Quimper. Police : un suicide qui interpelle

photo-yves-madec-le-telegramme_3806416_494x330pPhoto Yves Madec / Le Télégramme

Le 1er janvier, Pierre, policier quimpérois âgé de 51 ans, s’est donné la mort à son domicile avec son arme de service. Un drame vite imputé au malaise des forces de l’ordre sur le terrain. Sauf que le fonctionnaire était en litige depuis plusieurs années avec sa hiérarchie, ne supportant pas sa mise à l’écart de la brigade de sûreté urbaine. L’inspection générale de la police (IGPN) enquête.

Bien avant ce drame, le dossier était déjà sensible pour la Direction départementale de la sécurité publique et le commissariat de Quimper. La directrice départementale n’a d’ailleurs pas souhaité s’exprimer sur un sujet qui a débuté bien avant son arrivée, se réfugiant derrière l’enquête menée par l’IGPN. Pas plus que les syndicats, malgré nos sollicitations. SGP Police FO alertait pourtant sur le nombre de suicides « insupportables », le 9 janvier à Quimper, lors d’un rassemblement devant le commissariat.

Cela faisait près de huit ans que ce brigadier-chef tentait de revenir aux enquêtes de terrain à la BSU, cette unité d’enquêteurs qui l’a accueilli en 2007 à Quimper. L’occasion de se rapprocher de sa famille pour ce célibataire sans enfant, passionné par son métier. Moins de deux ans plus tard, il portait plainte pour harcèlement moral à l’encontre de ses supérieurs. Comment un policier très estimé en PJ, décrit comme « consciencieux, méthodique et sans problème », a-t-il pu en arriver là ?

À l’origine, il y a ses réserves émises sur une nouvelle permanence judiciaire. Lui estimait qu’elle entraînerait une perte d’efficacité dans le traitement des affaires et une charge de travail accrue pour son groupe, chargé des atteintes aux biens. En mai 2008, les résultats de son service sont d’ailleurs en chute. Dès lors, après s’en être ouvert, il recense plusieurs incidents : erreur de grade sur la porte de son bureau, réception de trois notes de rappel pour des dossiers en souffrance au lieu d’une pour ses collègues, mauvaise appréciation de son travail, surcharge de travail, erreurs d’aiguillage des dossiers.

Sa première plainte classée 

L’année suivante, le voilà muté à la section d’intervention. En tenue. L’éviction ne passe pas chez cet homme à la personnalité complexe, fier, entier et qui s’ouvrait peu aux autres. Le procureur de Quimper classe sa plainte, qui vise cinq policiers. Le juge stoppe son investigation, estimant qu’il était impossible de confier une enquête du commissariat de police de Quimper à leurs collègues sous peine de « rompre la confiance réciproque entre les enquêteurs et lui-même ». Le juge s’interroge, en outre, sur les faits dénoncés.

Repères2007 : arrivée à la brigade de sûreté urbaine de Quimper en provenance de la PJ du Havre.
2008 : informe sa hiérarchie sur des manquements procéduraux.
2009 : porte plainte pour harcèlement moral. En septembre, muté à la section d’intervention. Saisit le tribunal administratif de Rennes.
2010 : le procureur de la République de Quimper classe sa plainte sans suite.
2012 : la juge d’instruction de Quimper rend deux ordonnances de refus d’informer. Le policier dépose une nouvelle plainte, avec constitution de partie civile.
2013 : le tribunal administratif de Rennes déclare sa mutation illégale. En avril, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Rennes désigne un juge d’instruction à Brest. En décembre, il est entendu près de douze heures par l’IGPN.
2016 : nommé responsable du groupe des plaintes au commissariat de Quimper.
2017 : la juge d’instruction de Brest demande une expertise psychologique du policier.

Le policier ne lâche rien et fait appel devant la chambre de l’instruction à Rennes. Première victoire avec la désignation d’un juge d’instruction brestois. « Ce n’est déjà pas facile, dans un cadre professionnel, de déposer plainte pour harcèlement moral. Mais alors dans la police, c’est très compliqué. Ils n’ont pas l’habitude d’avoir une telle intrusion dans leur fonctionnement », se souvient son avocat de l’époque, Vincent Omez. Qui évoque un homme très méticuleux, pointilleux. « Trop, sans doute ».

Jamais réintégré 

L’autre avancée vient du tribunal administratif de Rennes qui estime que le policier doit être réintégré. Décision jamais suivie d’effet. « Comment réintégrer quelqu’un dans un service avec des collègues contre qui il a porté plainte ? », souffle un enquêteur quimpérois.

Affecté, en 2016, au groupe des plaintes, Pierre masque plutôt bien son mal-être. Selon l’un de ses supérieurs, il donnait entière satisfaction et passait très bien auprès du public. « Méticuleux », « humain », « apprécié de tous » sont les termes qui reviennent fréquemment. Mais son obsession judiciaire ne le quitte jamais. « C’est du gâchis, il s’est pourri la vie avec ça », soupire l’un de ses collègues.

Une demande d’expertise qui ne passe pas 

À Brest, les juges d’instruction se succèdent. Pierre Jourdin, qui a remplacé Serge Durand, fait, de l’aveu même du nouvel avocat du policier Me Ronan Appéré, une instruction « très fouillée ». Supérieurs, collègues de travail, tout le monde est entendu. « Elle a démontré que Pierre était un excellent policier, rigoureux, compétent et professionnel. Nous allions demander des mises en examen », rapporte l’avocat.

Sauf que le juge d’instruction est muté en 2016, remplacé par la juge Céline Verdier qui reprend le dossier, entend à nouveau le policier et demande une expertise psychologique. « Il l’a très mal vécu, assure Ronan Appéré, comme un coup de grâce de la Justice. Il a eu la sensation de ne pas être écouté, de subir une enquête qui n’avançait pas. J’ai senti du découragement et une profonde lassitude. Il devait être examiné en décembre et s’est bien présenté ».

en complément
« J’espère que le management évoluera »

Pierre n’est pas parti sans un mot. Il a écrit. Comme il en avait l’habitude. Méticuleusement, pesant chaque mot. Et l’un de ses courriers a été adressé à notre rédaction, à un journaliste plus précisément. Quatre pages rédigées, et postées, le 1er janvier 2018, soit le jour même de son décès.

Il explique son combat, son parcours, ses griefs envers l’ancien directeur départemental de la sécurité du Finistère, le ministère de l’Intérieur, l’IGPN, les juges d’instruction qui se sont succédé sur son dossier qu’il juge « bloqué ». Il y dénonce également les accointances entre services. « On parle beaucoup de suicides dans la police. Mais faut-il s’en étonner ? Effectivement, l’accès à l’arme facilite le passage à l’acte, mais il ne faut pas confondre causes et conséquences », écrit-il en préambule.

« Je suis dans une impasse » 

Pierre évoque son cas personnel, fait un parallèle avec un collègue brestois qui se serait suicidé il y a près de deux ans pour un différend avec sa hiérarchie. Il ne cherche pas à masquer sa douleur d’avoir été rétrogradé. « Venant de la PJ, j’ai été muté dans une section d’intervention pour tenir un bouclier… ». Ni celle de ne plus être noté. « C’est pourtant un droit pour un fonctionnaire. Cette non-notation m’interdit de postuler à l’avancement ou pour une mutation (…). Le seul collègue qui a parlé a été retiré de la liste des bénéficiaires de la prime collective attribuée à son service ».

Le brigadier-chef anticipe l’avenir. « Je sais que la version officielle sera des  » problèmes personnels « , des  » problèmes d’argent « , comme d’habitude. Ce sera faux. J’ai pris ma décision voilà quelques mois car je suis dans une impasse. J’espère que le management évoluera favorablement dans mon Administration mais la route sera longue… Je voudrais que les choses se sachent

Source : Le Télégramme

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