Refus de porter un masque dans un train : le créateur du média des gilets jaunes « Vécu » en garde à vue à Brive

En début d’après-midi, à la gare de Brive-la-Gaillarde en Corrèze, un individu a été placé en garde à vue pour outrage et rébellion après avoir refusé de mettre un masque dans un train. Sur sa page Facebook, intitulé « Vécu », cet homme, qui s’appelle « Gabin », dénonce une arrestation arbitraire.

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Les faits se sont déroulés sur les quais de la gare de Brive © Radio France – Nicolas Blanzat
La vidéo tourne sur plusieurs comptes tenus par des gilets jaunes. On y voit un individu, Gabin, être arrêté par les forces de l’ordre devant une amie et la fille de cette dernière, en pleurs, âgée de 8 ans. Gabin est le fondateur du média des gilets jaunes appelé « Vécu ».Les faits se sont déroulés ce samedi 8 août, en début d’après-midi, à la gare de Brive en Corrèze. La police a été appelée par des agents de la SNCF après qu’un individu se serait montré virulent. Ce dernier aurait refusé de porter son masque dans le train. Sur son compte Facebook, Gabin explique qu’il voulait simplement manger une salade.

Un appel à manifester lancé sur les réseaux sociaux

Arrivés sur place, les policiers ont procédé à un simple contrôle. Nouveaux outrages de la part du trentenaire. Il aurait insulté les forces de l’ordre. Il a donc été interpellé et placé en garde à vue sous les yeux de son amie et de milliers d’autres personnes. En effet, l’amie du trentenaire a filmé la scène en direct sur les réseaux sociaux. Sur les images, on voit le trentenaire plaqué au sol par les forces de l’ordre dans le cadre de son interpellation. La fille de 8 ans est en larmes. On entend aussi la personne qui filme insulter copieusement les passagers dans le train en les traitant de « bouffons » et de « collabos ».

Les policiers ont entendu la jeune femme en audition libre. Gabin est lui toujours en garde à vue. Sur la page Facebook « Vécu », un appel à manifester a été lancé. Vers 18 heures, une vingtaine de personnes étaient rassemblées devant le commissariat de Brive.

Source : France Bleu

La vidéo de l’arrestation de Gabin

Portrait de Gabin Formont, le créateur de “Vécu, le média du gilet jaune”

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Gabin Formont durant l’un de ses lives. Capture d’écran : Vécu le média du gilet jaune
Le jeune homme de 28 ans a lancé ce média citoyen, à l’histoire déjà mouvementée, sur les réseaux sociaux. L’idée principale : mettre en lumière dans des vidéos live les personnes blessées par les forces de l’ordre lors du mouvement des gilets jaunes.

Il y a quelques temps, il proposait dans son restaurant des omelettes “revisitées”. Du jaune, déjà. Si son affaire est aujourd’hui fermée, Gabin Formont a continué par la suite, après un crochet dans le milieu des coffee shop et du CBD (cannabinoïde présent dans le cannabis), à promouvoir cette couleur, variante fluo. Pas dans une assiette cette fois-ci, mais plutôt sur son dos, parfois sur son bonnet, et surtout dans ses idées. Le jeune homme de 28 ans est, depuis le début du mouvement en novembre, un membre actif des gilets jaunes.

D’abord manifestant, le natif de Montluçon (Allier) a créé en décembre Vécu, le média du gilet jaune. Des vidéos live dans les cortèges, à Paris, Nantes ou Lille, des interviews de personnes gravement blessées par la police lors des manifs ou encore des entretiens avec des figures proches du mouvement – Priscillia Ludosky, François Boulo, et même Didier Super car “rien de tel que la récupération d’un mouvement social pour faire [sa] promo…” – sont au programme sur Vécu, média citoyen animé par “une bonne équipe de bénévoles, des gens modérés, sympas” et exclusivement présent – et très suivi – sur Facebook.

Dans son appartement d’Asnières (Hauts-de-Seine), qu’il partage avec sa copine, Gabin est d’ailleurs très prolixe sur son vécu, dans tous les sens du terme. Le ton et le geste déterminés, il parle, parle, parle, fume, fume, fume, tousse, tousse, tousse – dix jours qu’il est malade et qu’il “dort trois heures par nuit”. Le tutoiement facile, il offre aimablement le café avant de s’asseoir sur le canapé où il tourne, sans chichis mais avec assurance ses vidéos d’entretiens. Le voilà parti. Sur le pourquoi du comment de Vécu, “VQ” pour les intimes : “On raconte le vécu des gens, notamment celui des blessés. Dans l’actualité, le fait que des gens se fassent massacrer, perdent des mains, des yeux, la vie même, était secondaire voire inexistant. J’ai donc créé ce média pour faire de ça la priorité. Cela aurait du être sur toutes les chaînes de télé, dès le premier blessé. Or il y avait vraiment un non-dit sur le sujet.”

Ecoeuré par le monde tel qu’il va

Quand on évoque le fait que, si les médias ne sont en effet pas exempts de critiques – lire par exemple ici – nous avons souvenir d’avoir lu de nombreux articles consacrés à la question dans divers titres, la réponse fuse : “Quand il y a 2 000 blessés [les chiffres et ce à quoi ils renvoient varient selon qui fait le décompte, voir ce papier de 20 minutes], ça n’est pas un article ou un sujet qu’il faut faire, mais cela aurait dû être mis sur le devant de la scène tout de suite, et, à la place, on parlait des casseurs, des blessés chez la police…”

Gabin, qui n’a jamais voté et ne compte pas de sitôt le faire – “ce sont des clowns” – est quelqu’un de révolté, “écœuré” même, par le “monde qu’on nous propose et dans lequel on vit”. Sa liste de griefs est aussi grande que son enthousiasme quand il décrit sa nouvelle aventure avec Vécu : les lobbies “qui sont capables de détruire le monde en disant que c’est bien”, les téléphones portables fabriqués par des gamins dans les mines de cobalt – il balance alors le sien sur la table –  les élevages intensifs qui “massacrent les écosystèmes”, l’industrialisation forcenée à l’étranger mais aussi la désindustrialisation en France, l’entre-soi de la classe politique, le capitalisme, le fonctionnement des médias traditionnels, qui “nous trompent” – et donc la nécessité pour “les citoyens de créer leur propre information pour contrer ça” -, l’injonction à faire du fric et de la croissance, “alors que c’est comme cela qu’on détruit tout, qu’on n’a plus d’animaux, que les gens sont malheureux”.

“J’ai morflé toute ma vie”

S’il s’emporte facilement – à propos des violences contre les journalistes, il déclarera à Quotidien à la fois qu’on « On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs » mais que c’est « déplorable » – il sait aussi se faire plus doux, nous affirmant qu’il “sait que le journalisme est loin d’être un métier facile, que c’est loin d’être facile d’en vivre, que c’est très prenant.” Facile, sa vie ne l’a pas été non plus, lui qui a passé dix ans en famille d’accueil séparé de ses frères et sœurs, conséquence dramatique du suicide de sa mère et du comportement de son père, “en taule” aujourd’hui. “J’ai morflé toute ma vie, je viens de la merde, je sais et n’oublie pas d’où je viens”, dit le détenteur d’un BTS qui affirme “ne pas être quelqu’un qui a beaucoup de savoirs” – ce n’est pas l’impression qu’il donne -, ne pas lire beaucoup mais avoir appris de cette enfance très douloureuse “à lire entre les lignes, à se méfier, à s’appuyer sur son vécu, son instinct, la morale. Si on réfléchit deux secondes, c’est ce qui devrait prendre toute la place, la morale, l’éthique, le bien-être, la bienveillance, l’acceptation de l’autre, le partage”.

Celui dont les droits au chômage cesseront d’ici peu a très mal vécu différentes accusations portées à son encontre par certains gilets jaunes. Lesquelles vont de vouloir gagner de l’argent sur le dos des blessés en monétisant Vécu (contenu gratuit pour tous mais qui veut les aider financièrement le peut) au fait d’avoir volé une partie de la cagnotte de soutien d’une victime de violences policières, qu’il avait mis à l’honneur sur sa page. Ce dont il se défend vivement.

Durant l’acte XII, le 2 février, il sera ainsi interrompu pendant un de ses lives par des gilets jaunes l’enjoignant à “dégager” – de quoi l’inciter un temps à annoncer l’arrêt de Vécu et la fin de sa participation au mouvement, avant de changer d’avis, arguant de “10 000 messages de soutien” et du “tas de blessés à venir qui vont avoir besoin d’un soutien” : “C’est plus gros que moi, ce n’est pas juste moi et ma blessure.” Ses relations avec Eric Drouet, figure très suivie des gilets jaunes, ne semblent pas non plus idylliques. Il y a quelques temps, il écrivait sur Vécu avoir été victime d’un piratage malveillant de la part d’un ex-bénévole du média, avec qui il était en désaccord. Après l’entretien, Gabin nous écrira pour nous demander de ne pas évoquer ces sujets dans l’article, assurant ne “pas vouloir alimenter les guerres qui divisent le mouvement”.

Libérer psychologiquement les blessés

Ce qu’il alimente beaucoup en tout cas, c’est la page Facebook de Vécu avec diverses vidéos live. Certaines fonctionnent mieux que d’autres, comme par exemple son entretien avec Étienne Chouard, un blogueur et ancien enseignant travaillant depuis des années sur le RIC mais aussi personnalité controversée pour des déclarations complaisantes sur Alain Soral par le passé. Quand on l’interroge à ce propos, il s’agace : “Mais Marine Le Pen, les médias ne lui donnent pas la parole ? Par ailleurs, il faut s’intéresser au fond de son travail, je le sollicite car il est intelligent, qu’il a de bonnes idées et qu’il bosse sur le RIC, soit une mesure que les gilets jaunes veulent ! Et puis, je lui ai demandé s’il était dans le respect de l’individu au sens large, il me l’a dit, il s’est défendu de ces accointances-là, j’ai envie d’y croire. S’il avait un discours raciste, je me détacherais de lui.”

En tout cas, le format live de Vécu, qui lui plaît “parce qu’on est vraiment dans l’échange” et « qu’il n’y a pas de coupes » fait la part belle aux témoignages de blessés, que le jeune homme interroge avec beaucoup d’empathie. “Je leur donne la parole pour qu’ils puissent se libérer psychologiquement, car ils sont tous choqués, blessés dans leur intimité et dans ce qu’ils étaient avant, et j’en profite aussi pour promouvoir leurs éventuelles cagnottes de soutien.”

Catharsis

Il a ainsi interviewé le journaliste indépendant David Dufresne, qui propose un gros travail de recension des violences policières sur Twitter et interpelle le ministère de l’Intérieur depuis le début du mouvement – allo Place Beauvau ? Joint par téléphone, l’auteur de Tarnac, magasin général (Calmann-Lévy, 2012) explique avoir connu le travail de Gabin, “un gars bien”, quand “il a démonté sur Vécu la rumeur du décès d’une femme belge pendant une manif des gilets jaunes, un moment de bravoure et de courage. J’ai trouvé cela d’abord salutaire évidemment, mais aussi courageux de porter cette parole au sein des gilets jaunes”. Et d’ajouter : “J’imagine que Gabin et son équipe doivent être énormément sollicités, et les réceptacles de points de souffrance, ce qui est aussi mon cas. Il y a des victimes, des proches de victimes, des gens qui sont désemparés par ce qui leur est arrivé. Et, bien souvent, ce sont des gens qui ne s’étaient jusqu’ici pas du tout posé la question des brutalités policières, et qui pour certains étaient plutôt des partisans de l’ordre. C’est donc pour eux comme un monde qui s’écroule, d’une certaine manière.”

David Dufresne met ainsi en avant le fait que si “ce que fait Gabin a valeur de catharsis, ce qui est absolument formidable, nous ne sommes pas exactement sur le même terrain : je suis beaucoup plus sur un terrain politique, disons. Même si, évidemment, ce qu’il fait n’est pas anodin et a un véritable poids social, Vécu s’appelle “le média du gilet jaune”. Sa priorité est donc, me semble-t-il, de s’adresser au mouvement des gilets jaunes, ce qui n’est pas la mienne qui est plutôt de m’adresser à la place Beauvau”.

Gabin affirme en effet être du côté des gilets jaunes, mais se refuse à toute crédulité aveugle. “Quand on démonte une fake news que tous les gilets jaunes sont en train de diffuser, on n’est pas de leur côté. On fait plutôt les choses en bonne intelligence. Je suis gilet jaune à la base, je travaille avec des gilets jaunes, mais ce n’est pas pour autant qu’on va dire tout et n’importe quoi. Après, je pense que c’est une cause noble, qu’il y a des revendications qui sont logiques, on parle en totale transparence de ce dont il faut parler. Donc on est du côté des gilets jaunes, les gens qui sont contre n’ont rien compris, on ne peut pas être contre eux, c’est le cri du peuple ! [aka le titre de son portrait de der récemment dans Libé, ndlr]” C’est un cri intime, aussi, pour celui qui vient de lancer avec son équipe Vécu dans la Rue, pour apporter secours aux personnes sans domicile fixe : “Je suis en recherche de sens dans ma vie. Et Vécu, cela m’en donne. Avant, j’ai toujours fait comme tout le monde, j’ai toujours tout fait pour moi, je n’ai pensé qu’à moi, mon avenir. Aujourd’hui, j’ai fait un pas pour les autres.”

Source : Les Inrocks

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