« Le temps du mépris », par Albert Camus

Pour un Nuremberg du national-covidisme

« Le temps du mépris », par Albert Camus

Combat (30 août 1944)

samedi 19 novembre 2022, par Lionel Labosse

Quelques jours après la libération de Paris (24 août 1944), Albert Camus publie ce texte le 30 août dans le journal clandestin de la Résistance Combat créé en 1941. Dans cet éditorial, Albert Camus se demande quelle justice doit être rendue pour les actes de torture commis dans les jours qui précédaient.
Voici d’abord ce texte historique qui, étonnamment, n’était pas disponible intégralement sur Internet jusque-là. J’expliquerai subséquemment en quoi ce texte résonne en cette ère national-covidiste.

« Le temps du mépris »

Albert Camus : « Le temps du mépris ». Combat (30 août 1944).
par Lionel Labosse

« Trente-quatre Français torturés, puis assassinés à Vincennes, ce sont là des mots qui ne disent rien si l’imagination n’y supplée pas. Et que voit l’imagination ?
Deux hommes face à face dont l’un s’apprête à arracher les ongles d’un autre qui le regarde.
Ce n’est pas la première fois que ces insupportables images nous sont proposées. En 1933, a commencé une époque qu’un des plus grands parmi nous a justement appelée le temps du mépris [1]. Et pendant dix ans, à chaque nouvelle que des êtres nus et désarmés avaient été patiemment mutilés par des hommes dont le visage était fait comme le nôtre, la tête nous tournait et nous demandions comment cela était possible.
Cela pourtant était possible. Pendant dix ans, cela a été possible et aujourd’hui, comme pour nous avertir que la victoire des armes ne triomphe pas de tout, voici encore des camarades éventrés, des membres déchiquetés et des yeux dont on a écrasé le regard à coups de talon. Et ceux qui ont fait cela savaient céder leur place dans le métro, tout comme Himmler [2], qui a fait de la torture une science et un métier, rentrait pourtant chez lui par la porte de derrière, la nuit, pour ne pas réveiller son canari favori.
Oui, cela était possible, nous le voyons trop bien. Mais tant de choses le sont et pourquoi avoir choisi de faire celle-ci plutôt qu’une autre ? C’est qu’il s’agissait de tuer l’esprit et d’humilier les âmes. Quand on croit à la force, on connaît bien son ennemi. Mille fusils braqués sur lui n’empêcheront pas un homme de croire en lui-même à la justice d’une cause. Et s’il meurt, d’autres justes diront « non » jusqu’à ce que la force se lasse. Tuer le juste ne suffit donc pas, il faut tuer son esprit pour que l’exemple d’un juste renonçant à la dignité de l’homme décourage tous les justes ensemble et la justice elle-même.
Depuis dix ans, un peuple s’est appliqué à cette destruction des âmes. Il était assez sûr de sa force pour croire que l’âme était désormais le seul obstacle et qu’il fallait s’occuper d’elle. Ils s’en sont occupés et, pour leur malheur, ils y ont quelquefois réussi. Ils savaient qu’il est toujours une heure de la journée et de la nuit où le plus courageux des hommes se sent lâche.
Ils ont toujours su attendre cette heure. Et à cette heure, ils ont cherché l’âme à travers les blessures du corps, ils l’ont rendue hagarde et folle, et, parfois, traîtresse et menteuse.
Qui oserait parler ici de pardon ? Puisque l’esprit a enfin compris qu’il ne pouvait vaincre l’épée que par l’épée, puisqu’il a pris les armes et atteint la victoire, qui voudrait lui demander d’oublier ? Ce n’est pas la haine qui parlera demain, mais la justice elle-même, fondée sur la mémoire. Et c’est de la justice la plus éternelle et la plus sacrée, que de pardonner peut-être pour tous ceux d’entre nous qui sont morts sans avoir parlé, avec la paix supérieure d’un cœur qui n’a jamais trahi, mais de frapper terriblement pour les plus courageux d’entre nous dont on a fait des lâches en dégradant leur âme, et qui sont morts désespérés, emportant dans un cœur pour toujours ravagé leur haine des autres et leur mépris d’eux-mêmes. »

Pour un Nuremberg du national-covidisme

J’ai souvent étudié « Le temps du mépris » en « Lecture analytique » pour l’oral du bac de français en classe de Première. Le site en lien, dont je n’ai jamais pu identifier l’auteur, reprend d’ailleurs les textes que je proposais au bac à cette époque, avec mes lectures analytiques revues sans doute par un enseignant qui s’était inspiré de mon travail ! J’avais trouvé le texte de Camus reproduit p. 110 de l’anthologie de Jocelyne Hubert La Presse dans tous ses états (Magnard, Classiques et contemporains, 2007) sur laquelle je m’étais basé pour travailler sur la presse dans ces années-là. C’était un choix ambitieux, un texte difficile, quand la plupart de mes collègues ne choisissaient pour cet « objet d’étude » que de l’argumentation indirecte, fables de La Fontaine ou extraits de roman ou de théâtre, ce qui me procurait un ennui insondable lorsque je faisais passer des oraux ; sentiment sans doute réciproque. Je dois ce type de choix sans doute à mon goût adolescent pour Léo Ferré : « Les journaux c’est comme les pansements / Faut en changer de temps en temps / Sinon ça vous froisse les idées / Et puis d’abord faut pas d’idées / Car les idées ça fait penser / Et les pensées ça fait gueuler » (« La vie moderne »).
À propos de ce texte, on peut lire un chapitre de l’essai de Maurice Weyembergh : Albert Camus ou la mémoire des origines. Suite à cet éditorial, une polémique opposa Camus à Mauriac : « Chaque fois qu’à propos de l’épuration, j’ai parlé de justice, M. Mauriac a parlé de charité. Et la vertu de la charité est assez singulière pour que j’aie eu l’air, réclamant la justice, de plaider pour la haine » (p. 107). En 1948, fait rare, Camus reconnaîtra : « Au bout de cette réflexion, et je vous donne ainsi mon opinion sur l’utilité du dialogue croyant-incroyant, j’en suis venu à reconnaître en moi-même, et publiquement ici, que, pour le fond, et sur le point précis de notre controverse, M François Mauriac avait raison contre moi » (p. 109).
J’ai souvent repensé à ce texte au cours de cette ère nationale-covidiste, et il m’est à nouveau revenu en tête en écoutant l’excellente entrevue de Jean-Dominique Michel pour France-Soir le 17 novembre 2022, qui évoque le processus de justice qui devrait s’ouvrir pour les criminels du national-covidisme. Il n’est évidemment pas question de présenter ces individus au peloton d’exécution, mais que diriez-vous d’un petit enfonçage d’allumettes sous les ongles ?! Quand on pense qu’ils osent continuer à nous diffuser la propagande covidiste par haut-parleurs dans le métro parisien ! Quand l’éborgneur met un « point d’honneur » à ne pas réintégrer les suspendus, une petite Commission de vérité et de réconciliation serait-elle de refus ?

Lionel Labosse

Source : Alter sexualité

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