Radicalisation islamiste : quand les chefs de la police se croyaient à l’abri

Auditionnés l’an dernier par les députés sur de possibles cas de radicalisation, les patrons de la police affichaient-ils une confiance excessive ?

19473007lpw-19491411-article-jpg_6567998_660x281

En juin dernier Le Point publiait les conclusions d’une enquête parlementaire sur l’État face à la radicalisation islamiste. Le rapport, rédigé par les députés Éric Diard (LR) et Éric Poulliat (LREM), dessinait un inventaire méticuleux et inquiétant de la préparation – parfois impréparation – des services de l’État face à la radicalisation de ses propres agents. Les services de police semblaient alors faire partie des bons élèves… Nous nous sommes replongés dans les auditions réalisées dix mois avant l’attaque de la préfecture de police de Paris. Morceaux choisis.

« On peut être un agent zélé et dissimuler des activités souterraines dangereuses sans aucun lien avec le comportement au sein du service public », expliquait alors le préfet de police de l’époque Michel Delpuech, depuis limogé pour sa gestion des manifestations de Gilets jaunes et le saccage de l’Arc de triomphe. 
Pour Éric Morvan, directeur général de la police nationale (DGPN), la culture de corps et les dispositifs de détection d’agents potentiellement radicalisés semblaient plutôt efficaces : « Il y a un mécanisme assez protecteur.

Parmi les 150 000 agents de la police nationale, nous n’avons que 28 dossiers ouverts

Comme la police nationale implique un travail d’équipe, on a aussi des alertes qui nous viennent des collègues, à bon ou à mauvais escient », déclarait-il devant les députés, « s’agissant de la radicalisation islamiste, nous ne souffrons pas d’une menace particulièrement prégnante. Parmi les 150 000 agents de la police nationale, nous n’avons que 28 dossiers ouverts, ce qui n’est pas significatif. Nous regardons 28 dossiers actifs très attentivement, car les investigations qui sont menées par les différentes directions peuvent aboutir à des situations qui sont bien loin de la radicalisation. Des personnes ont été dénoncées par leur famille pour des raisons plus ou moins avouables. Mais nous avons aussi des cas qui méritent toute notre attention », déclarait-il.

Lire aussi Les services publics face aux islamistes : quand l’école est assiégée par le communautarisme

Cette idée que la culture de corps et les règles disciplinaires protégeraient l’institution semble aussi partagée par Brigitte Jullien, directrice de l’Inspection générale de la police nationale, elle aussi auditionnée le 11 décembre 2018 par les députés : « À ce jour, la police nationale est dotée d’outils performants dans le domaine disciplinaire. L’obligation de neutralité est tellement sévère dans le comportement quotidien des policiers que dans le cas d’une radicalisation – et même de manifestations ostentatoires d’une religion –, cela permet de relever des manquements. Donc on a aujourd’hui des outils qui nous permettent d’envoyer en conseil de discipline les personnes radicalisées. »

Pour Bertrand Michelin, directeur adjoint de l’Inspection générale de la police nationale, les signalements d’agents convertis soulèvent un problème particulier. « Je pense au cas que nous avons eu d’une personne qui s’est convertie après son mariage et qui veut être plus musulman encore que sa femme », explique le haut fonctionnaire, pour lequel une partie de ces problèmes se règlent simplement : « On a reçu un certain nombre de démissions de personnes qui par la suite ont réalisé que leur religion était en conflit avec les valeurs de la police et de la République. (…) On a beaucoup de cas de fonctionnaires qui sont presque en souffrance, à partir du moment où ils font ce constat de l’incompatibilité entre leurs fonctions et leur pratique religieuse. Ils ne sont pas dangereux en eux-mêmes, mais ce qui est certain, c’est que le corps médical les reconnaît comme malades. »

Lire aussi Radicalisation : « Le problème, c’est le manque de vision globale »

Pour lui, les procédures semblent protectrices et le système de détection presque trop performant : « C’est la première exigence qu’on a imposée dans la police nationale : dès qu’on a un cas qui pose question, on ne tourne pas autour en se demandant comment on va pouvoir le régler ; mais on fait remonter l’information jusqu’à l’IGPN. Elle avait été désignée il y a quelques années comme référent vu qu’elle sait gérer les problèmes disciplinaires de la police. Elle a été saisie de nombreuses enquêtes qui ont débouché sur rien, parce qu’on a des cas où la radicalisation n’est pas du tout avérée. » Une fois encore on voit surgir cette idée que trop de « faux positifs » (des diagnostics erronés) seraient le fruit d’un dispositif surperformant… alors qu’en fait ils semblent plutôt porter la marque d’un dispositif inadapté.

Les fonctionnaires qui remarquent des changements de comportements entre collègues sont prompts à les signaler

Au courant de cette même audition, Brigitte Jullien, directrice de la « police des polices », ajoute que, « souvent, le simple rappel du devoir du respect des principes de neutralité et de laïcité suffisent à faire rentrer dans le rang des personnels qui se radicalisent, ou à les faire démissionner. D’ailleurs, les fonctionnaires qui remarquent des changements de comportements entre collègues sont prompts à les signaler pour le bon fonctionnement du service ».

Il y a huit mois, le message était : « Circulez, il n’y a rien à voir. » Les auditions de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements risquent de se faire dans une autre ambiance.

Source : Le Point

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *