Policiers et militaires, les gendarmes sont « réversibles »

Le général français de gendarmerie Philippe Rio prend le commandement de la mission européenne Eucap Sahel-Mali à Bamako. Entretien.

Propos recueillis par

Des soldats français au Mali (photo d'illustration).

La mort de trois soldats des forces spéciales américaines, le 5 octobre au Niger, tués par des djihadistes venus du Mali voisin, illustre une double réalité : d’une part, les armées locales ne sont pas en mesure de conduire seules les opérations militaires que la situation commande ; d’autre part, les unités rebelles naviguent dans la bande sahélienne comme sur un océan, se jouant des frontières et des États. Comme l’a souligné à cette occasion le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, devant le Conseil de sécurité de l’ONU à New York, cette attaque souligne l’urgente nécessité de mettre à pied d’œuvre la nouvelle force internationale de lutte contre les djihadistes du Sahel, le G5 Sahel (Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso et Mauritanie).

Pour autant, les forces internationales sont déjà très présentes dans la région, en renfort de forces nationales qui peinent à atteindre un niveau opérationnel satisfaisant. La Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) déployée depuis compte 11 000 hommes, qui ne suffisent visiblement pas à contrôler la situation.

Dans un rapport rendu public le 28 septembre, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, note qu’au Mali « la situation politique et les conditions de sécurité se sont considérablement détériorées » au cours des derniers mois. Il ajoute que « la reprise des combats entre les groupes armés signataires de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, dans le nord du pays, l’insécurité croissante dans le centre du pays et la montée de l’agitation politique entourant la révision de la Constitution ont retardé la mise en œuvre de l’accord ». Tous les observateurs l’indiquent : rien n’avancera tant que les forces de sécurité nationale maliennes n’auront pas atteint le niveau de compétence, d’organisation et de moyens que la situation exige. Afin d’aider le Mali dans la mise en place de forces solides, l’Union européenne a mis en place à Bamako la mission Eucap Sahel-Mali, chargée de conseiller les forces locales et de leur apporter l’expertise qui leur fait encore défaut. Son nouveau patron, le général de gendarmerie français Philippe Rio, a accepté de répondre aux questions du Point. Entretien.

Le Point : Vous êtes un ancien commandant de la force de gendarmerie européenne (FGE), assez mal connue. De quoi s’agit-il ?

Philippe Rio : La force de gendarmerie européenne regroupe les sept États membres de l’Union européenne disposant d’une gendarmerie : garde nationale républicaine portugaisekoninklijke marechaussee néerlandaise, gendarmerie nationale française, carabinieri italiens, guardia civil espagnole, jandarmeria română roumaine et Żandarmeria wojskowa polonaise. Cette force s’appuie sur un état-major conjoint permanent basé à Vicenza (Italie), qui apporte une expertise, planifie des opérations de police et accompagne le déploiement d’une composante policière en opération extérieure. Elle peut également mobiliser les capacités requises parmi 600 000 gendarmes européens. Elle est principalement dédiée à l’Union européenne, mais intervient aussi dans le cadre des Nations unies ou de l’Otan, avec notamment des déploiements après le tremblement de terre à Haïti, en Afghanistan ou en République centrafricaine.

Quelles sont les spécificités de la gendarmerie française dans les interventions extérieures ?

Force de police à statut militaire, elle peut déployer aussi bien une expertise policière pointue que des unités constituées robustes, avec des modes de projection et de commandement qui sont l’héritage direct de sa culture et de ses savoir-faire militaires. La gendarmerie nationale peut ainsi contribuer aux traditionnelles opérations de police internationale, de même qu’aux opérations militaires, auxquelles les gendarmes apportent une capacité d’interaction avec les populations et de gestion de l’ordre public conforme aux standards européens et internationaux. Comme en Centrafrique lors de l’opération Eufor RCA, la gendarmerie sait agir en mode dégradé dans un environnement de conflit ouvert : quand une patrouille de gendarmerie était prise sous un feu nourri à Bangui, elle était en mesure de se protéger en attendant son extraction par une compagnie d’infanterie : les gendarmes s’y étaient soigneusement préparés avec nos camarades de l’armée de terre.

Policiers et militaires ? En quoi les deux sont-ils compatibles ?

Les gendarmes sont en fait « réversibles » : on a ainsi pu basculer, parfois en quelques secondes, d’une action de police à un dispositif militaire, dont le chef de l’unité d’infanterie prenait le commandement. À l’inverse, des opérations militaires de contrôle de zone associant les gendarmes se sont transformées en opération de police après signalement d’un crime par les riverains : l’officier de gendarmerie prenait alors la main afin de protéger une scène de crime et d’y assister les policiers locaux dans leurs investigations. Eufor RCA contribuait ainsi de façon déterminante à la stabilisation et au retour de l’État de droit en Centrafrique. Mais si la gendarmerie se déploie dans les zones de crise, ce n’est pas seulement pour y lutter localement contre la criminalité. Lorsque la gendarmerie m’envoie au Mali, c’est, certes, pour appuyer les Maliens, mais c’est aussi pour contribuer à limiter l’impact de la criminalité transnationale – terrorisme, trafics de drogues, d’armes ou de migrants – sur l’Europe et sur la France. Je reste un gendarme pratiquant le cœur de son métier, quand bien même il ne s’exerce pas là où on l’attend !

Vous prenez donc le commandement de la mission civile de l’Union européenne de soutien aux forces de sécurité intérieure maliennes d’Eucap Sahel-Mali. Quel sera votre rôle ?

Pour mettre en œuvre le mandat d’Eucap, je serai placé sous l’autorité de Kenneth Dean, commandant des opérations civiles de l’Union européenne à Bruxelles, et sous le contrôle du Comité politique et de sécurité de l’UE. Localement, je serai en étroite relation avec le chef de la délégation européenne à Bamako, Alain Holleville. Mon rôle consistera à diriger la mission qui assure des fonctions de conseil des autorités maliennes, ministres compétents et directeurs généraux des forces de police, de gendarmerie et de la garde nationale, ainsi que la formation des cadres de ces forces. Initialement concentré sur l’amélioration de la gestion des ressources humaines et compte tenu de l’évolution de la situation, le mandat de la mission s’est étendu aux questions de terrorisme, de crime organisé et de surveillance des frontières. Pour cette mission, Eucap dispose d’une grosse centaine d’experts venus de treize États membres de l’Union européenne.

Quel est votre état d’esprit au moment de prendre vos fonctions ?

Je viens de passer une semaine à Bruxelles pour prendre mes instructions, impatient d’arriver à Bamako. Cette préparation souligne l’importance d’une concentration de notre effort sur le centre du pays, où nous aurons à accompagner les professionnels que nous aurons formés autant que les conditions de sécurité le permettent. En outre, nous devons être prêts a accompagner les Maliens dans leur volonté de coopérer avec leurs voisins dans le cadre du G5 Sahel, notamment dans la zone frontalière avec le Niger et le Burkina Faso. Tout comme mon prédécesseur allemand, l’ambassadeur Albrecht Conze, j’aurai naturellement à cœur d’intégrer les actions d’Eucap Sahel-Mali dans celles plus larges de l’UE, et d’assurer notre complémentarité au niveau de la communauté internationale, et singulièrement avec la Minusma.

Source : Le Point

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