Quatre ans après, le gilet jaune éborgné à Rennes attend toujours justice

Gwendal Leroy, un manifestant gilet jaune a perdu un œil lors d’une manifestation à Rennes, le 19 janvier 2019. (Photo archives Erwan Miloux)

Le 19 janvier 2019, lors d’une manifestation des gilets jaunes à Rennes, Gwendal Leroy était blessé à l’œil par une grenade de désencerclement. Quatre ans après, le Quimperlois n’a toujours pas été entendu dans le cadre de l’instruction.

La nuit vient de tomber sur la place de la République, à Rennes. À distance des autres manifestants, un homme est seul, au milieu de la rue. Dans son dos, des policiers en civil arrivent au pas de charge, après avoir dispersé un attroupement. L’un des agents lance un projectile, qui atterrit à quelques mètres de la silhouette encapuchonnée. Une explosion. La silhouette, alertée, se retourne. Puis s’effondre au sol, en poussant des cris insoutenables.

Cet homme, c’est Gwendal Leroy. Ce 19 janvier 2019, le Quimperlois a fait le déplacement vers la capitale bretonne pour participer à la manifestation régionale des gilets jaunes, non autorisée. Une journée chaotique, émaillée de violences. Bilan : six policiers et dix participants blessés. Le plus grièvement touché est le jeune Finistérien. Il perd définitivement l’usage de son œil gauche, détruit par l’un des galets de la grenade de désencerclement qui a éclaté derrière lui. La vidéo est toujours disponible en ligne (scène complète à partir de 34’05’’, attention, les images peuvent choquer).

Une instruction au point mort

Depuis, cet ouvrier dans l’agroalimentaire – 31 ans aujourd’hui – se reconstruit. Tant bien que mal. Pendant deux ans et demi, il est resté enfermé chez lui. Blocage. « Je n’osais plus sortir pour rencontrer des gens et devoir leur expliquer pourquoi je dois porter ces lunettes jaunes qui protègent contre la lumière ». En 2021, il a fini par reprendre un poste dans son ancienne usine. Mais la médecine du travail lui interdit de conduire des engins, malgré son permis de cariste, à cause de sa perte de vision.

Côté judiciaire, sa plainte est au point mort. Le juge d’instruction, chargé du dossier, a d’abord décidé de ne pas poursuivre le policier. Fait rare, le procureur de la République de Rennes a fait appel de cette décision, estimant que la responsabilité de l’agent était engagée. Finalement, il a bien été mis en examen pour blessures involontaires.

Plusieurs éléments ont en effet de quoi troubler. Selon une enquête du Mensuel de Rennes de janvier 2020, l’auteur du tir n’aurait, a priori, pas respecté plusieurs règles encadrant l’usage de l’arme décriée et remplacée depuis. Il faut dire que l’agent, envoyé en renfort de Nantes, n’était pas un spécialiste du maintien de l’ordre, comme beaucoup de policiers mobilisés à l’époque très mouvementée des gilets jaunes.

À lire sur le sujet Notre enquête de janvier 2020 : comment la police a éborgné un gilet jaune à Rennes [Vidéos]

Reconstitution de la scène réalisée par Le Mensuel de Rennes dans son numéro de janvier 2020. (Le Mensuel de Rennes/Aurélie Mercier)

476 instructions en cours pour quatre magistrats

Depuis la mise en examen, prononcée en octobre 2020, plus rien. « Mon client n’a toujours pas été entendu par le juge d’instruction », s’étonne Me Ronan Garet. Une lenteur dont Gwendal Leroy dit qu’elle le fait… rire. « Quelque temps après, je m’étais retrouvé face à la ministre, Nicole Belloubet, en visite à Quimperlé (29). Elle m’avait assuré qu’il n’y avait pas de justice à deux vitesses, qu’il fallait laisser du temps au temps. Là, il ne faut peut-être pas déconner… »

Il n’est pas question qu’on lâche

Comment expliquer un tel délai ? Il ne faut pas y voir malice, selon le procureur de la République de Rennes. D’autant qu’il était favorable à la mise en examen du policier. « Cette situation n’est pas propre à cette procédure, souligne Philippe Astruc. Elle s’explique par le volume des informations judiciaires – il y en a 476 en cours – qui doivent être traitées par les quatre magistrats instructeurs de Rennes. Énième signe du manque de moyens de l’institution judiciaire.

« De toute façon, il n’est pas question qu’on lâche », lance Marie-Laure, la mère de Gwendal. Sa vidéo, adressée directement à Emmanuel Macron quelques heures après le drame, avait été vue des centaines de milliers de fois. Dans les mois qui ont suivi, elle s’est beaucoup inquiétée pour son fils. « Il y a eu des hauts et des bas. Mais, globalement, c’est mieux ».

Ironie de l’histoire, ce 19 janvier doit marquer le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, avec des manifestations dans toute la France. Quatre ans après, jour pour jour. Gwendal, qui ne regrette pas son passé de gilet jaune, en sera-t-il ? Sa réponse, teintée d’humour noir : « Si c’est pour devenir aveugle, on va éviter ».

Source : Le Télégramme

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