadistes, et Jawad Bendaoud.

Pour la juge, ses échanges téléphoniques avec Hasna Aït Boulahcen montrent qu’il ne pouvait « ignorer que les deux hommes étaient des terroristes ».

Une peine de quatre ans de prison, dont un avec sursis, a été prononcée contre le troisième prévenu, Youssef Aït Boulahcen, jugé pour «non-dénonciation de crime». Le tribunal n’a toutefois pas demandé de mandat de dépôt pour ce prévenu qui comparaissait libre. Il est le cousin d’Abdelhamid Abaaoud et le frère d’Hasna Aït Boulahcen, morte dans l’assaut du Raid.

« Vous saviez exactement que votre cousin était prêt à commettre de nouveaux attentats », a tranché la présidente, critiquant la « mauvaise foi » du prévenu.

Le parquet a aussi fait appel des condamnations de Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen.

Source : Le Dauphiné

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