Pas de démocratie sans souveraineté du peuple – par Jean Goychman

Dans son livre « Dépossession », disponible sur Internet (*) et publié par les éditions « Réorganisation du Monde », Liliane Held-Khawam décrit le processus dans lequel « l’hyper-puissance d’une élite financière met à genoux les Etats et les citoyens ».

(*)

Elle cite notamment (page 15) Alexandre Zynoviev, lequel rappelle que l’Occident a connu:

« une vraie démocratie à l’époque de la guerre froide. Les partis politiques avaient de vraies divergences idéologiques et des programmes politiques différents. Les organes de presse avaient des différences marquées eux aussi. Tout cela influençait la vie des gens, contribuait à leur bien-être. C’est bien fini. Parce que le capitalisme démocratique et prospère, celui des lois sociales et des garanties d’emploi devait beaucoup à l’épouvantail communiste. L’attaque massive contre les droits sociaux à l’Ouest a commencé avec la chute du communisme à l’Est. Aujourd’hui, les socialistes au pouvoir dans la plupart des pays d’Europe, mènent une politique de démantèlement social qui détruit tout ce qu’il y avait de socialiste justement dans les pays capitalistes ».

Cela signifie que cette période faste dans laquelle nous avons vécu dans la seconde moitié du XXème siècle n’était qu’une période transitoire qui devait s’achever après l’effondrement de l’URSS. L’oligarchie financière mondiale avait simplement décalé dans le temps la mise en œuvre de son plan de destruction des États, laquelle ne pouvait s’entreprendre qu’après la disparition du bloc soviétique. Cela revient à dire que toutes ces valeurs qui étaient brandies telles un étendard n’étaient que de la poudre aux yeux destinée à nous démontrer l’évidente supériorité de notre système par rapport au communisme.

Réduire les Etats en les « zombifiant »

Le sabotage des États s’opère en leur imposant des contraintes auxquelles ils ne peuvent plus se soustraire, sous peine de passer pour des « nationalistes pratiquant le repli sur soi ». Le mot clé est le « multilatéralisme ». C’est Woodrow Wilson qui l’a utilisé pour la première fois autour de 1920.

Quiconque connaît un peu son histoire pense immédiatement à Mandell House, plus connu sous le nom de « Colonel House », qui était une sorte de « nounou » que les banquiers privés à l’origine de la FED lui avaient imposé. Moreau-Desfarges le définit comme une «  quête d’un ordre international moral, conviction quasi messianique qu’il est possible de bâtir une société ou civilisation des États, confiance dans le droit et les institutions ». Pour le Larousse, c’est une « technique qui privilégie, au niveau des relations internationales, les rapports de chaque pays avec l’ensemble des autres ». Il n’est pas étonnant que l’ONU soit bâtie sur ce socle. Cette vision multilatéraliste a inspiré tous les traités internationaux signés depuis la fin de la guerre. Les États signataires de ces traités acceptent d’une manière tacite une perte de leur souveraineté et de leur indépendance au bénéfice d’une autorité « supra-nationale ». Le résultat est une uniformisation de « proche en proche » qui impose les mêmes normes et les mêmes lois à l’ensemble de ces signataires. La logique résultante est la libre-circulation généralisée des capitaux, des personnes et des biens qui était le prélude à une « supra-gouvernance » mondiale qui se met en place progressivement depuis des décennies. Le multilatéralisme induit des organes « multipartites » qui vont, dans un premier temps, apporter une « expertise » avant d’orienter directement les décisions de cette «supra-gouvernance ».

Un processus de longue haleine

L’ONU elle-même favorise ces rapprochements en émettant des recommandations telles que : « Encourager et promouvoir les partenariats publics, les partenariats public-privé et les partenariats avec la société civile, en faisant fond sur l’expérience acquise et les stratégies de financement appliquées en la matière » On ne saurait être plus clair. Cela conduit d’une manière inéluctable à l’affaiblissement de l’État, obligé de s’ouvrir à la « société civile », terme employé pour désigner les intérêts privés, et en particulier le « monde de la finance ».

En continuant à remonter le temps, c’est Roosevelt lui -même qui, en octobre 1936, à l’occasion du « New Deal », disait : (discours traduit par le site « Les-crises »)

« Nous avons dû lutter contre les vieux ennemis de la paix – le monopole industriel et financier, la spéculation, la banque véreuse, l’antagonisme de classe, l’esprit de clan, le profiteur de guerre-.Ils avaient commencé à considérer le gouvernement des États-Unis comme un simple appendice à leurs affaires privées. Nous savons maintenant qu’il est tout aussi dangereux d’être gouverné par l’argent organisé que par le crime organisé. Jamais dans toute notre histoire ces forces n’ont été aussi unies contre un candidat qu’elles ne le sont aujourd’hui. Elles sont unanimes dans leur haine pour moi — et leur haine me fais plaisir. Je peux dire que lors de mon premier mandat ces forces menées par l’égoïsme et la soif du pouvoir ont trouvé un adversaire à leur hauteur. J’aimerais pouvoir dire à l’issue de mon deuxième mandat qu’ils ont trouvé leur maître. Ceux qui avaient l’habitude d’avoir des passe-partout ne sont pas heureux. Certains d’entre eux sont même désespérés.

Seuls des hommes désespérés, le dos au mur, peuvent descendre en dessous d’un niveau de citoyenneté décent au point de promouvoir la campagne « feuille de paie » actuelle contre les travailleurs des États-Unis d’Amérique. Seuls les hommes désespérés, sans souci des conséquences de leurs actes, risqueraient de compromettre l’espoir d’une nouvelle paix entre travailleurs et employeurs en utilisant à nouveau la tactique de l’espionnage au travail. On y trouve notamment la justice, l’amour et l’humilité, non pas pour nous-mêmes en tant qu’ individus, mais pour notre Nation. C’est la voie de la paix. »

Hélas, ce beau discours n’a guère été suivi d’effets et la guerre, loin de calmer les appétits de cette élite financière, leur a fourni l’occasion d’affermir leur emprise sur le monde. Consacrant la suprématie des Etats-Unis, elle leur a permis de prendre le contrôle de la monnaie mondiale en imposant le dollar comme monnaie de réserve internationale. La dernière étape fût la fin du « gold Exchange  Standard » Depuis, le monde s’est « financiarisé » autour du dollar et d’autres monnaies établies sur le même principe, c’est à dire émises contre une dette d’un Etat, ce qui est le moyen le plus efficace pour asservir les peuples.

Comme l’écrit Liliane Held Khawam (page 35) :

« La création et la privatisation du principe des dettes publiques portées par des banques systémiques, chargées de produits financiers dangereux et menaçants, achèveront de mettre les gouvernements sous tutelle.

Financiarisation, multilatéralisme et partenariats multipartites publics-privés ont donc fait le lit de cette nouvelle structure systémique, mondialisée et interconnectée. Celle-ci réclamera tôt ou tard la fin officielle des États publics tels que ces derniers existent encore à ce jour dans notre mémoire collective. »

Peut-on parler de démocratie et de souveraineté sans les nations ?

La fin des États entraînerait irrémédiablement la fin des nations et noierait les peuples dans une humanité sans attachement à une terre particulière, en perpétuel mouvement au gré de ceux qui les dirigeraient.

Ils perdraient leur mémoire, leur culture et leur identité. Quel sens aurait alors le mot même de souveraineté ? Ce concept ne prend sens que si il existe un territoire particulier, délimité par des frontières réelles et matérialisées, à l’intérieur desquelles s’appliquent souverainement un ensemble de lois et de règlements. L’ensemble des citoyens vivant dans cet espace délimité s’appelle le peuple et les deux réunis constituent une nation.

Si ces lois sont élaborées par la représentation des citoyens élus au terme d’un processus appelé « élections », le régime politique devient alors une démocratie. La définition donnée par Abraham Lincoln se trouve alors pleinement justifiée : « La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple »

Seule la nation permet au peuple d’exprimer sa souveraineté et cette dernière ne peut s’exercer sans l’indépendance de cette nation.

Toute entité supranationale, quelle qu’elle soit, condamne cette souveraineté. Alors, vouloir nous faire croire aujourd’hui que seul un cadre supranational de type fédéral, comme celui que l’on voudrait imposer dans l’Union Européenne avant de l’étendre de proche en proche au monde entier, n’a strictement aucun sens.

De plus, si on justifie l’ensemble de la démarche en l’invoquant comme moyen pour généraliser la démocratie dans le monde, on pourrait citer le regretté Michel Audiard dans le film « ne nous fâchons pas »

« J’critique pas le côté farce, mais côté fair-play, y aurait quand même à redire ! »

Source : Le Courrier des Stratèges

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