Les gendarmes ont-ils empêché des journalistes de couvrir l’évacuation des locaux d’Amazon ?

1233403-brut-remy-buisine-amazon-bloque-par-des-gendarmes-checknewsUn journaliste de LCI bloqué par un gendarme, mardi à Clichy (Hauts-de-Seine), alors qu’il essaye de couverture de l’occupation des locaux d’Amazon France. Capture d’écran live Facebook de Rémy Buisine / Brut

A Clichy, plusieurs journalistes ont été expulsés des bureaux de l’entreprise américaine, avec les militants écologistes qui les occupaient. Ils ont ensuite été empêchés physiquement de regagner le site, alors que des badauds continuaient de passer sans encombres.

Question posée par Eglantine le 04/07/2019

Bonjour,

Vous êtes nombreux à nous interroger sur les difficultés rencontrées par plusieurs journalistes lors de la couverture de l’action d’occupation du siège d’Amazon France à Clichy (Hauts-de-Seine) qui a eu lieu mardi. La séquence, qui dure près de trois heures, a notamment été filmée et diffusée en direct sur Facebook par le journaliste Rémy Buisine pour le média en ligne Brut.

«Mardi matin, environ une centaine de militants des collectifs les Amis de la Terre et Action non violente (ANV) Cop 21 ainsi que des gilets jaunes bloquent l’accès au siège d’Amazon France», écrit l’AFP. Ils étaient «240 selon les participants».

Vers 17 heures, une trentaine de gendarmes interviennent pour les évacuer, expliquent à CheckNews des journalistes et des militants écologistes présents. Parmi la petite dizaine de nos confrères, présents pour la plupart depuis le matin, Matthieu Jublin, journaliste à LCI, décrit la scène : «Les échanges avec les gendarmes étaient cordiaux. Ils nous parlaient poliment.»

Alors qu’il ne reste plus qu’une vingtaine de militants à l’intérieur, on découvre sur la vidéo de Rémy Buisine que les forces de l’ordre demandent soudainement aux médias de quitter les lieux au prétexte que le siège d’Amazon est une propriété privée. «On arrivait à travailler correctement, sans gêner les opérations des forces de l’ordre, mais ils sont dans la légalité de nous expulser», concède dans sa vidéo le journaliste de Brut.

Raccompagnés puis bloqués

Dans la foulée, les journalistes sont escortés par une dizaine de gendarmes vers la station de métro Mairie-de-Clichy, sans explication. Dans la vidéo, on voit le journaliste de LCI protester : «Je n’ai aucune raison de monter dans le métro.»

Les militants écologistes sont eux aussi escortés par petits groupes jusqu’à la station de métro. «Dans le calme», nous affirme l’une d’entre eux. Ce que confirme une vidéo publiée sur Twitter par une internaute également présente.

Une fois arrivées à la station, les forces de l’ordre se séparent des journalistes. Ces derniers tentent de repartir sur les lieux, suivant les gendarmes. «Les choses évoluent dans un sens positif. […] On va faire notre boulot de journaliste, on va aller là où les limites sont posées par le dispositif de police», rapporte alors Rémy Buisine.

Seulement, les journalistes sont à nouveau bloqués au niveau d’un carrefour quelques minutes plus tard par les forces de l’ordre, qui leur interdisent de se rapprocher des locaux d’Amazon. Sur la vidéo, on voit pourtant des passants marcher vers le lieu, sans être arrêtés ou même contrôlés par les gendarmes. «La presse est en attente», indique un des membres des forces de l’ordre qui bloque le passage. «Des voitures et des passants circulaient normalement. Seuls les journalistes ont été empêchés. J’ai essayé de les contourner et ils m’ont repoussé», raconte à CheckNews Matthieu Jublin.

Lorsque les forces de l’ordre quittent les lieux en début de soirée, les journalistes parviennent à regagner le siège d’Amazon. «C’était trop tard, l’évacuation était finie. Il n’y avait plus personne», nous raconte un journaliste présent et qui souhaite rester anonyme.

«Zone d’exclusion»

Contactée par CheckNews, la préfecture de police de Paris explique : «Lors de cette opération, l’autorité civile en charge du dispositif de maintien de l’ordre a décidé de mettre en place une zone d’exclusion pour assurer les différentes missions de police nécessaires, dont l’évacuation des personnes assurant le blocage. Les journalistes ont été positionnés en dehors de cette zone d’exclusion, soit à une distance raisonnable des forces de l’ordre afin de permettre le bon déroulement de l’évacuation.»

Dans un premier temps, les journalistes sont éconduits du siège d’Amazon par les gendarmes de la même manière que les militants – ce qui corrobore la création d’une zone d’exclusion. Mais quand nos confrères tentent de revenir depuis le métro, ils subissent un traitement différencié par rapport aux passants, cette «zone d’exclusion» étant devenue perméable aux personnes sur le trottoir ou aux véhicules circulant sur la chaussée.

Concernant le fait que les gendarmes laissent passer les badauds, mais pas les journalistes, plusieurs sources au sein de l’appareil du maintien de l’ordre expliquent qu’il s’agissait de «riverains». Aucun contrôle n’a pourtant été effectué pour vérifier qu’ils habitaient bien dans la rue bloquée. Relancée sur ce point, et sur la circulation de voiture dans une zone d’exclusion, la préfecture n’a pas souhaité apporter de détails supplémentaires.

«Intimidation»

Contactées par CheckNews, deux militantes de l’association écologiste ANV-Cop 21 qui participaient au blocage d’Amazon déplorent des comportements violents de la part des forces de l’ordre, tout en récusant le terme de «bavure». «Certains s’appuyaient physiquement sur les points sensibles des activistes comme les genoux, le cou», regrette l’une, affirmant qu’il y avait eu «pas mal de tentatives d’intimidation». Le journaliste anonyme cité plus haut affirme avoir été menacé : «Le gendarme m’a dit avec un sourire : « On se reverra. »»

Les militantes assurent en revanche qu’il n’y a pas eu, cette fois, de «lacrymogène». Une référence à l’évacuation de manifestants écologistes occupant le pont de Sully vendredi 28 juin, contre lesquels des policiers avaient utilisé des gazeuses lacrymogènes à très faible distance. Une action jugée «parfaitement légitime» par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, mais qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête IGPN.

Alfred de Montesquiou, journaliste indépendant qui a lui aussi été empêché de couvrir l’évacuation des locaux d’Amazon, donne son point de vue à l’Express : «Vendredi dernier, ça a été un scandale, avec les lacrymos dans les yeux des écologistes sur le pont de Sully. Ils ont sans doute eu des consignes pour ne pas refaire d’esclandre. Mais plutôt que de ne brutaliser personne, le plus simple est visiblement d’enlever les caméras !»

Le Point a comparé l’indignation suscitée par la violence des images du pont de Sully et celle provoquée par des gendarmes empêchant des journalistes de travailler. L’hebdomadaire conclut : «Ce ne sont pas eux qui sont ici en cause, mais bien les donneurs d’ordre en haut de la chaîne hiérarchique, à la préfecture de police dans ces deux cas. Et pourtant, ce sont bien ces policiers et gendarmes sur le terrain qui vont souffrir durablement d’ordres contestables et de l’image catastrophique qu’ils engendrent.»

Fabien Leboucq et Pierre Bruyère

Source : Libération

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *