Le harcèlement sexuel : définition et peines encourues.

Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.

Marie-Paule Richard-Descamps
Avocat spécialiste en droit du travail
Barreau des Hauts de Seine

Le harcèlement sexuel, dont les femmes sont les grandes victimes, est au cœur de l’actualité et suscite bien des commentaires et interrogations. Il importe de préciser quels sont les comportements de nature à constituer ce délit et de rappeler les peines encourues, dans le cadre de la loi du 6 août 2012.

« Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. » Simone de Beauvoir (Le Deuxième Sexe – 1949)

I. Définition :

Le harcèlement sexuel est défini par le Code pénal, [1] comme le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

Ce texte donne désormais une double définition du harcèlement sexuel selon qu’il s’agit de faits répétés ou d’un acte unique assimilé au harcèlement sexuel.

L’article L1153-1 du Code du travail a été modifié en conséquence [2] :

« Aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »

L’on peut se référer utilement à la circulaire du ministère de la justice du 7 août 2012  [3] sur l’application des nouvelles dispositions légales :

Harcèlement sexuel exigeant des actes répétés

« Le délit suppose tout d’abord des comportements de toute nature (propos, gestes, envois ou remises de courriers ou d’objets, attitudes…) qui sont imposés à la victime, qui sont répétés et qui présentent une connotation sexuelle.

Le non consentement de la victime est ainsi un des éléments constitutifs du délit, qui suppose des actes imposés par leur auteur, et donc subis et non désirés par la victime.
La loi n’exige toutefois nullement que la victime ait fait connaître de façon expresse et explicite à l’auteur des faits qu’elle n’était pas consentante (ce qui pourrait par exemple résulter d’une demande formulée par écrit ou devant témoins de mettre un terme aux agissements).

En effet, cette absence de consentement, dès lors qu’elle n’est pas équivoque, pourra résulter du contexte dans lesquels les faits ont été commis, un faisceau d’indices pouvant ainsi conduire le juge à retenir une situation objective d’absence de consentement (par exemple un silence permanent face aux agissements, ou une demande d’intervention adressée à des collègues ou à un supérieur hiérarchique). Il convient d’observer que le verbe « imposer » utilisé dans la définition du délit de harcèlement sexuel est également utilisé dans la définition de l’exhibition sexuelle.

La condition de répétition des actes, inhérente à la notion même de harcèlement, et qui existe dans d’autres délits comme les menaces, exige simplement que les faits aient été commis à au moins deux reprises. Elle n’impose pas qu’un délai minimum sépare les actes commis, ces actes pouvant être répétés dans un très court laps de temps.

Il suffit que les comportements revêtent une connotation sexuelle, ce qui n’exige donc pas qu’ils présentent un caractère explicitement et directement sexuel ».

Pour être punissables, ces comportements doivent :

  • soit porter atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère dégradant ou humiliant à savoir des « propos ou comportements ouvertement sexistes, grivois, obscènes, tels que des paroles ou écrits répétés constituant des provocations, injures ou diffamations, même non publiques, commises en raison du sexe ou de l’orientation ou de l’identité sexuelle de la victime. Il peut évidemment s’agir de comportements homophobes ou dirigés contre des personnes transsexuelles ou transgenres ».
  • soit créer à l’encontre de la victime une situation intimidante, hostile ou offensant ; « même si le comportement ne porte pas en lui-même atteinte à la dignité, il a pour conséquence de rendre insupportable les conditions de vie, de travail ou d’hébergement, de la victime. Ce peut être par exemple le cas lorsqu’une personne importune quotidiennement son ou sa collègue, en lui adressant sans cesse à cette fin des messages ou des objets à connotation sexuelle, alors que ce dernier ou cette dernière lui a demandé de cesser ce comportement ».

Harcèlement sexuel résultant de la commission d’un acte unique présentant une particulière gravité

« Ces faits ont été qualifiés à plusieurs reprises lors des travaux parlementaires de « chantage sexuel » en raison du caractère expressif et imagé de cette expression ».

Des précisions peuvent être apportées sur la notion de pression grave et sur la finalité de ces pressions.

«  – Pression grave

La notion de pression grave recouvre en pratique des hypothèses très variées, dans lesquelles une personne tente d’imposer un acte de nature sexuelle à la victime en contrepartie  :

  • Soit d’un avantage recherché par cette dernière, comme l’obtention d’un emploi, l’obtention d’une augmentation, l’obtention d’un contrat de bail, la réussite à un examen…
  • Soit de l’assurance qu’elle évitera une situation particulièrement dommageable, telle qu’un licenciement ou une mutation dans un emploi non désiré.

Toutes ces contreparties constituent ainsi des pressions dont le caractère de gravité s’appréciera au regard du contexte, et plus précisément des relations existant entre le harceleur et sa victime, de la situation dans laquelle se trouve cette dernière, et de sa capacité plus ou moins grande à résister à la pression dont elle est l’objet.

Comme indiqué précédemment, cette pression peut être constituée par un acte unique et n’a pas besoin d’être répétée. A notamment été évoquée à plusieurs reprises lors des travaux parlementaires l’hypothèse de la personne qui fait l’objet d’une telle pression notamment à l’occasion d’un unique entretien d’embauche… »

«  -Finalité de la pression

La pression doit être exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

L’acte de nature sexuelle qui est, au moins de façon apparente, recherché, peut être très divers. Il correspond en pratique à la notion de faveurs sexuelles qui figurait dans l’ancienne définition, mais qu’il n’a pas paru opportun de conserver en raison de son caractère peu respectueux pour la victime. Il n’est notamment pas exigé que soit recherchée une relation sexuelle. Il peut s’agir de tout acte de nature sexuelle, notamment les simples contacts physiques destinés à assouvir un fantasme d’ordre sexuel, voire à accentuer ou provoquer le désir sexuel.

Il est précisé que la finalité peut être réelle ou apparente afin de ne pas exiger la démonstration d’un dol spécial chez l’auteur des faits, parfois délicat à caractériser.

Cela permet de sanctionner les personnes qui agissent sans avoir vraiment l’intention d’obtenir un acte sexuel, par exemple par jeu ou dans le seul but d’humilier la victime, ou afin d’obtenir sa démission, dès lors que, de façon objective et apparente, les pressions ne pouvaient que donner l’impression à la victime comme aux tiers qui ont pu en être les témoins, qu’un acte de nature sexuel était recherché.

Enfin, il n’est pas nécessaire que l’acte soit recherché au profit de l’auteur du harcèlement, dans la mesure où il peut l’être au profit d’un tiers ».

Jurisprudence de la Cour de cassation

L’auteur du harcèlement sexuel peut être un supérieur hiérarchique, un collègue ou un subordonné.

Dans une affaire concernant un animateur formateur à l’école des ventes du groupe Renault, licencié pour faute grave, la cour d’appel de Versailles avait écarté la faute grave, considérant que les quatre témoignages produits aux débats mettaient surtout l’accent sur la trop grande proximité, voire familiarité, adoptée par le salarié à l’égard des jeunes filles stagiaires dont il assurait la formation mais sans pour autant que ce comportement puisse s’analyser en une invitation ou provocation à caractère sexuel ou puisse révéler une quelconque atteinte délibérée à la dignité de ces personnes.

Censure de la chambre sociale de la Cour de cassation car dans leurs attestations les jeunes stagiaires déclaraient que le salarié leur avait tenu les propos suivants : « Bon, c’est quand qu’on couche ensemble » et leur avait posé des questions intimes sur leur vie privée, ce qui était de nature à caractériser un harcèlement sexuel. [4]

Dans un arrêt du 18 novembre 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît, pour la première fois à notre connaissance, le délit de harcèlement sexuel sur le fondement de la nouvelle définition légale (Cass. crim. 18 novembre 2015 n° 14-85.591).

Dans cette affaire, deux salariées en contrat à durée déterminée d’un magasin d’alimentation Super U avaient déposé plainte contre un chef de rayon ; celui-ci a été reconnu coupable de harcèlement sexuel et condamné à 1.500 euros d’amende.

La cour de Poitiers a confirmé cette décision au motif que le prévenu a, de manière insistante et répétée, en dépit du refus des salariées de céder à ses avances, formulé, verbalement ou par messages électroniques (SMS), des propositions explicites ou implicites de nature sexuelle, et adopté un comportement dénué d’ambiguïté consistant notamment à tenter de provoquer un contact physique ; les salariées ayant souffert de cette situation au point d’alerter l’inspection du travail.

La cour avait retenu, contre le chef de rayon, les faits suivants qui permettent d’illustrer concrètement ce qui peut être constitutif d’un harcèlement sexuel :

  • La 1ère salariée se plaignait de ce que dès le début de son CDD, il lui avait dit qu’elle était mignonne, qu’elle avait de beaux yeux et lui avait proposé d’aller prendre un verre après le travail ; que malgré ses refus réitérés, il avait renouvelé ses propos et ses invitations et lorsqu’elle lui avait dit qu’elle avait un ami, il lui avait répondu que ce n’était pas grave et qu’elle n’était pas obligée de le mettre au courant ; lorsqu’il établissait les plannings, il s’arrangeait toujours pour finir le soir seul avec elle ; elle a précisé que le harcèlement dont elle se plaignait était essentiellement au niveau de la parole : « C’étaient surtout des attitudes, des regards, des sous-entendus qui rendait le travail pénible » ; elle a raconté, toutefois, qu’un jour qu’elle se trouvait seule avec lui dans une chambre froide, il l’avait prise par la taille en lui demandant si elle n’avait pas peur de se trouver seule avec lui dans ce lieu et une autre fois, alors qu’elle lui disait avoir eu froid dans la chambre froide, il lui avait rétorqué qu’elle aurait dû l’appeler et qu’il l’aurait réchauffée ; une autre fois où elle expliquait son absence par une panne de véhicule, il lui avait dit avec un air ironique qu’elle aurait dû l’appeler et que pour le rattrapage des heures, « on allait s’arranger », ce qui l’avait mise mal à l’aise ; lorsqu’elle lui avait demandé à disposer d’un passe pour ne plus avoir à lui téléphoner lorsqu’elle rentrait dans le magasin, il lui avait répondu « quand j’aurai eu ce que je veux » et quand elle avait rétorqué qu’il risquait d’attendre longtemps, il lui avait dit qu’il n’abandonnait jamais…
  • La 2ème salariée se plaignait de ce qu’il lui avait dit de façon insistante et renouvelée qu’elle était belle, mignonne et qu’il voulait sortir avec elle ; elle lui avait signifié son refus ; que lorsqu’il avait su qu’elle fréquentait un vendeur du magasin, il avait repris ses avances et ses propositions et s’était mis à dénigrer son ami ; qu’il avait prétendu devoir la voir dans son bureau parce qu’il « savait des choses sur son copain » et le soir même, il lui avait réclamé un baiser ; qu’elle a fait état de « réflexions et de regards » ; qu’il lui avait envoyé des SMS et quand elle lui avait dit de cesser, il l’avait menacée en lui disant qu’elle « était sur la sellette » ainsi que son ami et qu’au moindre faux pas, elle serait sanctionnée ; à l’inspecteur du travail, elle a fait part de sa peur, elle a remis aux enquêteurs la copie des SMS reçus, un certificat médical constatant qu’elle présentait « un syndrome anxio-dépressif qu’elle attribuait à un vécu professionnel difficile. »

La chambre criminelle de la Cour de cassation estime que la cour d’appel a fait une exacte application de l’article 222-33 du Code pénal ; le prévenu a, en connaissance de cause, même s’il a mésestimé la portée de ses agissements, imposé aux parties civiles, de façon répétée, des propos ou comportement à connotation sexuelle les ayant placées dans une situation intimidante, hostile ou offensante objectivement constatée.

II. Peines encourues :

Les sanctions ont été alourdies avec un doublement des peines : deux ans d’emprisonnement et 30.000 € d’amende.

« En cas de circonstances aggravantes, ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende lorsque les faits sont commis :
1° Par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
2° Sur un mineur de quinze ans ;
3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ;
5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice. »

Il convient de rappeler que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l’objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles, contre le harcèlement sexuel, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, en ce qui concerne les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne, les agressions et autres atteintes sexuelles.
Toutefois, l’association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. [5]

Mes préconisations :

La prescription est actuellement très courte puisque l’article 8 du Code pénal prévoit qu’en matière de délit, la prescription de l’action publique est de trois années révolues. Elle pourrait prochainement être portée à six ans mais le législateur ne pourrait-il pas envisager une prescription plus longue voire l’imprescriptibilité ?

Par ailleurs, l’on voit mal comment les comportements de certains hommes, abusant bien souvent de leur autorité, pourraient cesser définitivement s’ils encourent uniquement une peine d’amende très légère.

La loi du 6 août 2012 a prévu à dessein un doublement des peines d’amende et de prison permettant des sanctions plus sévères  ; il appartient donc au juge pénal de faire une stricte application de la loi et de participer ainsi à faire évoluer des mentalités d’un autre âge …
Source : Village-Justice.com

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