Non , il n’y a pas que des héros dans la lutte contre le Covid

index
La situation actuelle masque une réalité bien sombre dans les petites unités en région pour les personnels soignants qui vont tous les jours au charbon sans aucune protection, sans équipement, sans soutien moral d’administrations dépassées et indigentes.. Les chiffres ne reflètent souvent que l’absence de possibilité d’évaluer correctement les données par manque de moyen, de volonté et de courage.

 

Non , il n’y a pas que des héros dans la lutte contre le Covid

  Nous, équipe soignante et médicale du service des urgences de l’hôpital d’une ville du Sud-Ouest chère à André Malraux, n’en pouvons plus d’entendre, jour après jour, les satisfecit honteux d’un pouvoir qui ment et dont les relais administratifs locaux concourent à pérenniser ces mensonges sur le terrain.

Notre petit hôpital est laissé pour compte par sa directrice déléguée qui n’est jamais venue dans les services pour rassurer ou réconforter les personnels, s’enquérir de leurs difficultés ou de leurs inquiétudes. En cela rien de nouveau puisque ce comportement ne diffère guère de son attitude habituelle, mais nous aurions été en droit de penser que, crise oblige, une certaine prise de conscience de la gravité de la situation aurait été la bienvenue. En vain !

Au contraire, au début de la pandémie, lorsque tous les indicateurs annonçaient l’opportunité d’une grave crise sanitaire en mettant en avant une impréparation notoire, cette dernière était en vacances et n’a pas trouvé opportun de revenir afin de mettre en place les mesures que d’autres établissements implantaient.

Ce n’était malheureusement pas la seule puis deux chefs de pôle, en médecine et aux urgences, pointaient également aux abonnés absents. Mais le plus grave, c’est qu’à l’inconséquence et le mépris manifestés envers les équipes soignantes, il a fallu y ajouter une attitude coupable envers toutes les équipes, et principalement les équipes du service de médecine ainsi que des personnels en charge du nettoyage, puisqu’il leur a été interdit, sous peine de blâme de porter le masque dans les unités sous prétexte que cela risquait d’inquiéter inutilement les familles. Le cadre de santé du service s’est chargé de transmettre cette « bonne parole » répressive lors même que les recommandations de l’ARS imposaient tout le contraire.

A cette date, et malgré tous les messages ressassés jour après jour, la majorité des cadres de santé qui vont de réunion en réunion, que ce soit dans les étages ou hors de l’hôpital, ne portent toujours pas de masque faisant ainsi fi des mesures les plus élémentaires d’hygiène.

Le chef de pôle de médecine ne dépare pas à ce tableau effroyable en n’arborant pas de masque tout en acceptant dans son service, qui n’est pas une unité Covid dédiée, des patients venant directement de l’extérieur et qui ne passent donc pas par le circuit mis en place par l’unité des urgences en enfreignant toutes les règles sanitaires reconnues et préconisées.

De fait, le risque encouru par les patients et les soignants est inimaginable et serait déjà inacceptable en temps normaux si cette maladie n’était pas si terrible. Cette attitude exposant à la mise en danger de la vie d’autrui qu’ils soient soignants ou malades vient se surajouter à l’absence de mise à disposition de matériel de protection.

Il n’est pas rare que, dans une même journée, nos médecins urgentistes, nos infirmières et nos aides-soignants, au sein du circuit spécifiquement dédié, s’habillent plusieurs fois pour examiner, soigner, traiter des patients suspectés ou porteurs avérés du Covid avec des tenues disparates et hétéroclites faisant plus penser à une armée de mercenaires de la Renaissance. Tenues complètes venant de Chine dont on ne peut déterminer la taille au vu d’une notice non traduite, tenues de peintres, gants de taille insuffisantes et de longueur inadéquates, masques divers tant en forme, qu’en texture ou en couleur, couvre-chefs bariolés de qualités diverses, c’est un véritable bestiaire vestimentaire hospitalier qui nous est fourni. Un catalogue à la Prévert qui prêterait à rire si ce n’était faire abstraction du contexte.

Tout cela est déjà assez épuisant moralement sans que le chef de pôle des urgences ne vante les vertus des douches bouillantes et des boissons chaudes pour contenir le virus. Donald Trump, sors de ce corps !

Il est trop tôt pour tirer les conclusions de cette crise qui n’aura fait en définitive que mettre en avant la gestion calamiteuse, le comportement lâche et coupable ou l’incompétence de certains. Mais il faudra certainement réfléchir vite aux conséquences humaines, médicales et organisationnelles générées par la perte de confiance et la défiance envers de tels actes et leurs auteurs.

Nous considérons que de tels manquements de la part de la direction de l’hôpital ainsi que de certains chefs de pôle constituent une méconnaissance évidente de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, méconnaissance ayant amené récemment la cour d’appel de Versailles à condamner Amazon.

A cette date, aucun des personnels soignants des urgences et des autres services de notre hôpital n’ont été testés malgré certains cas symptomatiques pour lesquels les autorités administratives ont très vite préconisé des arrêts de travail sans test. Nous ne savons pas si nous sommes contaminés ou contaminants, nous ne savons pas si nous ne risquons pas de transmettre ce fléau à nos familles ou nos proches. Certains politiques ainsi que leurs familles sont testés, pas nous.

Alors on nous dit qu’il y a peu de cas en Dordogne. Mais c’est faux. Archi-faux !

Le ministre de la Santé a même eu le culot, et nous pesons nos mots, de dire sur France Inter vendredi matin qu’il n’y avait aucun cas alors que c’est totalement faux. On ne peut en connaître le nombre réel malgré les chiffres présentés par l’ARS. Des personnes meurent du Covid en étant testées, d’autres aussi sans l’être faute de test disponible et ne sont ainsi pas comptabilisées. La gestion des EHPAD est calamiteuses et pour reprendre l’expression de Jean-Michel Blanquer, il y a des trous dans les mailles de la raquette sauf que pour nous il n’y a que l’armature de la raquette. On a que le manche … et encore.

Mais comment tester nos personnels et nos malades lorsque nous devons attendre l’autorisation de l’infectiologue du CH départemental pour que le laboratoire local – nous n’avons pas de laboratoire au sien de l’hôpital – consente à nous délivrer le précieux sésame au vu de nos informations transmises par téléphone ?

Il faut noter que cet infectiologue, qui se déplaçait dans l’hôpital sans masque, a passé 15 jours en confinement après avoir été contaminé par le Covid et qu’un cluster de 38 cas malades et soignants a été identifié dans l’unité de SSR du même hôpital. Il semble que les praticiens au chevet du patient, qui ont pratiqué les examens cliniques, biologiques et scannographiques ne sont pas à même de déterminer la nécessité ou non de tester le patient lors même que certains patients adressés par leur généraliste au laboratoire sans aucun examen complémentaire sont testés sans détour.

Il est certain que l’on risque moins d’avoir des cas positifs au Covid 19 si les tests ne sont pas pratiqués alors que la clinique et les aspects du scanner sont parlants. Joli biais de sélection pour un escamotage en règle des vraies données.

Dans notre hôpital, il y a une véritable omerta de la part de la direction, de certains cadres ou médecins, persuadés que plus tôt nous serons tous contaminés, plus tôt la pandémie s’arrêtera. Alors pourquoi porter un masque ?! Comment peut-on espérer rompre la chaîne de contamination si certains médecins continuent à parader sans masque et en refuser l’accès à leur personnel sous peine de sanction disciplinaire ?

Cette omerta explique l’absence de volonté de tester les personnels, probablement par peur d’identifier un cluster dans un service particulier. Les arrêts de travail préventifs ont fleuri au début de la pandémie à la demande de certains cadres hospitaliers afin d’écarter des collègues à risque (asthme, affections diverses, femmes enceintes) mais en fait tout cela n’a servi qu’à exonérer la direction de pratiquer des tests.

Martin Hirsch, patron de l’AP-HP écrit « Les soignants étant exposés, il est indispensable de les considérer comme prioritaires pour les tests ». Ce n’est visiblement pas l’opinion de notre directrice. Pas de test sur le personnel soignant, donc pas de taux local de contamination dans l’hôpital ce qui permettra de s’auto-congratuler lors de la prochaine Commission Médicale d’Etablissement en mangeant des petits fours dont on gardera les restes pour les équipes des urgences.

Alors oui, il est paradoxal de se voir applaudir par ces mêmes personnes qui probablement nous hurleront dessus lorsque l’attente aux urgences leur paraîtra trop longue une fois levé le confinement pour simplement faire notre travail comme nous l’avons toujours fait, avec passion, professionnalisme et respect.

Il n’y a aucun héroïsme à pratiquer notre métier mais force est de reconnaître que venir travailler dans de telles conditions dégradées, sans matériel, sans considération, sans protection, sans test, avec le risque de contaminer ses proches, ses patients ou d’être contaminé relève d’une certaine noblesse et d’un courage dont on qualifie les héros.

Mais, tous n’auront pas été des héros et nous ne l’oublierons pas le temps venu.

Source : Médiapart

 

What do you want to do ?

New mail

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *