Privatisation et suicides, cherche-t-on à affaiblir nos policiers et gendarmes ?

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51 policiers et gendarmes se sont suicidés en 2018. Et si on cherchait à savoir, comme l’écrit le Major TESAN dans sa lettre de suicide à propos de son supérieur hiérarchique « comment un tel personnage a pu être mis dans la position de manager des hommes ». Et pourquoi ?

51 policiers et gendarmes se sont suicidés en 2018.

A celui du major José TESAN de la gendarmerie des transports aériens le 18 septembre 2018, s’ajoute aujourd’hui celui d’un gendarme du PSIG de la Valette du Var. Les policiers connaissant une vague de suicides sans précédent de leur coté. Le Major TESAN a laissé une lettre d’adieu très précise sur le motif l’ayant conduit à cet acte tragique : la tyrannie de sa hiérarchie. Peut-être, sans vouloir trahir ses intentions, voulait-il que justement, comme pour les autres suicidés, on ne déclare pas que c’était pour des motifs « privés ». Non, il a bien indiqué que c’était un motif lié au harcèlement moral de son supérieur hiérarchique. Harcèlement moral.

Le Major TESAN, dans sa douloureuse lettre de suicide du 18 septembre 2018, soumet cette interrogation : « Je n’ai vraiment pas compris comment un tel personnage a pu être mis dans la position de manager des hommes, et là je pars sans avoir la réponse. ».

Ayant quelques notions assez précises sur le harcèlement moral, je souhaite essayer de répondre à la question du Major, qui demeure après son suicide. Comme beaucoup, je ne souhaite pas que son geste n’ait servi à rien. Et j’ai mon propre avis sur ce sujet. Ou plutôt, j’ai une théorie.

En premier lieu, on essaie de nous faire croire qu’un suicide sur le lieu de travail avec l’arme de service ne serait pas rattachable au service. C’est ce qu’on n’aurait pas manqué de conclure, si le Major n’avait pris soin d’écrire dans une lettre, que son suicide avait été causé par le service, représenté en l’occurrence, par son supérieur hiérarchique.

Et même encore, qu’il se suicide ailleurs comme le cas de ce commandant de police du Val de Marne, cela n’en fait pas pour autant un acte relevant de sa vie privée. Là encore, la veuve a porté plainte pour harcèlement moral contre sa supérieure hiérarchique, selon le Parisien. Harcèlement moral.

Pourquoi, y compris dans des cas de suicides remontant à plusieurs années, le harcèlement moral est-il mis en avant par les suicidés dans leurs lettres d’adieu ou dans leur dialogue avec leur famille. Pourquoi aucune enquête d’ampleur n’est-elle menée pour savoir pourquoi le harcèlement moral des supérieurs hiérarchiques devient une cause de suicide, et non pas le métier en lui-même ?

Plus généralement dans la fonction publique, le harcèlement moral devient-il une méthode de management. Est-elle enseignée à l’ENA ? Dans les formations des cadres ? Si c’est le cas, pourquoi cela est-il admis ?

La gendarmerie et la police sont soumis à une pression extrême, notamment depuis la vague d’attentats que la France a subi ces dernières années, et l’état d’urgence qui les a monopolisés, dans un contexte déjà tendu de manque d’effectif. Des conditions de travail régulièrement dénoncées, voire des conditions indignes de logement, parfois dans l’insalubrité, cela vient d’ailleurs d’être dénoncé, à nouveau, par les gendarmes de la garde du Premier ministre.

Posons la question franchement : pourquoi les gendarmes et les policiers feraient-ils l’objet de harcèlement moral de la part des supérieurs hiérarchiques.

Une hypothèse : et si cette méthode de management par le harcèlement était suggérée en haut-lieu ? A tout hasard ? Et si elle avait pour but de faire craquer un maximum de personnel ? Et si on cherchait à écarter les éléments les plus « réfractaires » au sens présidentiel du terme, ceux qui ont une conscience morale, ceux qui voient arriver la suite de l’hypothèse ? Voir des forces de l’ordre affaiblies, épuisées, fatiguées (car sous pression et, de surcroit, harcelées moralement), ne serait-ce pas le meilleur prétexte pour déclarer qu’ils ont besoin d’aide ? Que ces personnels ne sont pas souples, n’arrivent pas à s’adapter à la modernité, bref, ne serait-ce pas le prétexte idéal pour annoncer la privatisation, partielle au début, de la sécurité publique ? Avec une jolie délégation du pouvoir de police à une société privée ? Imaginons que Vinci, ou sa filiale Indigo, par exemple, cherche depuis des années à récupérer la verbalisation du stationnement de surface en ville, qu’elle cherche à s’imposer dans le domaine de la sécurité. Elle serait le parfait candidat.

Il faudrait que cette idée de privatisation des pouvoirs de police soit une idée venant d’en haut. Du gouvernement ou .. de l’Élysée.

Si on pense à l’Élysée, par exemple, qui est accusé d’avoir tranquillement usurpé les pouvoirs de police dernièrement, et s’est pris pour un CRS un 1er mai pour fracasser des manifestants ? Qui est accusé d’avoir voulu créer une police privée présidentielle remplaçant la garde rapprochée du président de la République, le GSPR ? Alexandre BENALLA. Cette tentative évoquée de privatisation a-t-elle ému quelqu’un à l’Elysée en dehors du GSPR lui-même et de la commission d’enquête du Sénat ? Non.

Des véhicules privées conduits par des personnes privées qui transportent des radars pour flasher les automobilistes ont été mis en place sous la même présidence. N’est-ce pas là une délégation du pouvoir de police à des personnes privées ? Certes c’est le radar qui flashe mais il ne le pourrait pas si un particulier ne le mettait pas en action par le fait de conduire à proximité des conducteurs verbalisables. Conduire ces véhicules radar privés fait juridiquement partie intégrante de l’acte de police réalisé. Cela constitue clairement une délégation du pouvoir de police à des privés. C’est contraire à ce principe constitutionnel. Ceci n’a pas empêché le gouvernement de confier cette mission à des privés.

Alors pourquoi le gouvernement et le président s’arrêteraient-ils là ? Quand on veut privatiser la police, on doit trouver un prétexte, l’affaiblir, prétendre qu’elle ne remplit plus ses missions. Il ne faut surtout pas de têtes bien faites parmi les gendarmes, les gradés, les officiers, qui soient réfractaires à perdre des missions essentielles. Alors, en théorie, si j’avais l’esprit mal tourné, et si je dirigeais ce mouvement de privatisation, je dirais, débarrassez-moi des réfractaires par tous les moyens, usez-les, harcelez-les, privez-les des missions valorisantes, donnez-leur des missions absurdes, comme de valider les ventes du Bon coin, surchargez-les, ignorez leurs plaintes, appuyez sur la tête des plus affaiblis pour les enfoncer. S’ils se suicident ou s’ils quittent l’institution, cela arrangera nos affaires. On ne veut pas de gens qui savent réfléchir, on ne veut pas de révolte. Alors, on s’en débarrasse.

Cela peut paraître incroyable et pourtant … Il n’y aurait aucun obstacle à cela, le gouvernement s’asseoit déjà sur la constitution pour les radars privatisés, un chargé de mission de l’Élysée, non fonctionnaire, est pris en vidéo avec un casque de police, un brassard de police, à traiter, à sa manière, des manifestants, il se ballade armé, sans vergogne, sans réaction des officiels.

Ah mais, à propos, lisez cela, sur la réforme du stationnement à Paris : « En plus de cette importante augmentation de prix, les contrôles devraient être bien plus courants. Également à partir du 1er janvier prochain, la verbalisation des automobilistes ne sera plus faite par des agents de surveillance de Paris (ASP) mais par deux sociétés privées (Vinci et Urbis) qui seront équipées de véhicules à lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation. Un système qui, en plus d’être plus efficace et de dissuader la fraude, devrait rapporter 300 millions d’euros de recettes supplémentaires à la mairie ». (Le Parisien)

Au passage, l’amende n’est plus une amende, c’est un forfait, le pouvoir de police municipal sur le stationnement devient la « gestion du parc de stationnement ». La Ville de Paris, par exemple, explique « la municipalité reconvertira son personnel dans la lutte contre les incivilités sur la voie publique (les mégots, les crottes de chien, le bruit ou le racolage) ».

Il suffit donc de changer de vocabulaire et de transformer la « lutte contre la délinquance » en « gestion des comportements infractionnels », d’infliger aux mis en cause non plus une peine, mais une « rétribution » de son acte. Et on privatise. La preuve est devant vos yeux.

Ce qui est certain, c’est que le Major TESAN ne doit pas être mort pour rien.

Je vous invite à relayer l’appel à témoins et l’appel à expert psychiatre de l’ancien procureur Frédéric CARTERON, l’un des ses amis proches, qui se bat actuellement pour connaître la vérité sur les raisons du suicide du Major afin, selon ses mots, de « tenter d’enrayer cette vague de suicide et de dépression au sein de la fonction publique et au-delà.« . C’est également dans cette optique que j’ai créé la page Facebook « Je suis harcelée mais je suis un soldat« , afin de relayer toutes ces histoires, afin de procureur des informations utiles aux victimes de harcèlement moral tant qu’il est tant.

Cet appel à témoin, que je reproduis ci-dessous, est publié sur le compte Facebook de M. CARTERON :

« L’enquête se poursuivant, je renouvelle mon appel à témoins afin d’aider les services du Procureur de la République dans leur mission. Vous pouvez continuer à adresser vos témoignages au Procureur de la République de Paris ou me les envoyer à devoirdememoire@use.startmail.com. Les informations recherchées concernent notamment l’environnement et les relations de travail au sein de la Brigade des Transports Aériens avant et après 2016 ainsi que les éléments de personnalité et les manières de servir du major José Tesan et de son directeur de service, ceci afin de satisfaire à l’impérieuse nécessité d’impartialité et d’objectivité dans cette enquête.

Par ailleurs, je suis à la recherche d’un MEDECIN PSYCHIATRE, EXPERT dans le traitement de la dépression d’adultes afin d’évaluer la détresse du Major José TESAN et d’en déterminer la cause. Je mettrai à la disposition de l’expert psychiatre la lettre d’adieu que José Tesan m’a envoyée, la correspondance privée que le Major Tesan et moi-même avons eue de 2016 au 18 septembre 2018, ainsi que les témoignages anonymes – ou rendus anonymes – qui me sont parvenus dès lors que leurs auteurs m’en donneront la permission. Ce faisceau d’indices, de faits et de témoignages participeront à notre effort destiné à faire toute la lumière sur cette tragédie. Aux dires d’experts psychiatres spécialisés dans la dépression et le suicide d’adultes « lorsqu’un geste de suicide est commis sur un lieu de travail, le lien avec travail va de soi. C’est ce que l’on appelle une signature ».

Au devoir de mémoire s’ajoute les devoirs de savoir et de courage.« .

Puissent nos 51 courageux gendarmes et policiers reposer en paix.

Source : Mediapart

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