Mystère autour de l’assassinat d’un ex-agent de la DGSE : «Celui qui l’a tué est un pro»

Cinq mois après le meurtre de Daniel Forestier, ses proches, comme les enquêteurs, sont convaincus que cet ex-agent de la DGSE a été abattu en Haute-Savoie par des tueurs professionnels. Personne ne sait pourquoi.

ZFMJVG76RTSWWNJFH4XTEI7L3ADaniel Forestier, un ancien agent de la DGSE, a été tué le 21 mars dernier. DR

Une heure avant sa mort, Daniel Forestier a tenu sa promesse. Vers 13 heures ce 21 mars, il a apporté une pivoine banche à Danielle, sa voisine. « C’était un homme très sympathique », dit-elle en jetant un œil à son jardin. À Lucinges (Haute-Savoie), où il s’était installé seize ans plus tôt, Daniel Forestier était ce « militaire à la retraite » qui avait tenu le bistrot du village, ce conseiller municipal devenu magnétiseur et toujours prêt à rendre service.

Sans se cacher, il restait en revanche discret sur son passé à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). « Même avec nous, il a toujours été secret sur son travail, confie Ginette, sa mère. Je n’ai jamais vraiment su ce qu’il faisait. » « Il n’en parlait pas, confirme Michel, son frère. Pour se protéger, nous protéger. »

Son passé d’agent secret a resurgi le 21 mars. Une heure après sa visite à sa voisine, Daniel Forestier est exécuté à moins de 20 km de Lucinges. Quelques instants plus tôt, il avait reçu un coup de téléphone de l’étranger, de Suisse, selon nos informations. « Un patient », dit-il à sa femme. À 14h30, sur un parking avec vue sur le lac Léman, Daniel Forestier est atteint de cinq balles.

C’est dans ce parking, où on lui avait donné rendez-vous, à moins de 20 km de chez lui, que Daniel Forestier a été abattu. /LP/Vincent Gautronneau
C’est dans ce parking, où on lui avait donné rendez-vous, à moins de 20 km de chez lui, que Daniel Forestier a été abattu. /LP/Vincent Gautronneau  

Une balle touche le cœur, une autre la tête, à bout portant. « Une exécution, souffle une source policière. Du travail de pro. » Cinq mois plus tard, selon nos informations, la police judiciaire (PJ) de Lyon se heurte à un mur. Pas d’ADN, pas d’empreintes… Des témoins ont entendu les tirs mais n’ont rien vu. Même les douilles laissées sur place semblent l’avoir été sciemment, comme si le tueur (sous réserve qu’il n’y en ait qu’un) savait qu’elles ne permettraient pas de remonter jusqu’à lui.

« Au moins trois pistes pour expliquer sa mort »

Cet assassin, « c’était un bon », estime Franck*, qui a assuré pendant plusieurs années la sécurité de la fille de l’ancien président kazakh Noursoultan Nazarbaïev avec Daniel Forestier, rencontré en Afghanistan. « Daniel, on ne pouvait pas le surprendre. C’était un grand professionnel, quelqu’un d’opérationnel qui savait se battre. S’ils l’ont eu, c’est qu’ils étaient très bien organisés… »

À la DGSE, il n’avait en effet rien d’un gratte-papier. Pendant 14 ans, il a servi au service Action – l’unité chargée des missions clandestines. Il a ensuite formé les agents d’élite du « SA » au parachutisme. Avant de raccrocher. Complètement ? « Dans ce monde-là, on n’arrête jamais vraiment d’être actif, glisse une source policière. C’est un profil particulier, cet homme, ça n’aide pas l’enquête… »

« Il y a au moins trois pistes pour expliquer sa mort, assure Me Cédric Huissoud, son avocat, qui représente désormais la famille Forestier. Le Kazakhstan, le Congo… et la France. » Le 12 septembre 2018, Daniel Forestier avait ainsi été mis en examen pour « association de malfaiteurs » et « détention d’explosifs ». La justice le suspectait d’être – avec d’autres anciens de la DGSE – partie prenante d’ un complot visant à éliminer le général Mbaou, un opposant au président congolais Denis Sassou-Nguesso. « Il était poursuivi pour détention d’explosifs dans un dossier ou il n’y a aucun explosif! Quand la PJ a perquisitionné chez sa mère, où les soi-disant explosifs étaient cachés, les chiens n’ont rien relevé, s’agace Me Huissoud. Il n’y avait rien dans ce dossier… »

Son passé et la photo de sa maison publiés sur Twitter

Le seul élément tangible de cette affaire a ainsi été livré… par Daniel Forestier lui-même. Durant l’été 2018, l’ancien espion aurait rencontré, à Annemasse, deux agents de la Direction générale de sécurité intérieure (DGSI) et éventé le projet d’assassinat. Service entre amis peu habitués à balancer des informateurs, pense alors Daniel Forestier. Mais la DGSI prévient le procureur de Lyon.

Le 8 septembre, l’ex-espion est interpellé par la PJ sur la foi d’une « information d’un service partenaire ». Pendant 96 heures, Daniel Forestier reste mutique. Dans sa seule déclaration, au juge, il lâche simplement : « Je conteste les propos qui me sont prêtés. » Mais le mal est fait : sa mise en examen et sa rencontre avec la DGSI sont désormais publiques. Comment les commanditaires de l’assassinat ont-ils réagi ? « La certitude, c’est que quelques jours après, son passé et la photo de sa maison étaient publiés sur un obscur compte Twitter », assure Me Huissoud, qui a déposé une plainte.

L’autre piste qui pourrait expliquer la mort de Daniel Forestier mène au Kazakhstan. Depuis plusieurs années, il était chargé de la protection de la puissante famille Nazarbaïev. « Il allait à Genève, au ski ou en Espagne avec la famille », explique Ginette. « Il n’est pas inepte de penser qu’il a pu, en plus de son travail officiel de garde du corps, continuer à travailler en sous-main pour certains services, confie une proche du dossier. Peut-être que certains se sont sentis trahis en découvrant qui il était… » « La double casquette, je n’y crois pas, contredit Me Huissoud. Ce n’était pas son tempérament. Mais peut-être qu’apprendre son passé au moment de sa mise en examen a gêné certaines personnes… »

« Celui qui a tué mon fils est un pro »

Enfin, selon l’avocat de la famille Forestier, « la piste française ne peut pas être écartée ». En éventant le projet d’assassinat à la DGSI, Daniel Forestier « a pu être vu comme une balance », estime un proche du dossier. Dangereux dans un monde où le secret est une vertu cardinale. « Il n’avait pourtant pas l’air stressé du tout avant sa mort, confie Franck. C’était un homme très solide. » Saura-t-on un jour qui l’a tué ? « Nous sommes impatients que la justice avance, souhaite Me Huissoud. L’espoir de retrouver celui qui a fait ça existe. »

Plus fataliste, Ginette avoue « ne pas savoir ce que ça va changer s’il est arrêté. Celui qui a tué mon fils est un pro, il ne sait sûrement même pas qui était Daniel, ne s’intéresse pas à nous, il a juste fait un travail… J’ai l’impression d’être dans un roman policier dont il manque les dernières pages. »

Source : Le Parisien

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