« On va attendre qu’on se prenne un coup de couteau ? » : les 3 victimes de Ramadan nous racontent leur vie après la plainte

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Henda Ayari est la seule à avoir révélé son identité. Avec Christelle et Marie, elle subit une violente campagne de harcèlement depuis sa plainte contre Tariq Ramadan. Du harcèlement physique et non uniquement virtuel. – AFP
Les trois victimes présumées de Tariq Ramadan subissent, depuis leur plainte, une campagne de harcèlement d’une rare violence. Pour la première fois, elles racontent toutes les trois en exclusivité à « Marianne » leur calvaire.

Elles sont trois. Peut-être plus. Mais ces trois-là ont porté plainte. Et pas contre n’importe qui : leur bourreau présumé est Tariq Ramadan, mis en examen puis en détention le 2 février à la prison de Fleury-Merogis. Une décision qui, pour toutes, a bouleversé le quotidien, parfois bien au-delà de ce qu’elles imaginaient. Menaces, insultes, agressions physiques, mais, heureusement aussi, soutiens venant parfois d’inconnus… Le processus judiciaire lourd face à un homme à l’incroyable réseau, prêt à tout pour les faire plier, leur fait parfois regretter leur plainte.

« Tu n’as que ce que tu mérites ». Voici un des nombreux messages que reçoit chaque jour Marie*, qui a porté plainte pour viols contre Tariq Ramadan le 7 mars 2018. Ce message pourrait ressembler à tous les autres, mais il vient d’un de ses frères. Depuis sa plainte, « les relations familiales sont très compliquées », nous explique-t-elle, peinée. Ce jeudi 5 avril, elle a dû porter plainte contre lui. Outre les menaces de mort, il avait également divulgué son identité sur les réseaux sociaux. Une « véritable trahison » pour celle qui peut, malgré tout, compter sur le soutien d’une partie de sa famille. Henda Ayari, qui a porté plainte le 20 octobre 2017, n’a plus aucun soutien de ce côté-là : « Ma famille ne m’adresse plus la parole. Je suis très isolée ».

Toute leur vie sur les réseaux sociaux

Les noms, numéros de téléphone et adresses des trois plaignantes ont été divulgués sur les réseaux sociaux. Henda Ayari déplore : « Je ne peux plus faire mes courses, je ne peux plus me balader dans la rue. Je sors désormais avec une casquette, un bonnet, des lunettes de soleil et la tête baissée ». Suite à cette campagne de harcèlement d’une rare violence, toutes disent subir le même enfermement : « Je sors de moins en moins », témoigne Marie. De son côté, la deuxième plaignante surnommée Christelle*, qui a porté plainte le 27 octobre 2017, ne sort qu’en cas de nécessité absolue : « Pour des rendez-vous administratifs, ou avec mes avocats. Je me fais livrer les courses, maintenant ». Deux semaines plus tôt, elle s’est faite insultée et crachée dessus : « Sale pute », « sale nègre », lui ont lancé quatre jeunes dans la rue.

Toutes font le récit glaçant de menaces, d’insultes, d’appels anonymes et d’agressions au quotidien. Et les témoignages se ressemblent : « Ça sonne chez moi en pleine nuit, je reçois des appels anonymes tous les jours, de gens qui respirent, ou qui rient à l’autre bout du fil ». Tandis que Marie décrit un climat de « peur permanente », Christelle a préféré débrancher son interphone. « Je ne veux plus me réveiller en tremblant la nuit, lorsque des inconnus sonnent à ma porte« , explique-t-elle.

« Cette surveillance nous terrorise »

Alors que, comme l’a révélé Marianne, les comités de soutien ont publiquement affirmé utiliser l’argent des différentes cagnottes collectées pour la défense de Tariq Ramadan pour faire « de la surveillance » et des « enquêtes privées », les trois plaignantes sa savent surveillées. « Je sais très bien que je suis en danger », nous confie Henda Ayari. Christelle a vu plusieurs plusieurs de ses messageries piratées et reçoit des e-mails d’inconnus contenant « des informations très précises sur (s)a vie privée, sur (s)on emploi du temps ». Et d’ajouter : « Cette surveillance nous terrorise ».

Depuis la mise en détention de Tariq Ramadan le 2 février, le harcèlement s’est durci. Quelques jours avant son agression, Marie amène son enfant à l’école. Une voiture s’arrête à sa hauteur, et le conducteur lui lance : « Tu vas voir ta gueule, fais attention à tes enfants ». Selon la plainte qu’elle a déposée, et que nous avons pu consulter, elle devait ce jour-là se rendre à Paris pour voir ses avocats. Ses agresseurs ont-ils sciemment tenté de l’intimider avant la rencontre avec ses avocats ? Impossible de l’affirmer. Mais cela a suffi à la faire renoncer à son rendez-vous. Le 24 mars, elle est violemment agressée dans son hall d’immeuble, par deux hommes casqués, qui, après l’avoir tabassée, l’aspergent d’eau et lui lancent : « T’as de la chance que c’est pas de la pisse. La prochaine fois, ce sera de l’essence« .

Précarité financière

A cette campagne de harcèlement, s’ajoute une précarité financière qui commence, pour certaines, à compromettre le déroulement judiciaire. Henda Ayari n’a pas de « travail alimentaire ». « Je ne peux travailler comme avant, tout le monde me reconnaîtrait … », explique-t-elle. Aujourd’hui, elle s’investit bénévolement dans son association, « Libératrices ». Christelle, programmatrice informatique, vit « en dessous du seuil de pauvreté« . Elle tente de remonter une entreprise, mais « c’est dur dans ces conditions », déplore-t-elle. Des difficultés financières qui influent directement sur leur sécurité. Henda Ayari, dont la voiture a encore été endommagée samedi 31 mars, et qui essuie des dizaines de menaces de mort par jour, a tenté de porter plainte contre X. : « Pour cela, je dois effectuer un constat d’huissier. Et je n’ai pas les moyens de le faire ». En outre, la première à avoir porté plainte contre l’islamologue s’étonne du peu d’intérêt que les associations féministes portent à son affaire : « Je n’ai reçu absolument aucun message d’associations féministes, ni aucun soutien financier. Même celles qui bénéficient de subventions n’ont pas levé le petit doigt pour nous », s’emporte-t-elle.

Les réseaux sociaux constituent tout de même, pour ces trois femmes, un espace privilégié et singulier. Malgré les menaces qu’elles essuient, Marie, Christelle et Henda Ayari ne souhaitent pas les quitter : « Je suis constamment insultée sur les réseaux sociaux, mais c’est aussi l’endroit où je suis soutenue par beaucoup de gens », explique la première. Henda Ayari, qui n’est pas soutenue par sa famille, ne peut se passer de ces messages d’inconnus : « Ce sont les anonymes qui me soutiennent. S’ils n’avaient pas été là, je n’aurais pas tenu le coup ». Christelle a, de son côté, crée un compte Twitter avec ce nom d’emprunt, utilisé par la presse : « Je ne voulais plus être seulement celle qui s’est faite sodomisée et pissée dessus. Je suis autre chose que cela, et je voulais que les gens le sachent », affirme-t-elle, avant de souligner le réconfort que constituent ces messages de soutien virtuels

« Nous sommes à la limite de la non-assistance à personne en danger »

Pourtant, aucune ne s’attendait à un tel degré de violence. « Je savais que ça allait être dur. Mais pas à ce point-là », nous confient-elles d’une même voix. Henda Ayari a perdu du poids, est très fatiguée. Christelle a attrapé un ulcère. Deux d’entre elles ont même envisagé de retirer leur plainte. « Franchement, je me suis posée la question. Est-ce que ça vaut le coup ? Les appels au meurtre, au viol … », avoue Henda Ayari. Marie a également pensé à tout arrêter après son agression : « J’ai surtout peur pour mes enfants », affirme-t-elle. Malgré ces doutes, toutes les trois sont finalement décidées à continuer. « Si cela peut pousser d’autres femmes à porter plainte, il faut le faire », nous dit Henda Ayari. « Il faut l’empêcher de recommencer », martèle Marie*. Christelle, elle, n’a jamais remis en question sa décision : « Je peux passer des journées, terrorisée, à pleurer chez moi. Mais je n’ai jamais regretté ma plainte ».

Après son agression, Marie a demandé une protection policière. « J’attends toujours », nous dit-elle. Ça devient urgent ». Toutes ont demandé à déménager, « mais ça traîne … », nous confie Henda Ayari. Le mercredi 28 mars, elle s’est rendue à la marche blanche en hommage à Mireille Knoll, cette octogénaire juive sauvagement assassinée quelques jours plus tôt. Inquiète, elle a tenté de contacter la police afin de bénéficier d’une protection. Ses nombreux messages sont restés sans réponse. « Je me suis quand même rendue au rassemblement, et dans le métro, un homme est passé devant moi et m’a craché au visage », affirme-t-elle. Après l’agression de Marie, Christelle s’inquiète : « Avec mes béquilles, je ne peux même pas m’enfuir en cas d’agression … ».

Alors que leur quotidien est régi par la peur d’être reconnues, insultées, agressées, elles imaginent le pire aujourd’hui : « Va-t-on attendre que l’une de nous se prenne un coup de couteau ?! » s’insurge Christelle. Selon elle, « nous sommes à la limite de la non-assistance à personne en danger« .

*Pseudonyme

Des premiers soutiens politiques
Depuis la publication de la plainte pour agression de Marie, quelques politiques ont manifesté leur soutien aux plaignantes, selon leur témoignage auprès de Marianne. Parmi eux :
– Patrick Karam (Vice-président LR du Conseil Régional d’Ile-de-France)
– Bernard Carayon (maire LR de Lavaur)
– Valérie Pécresse (Présidente LR du Conseil régional d’Ile-de-France), qui devrait très prochainement recevoir Henda Ayari.
– Marlène Schiappa (Secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein du gouvernement Macron) qui s’est exprimée à travers un tweet mardi 3 avril : « Les menaces intimidations voire agressions en direction de femmes ayant déposé plainte pour viol sont intolérables.
Autorités compétentes alertées et en action
« .

Source : Marianne

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