L’assassinat de Kennedy était un coup d’État. Mais au profit de qui ?

par Laurent Guyénot

Réagissant à une déclaration récente de Tucker Carlson, Robert Kennedy Jr. a commenté : « le meurtre de mon oncle par la CIA était un coup d’État réussi, dont notre démocratie ne s’est jamais remise ». Beaucoup de gens pensent de même. Comme l’a écrit en commentaire un lecteur de mon dernier article sur cette affaire, « the whole fucking world knows the CIA killed Kennedy ! » Ce qui est à peu près certain, c’est qu’il y a aux États-Unis plus de gens qui pensent que la CIA a assassiné Kennedy, que de gens qui pensent que Lee Harvey Oswald est le seul coupable.

Pourquoi la CIA aurait-elle fait assassiner le président des États-Unis ? C’est très simple. Kennedy avait fait échouer l’invasion de Cuba organisée par la CIA en avril 1961 en refusant l’intervention des Marines, puis il avait résisté à la demande des généraux de bombarder Cuba lors de la crise des missiles de Cuba en octobre de la même année. Au lieu de cela, il avait entamé des négociations secrètes avec Khrouchtchev en vue d’inverser la course à l’armement et de désamorcer la Guerre froide. Aux yeux des hauts gradés de la CIA et du Pentagone, Kennedy était un traitre. Ils ont donc fomenté un coup d’État. Leur but n’était pas seulement de se débarrasser de Kennedy, mais de déclencher les opérations que Kennedy leur avait interdites. Ils ont donc planifié l’assassinat de Kennedy sous la fausse bannière de Castro et des soviétiques, créant ainsi un prétexte pour envahir Cuba. Dans ce but, ils ont utilisé Lee Harvey Oswald, pour lequel la CIA avait depuis des années créé une « légende » de militant pro-Castro et pro-Soviétique.

Cette théorie est devenue si dominante dans la littérature sur l’assassinat de JFK que la plupart des personnes convaincues du complot la considèrent comme prouvée. C’est la théorie défendue par James Douglass dans le dernier best-seller sur l’affaire, « JFK and the Unspeakable » (traduit en français par Demi-Lune sous le titre JFK et l’Indicible). C’est la thèse implicite de Oliver Stone, et c’est la thèse à laquelle se range officiellement Robert Kennedy Jr.

Du point de vue stratégique, c’est peut-être un bon choix. Pourtant, cette thèse présente un défaut majeur, et même rédhibitoire : il n’y a pas eu d’invasion de Cuba après l’assassinat de Kennedy. Pour expliquer cela, James Douglass attribue à Lyndon Johnson, le vice-président devenu président, le mérite d’avoir déjoué le complot des faucons de la CIA et du Pentagone. « Au crédit de Johnson, il a refusé de laisser les Soviétiques recevoir la responsabilité du meurtre de Kennedy ».

« Le dossier monté de toutes pièces par la CIA incriminait Cuba et l’URSS à travers Oswald pour l’assassinat du président et conduisait les États-Unis vers une invasion de Cuba et une attaque nucléaire contre l’URSS. Cependant, LBJ ne voulait pas commencer sa présidence par une guerre mondiale »1.

Cette théorie ne résiste pas à la quantité considérable de preuves que Johnson a été l’instigateur direct du guet-apens de Dallas. Plusieurs livres récents ont levé tous les doutes permis à ce sujet : je recommande tout particulièrement celui de Phillip Nelson, « LBJ: The Mastermind of JFK’s Assassination »(2010). Douglass fait semblant d’ignorer ces preuves, qui réduisent à néant toute sa théorie selon laquelle la CIA voulait, à travers Oswald et la légende communiste qu’elle lui avait fabriquée, incriminer Castro et déclencher la Troisième Guerre mondiale.

L’explication alternative et préférable est que le profil d’Oswald comme assassin communiste a été fabriqué par les conspirateurs, non pas dans le but de déclencher une guerre contre Cuba et l’URSS, mais comme moyen pour Johnson d’intimider les administrations fédérales et texanes et les obliger à clôturer rapidement l’enquête, de peur que la découverte de la responsabilité de Cuba et de l’URSS n’oblige les États-Unis à déclencher une guerre nucléaire mondiale « qui tuerait 40 millions d’Américains en une heure », comme Johnson le répétait à tout le monde, de Dallas à Washington, et comme il le redit aux membres de la Commission Warren.

Telle est la thèse du « virus de la Troisième Guerre mondiale » défendue par John Newman, un officier retraité du renseignement militaire et professeur de sciences politiques, auteur de Oswald and the CIA. Newman pense, comme la plupart des chercheurs sur JFK, que bien avant le voyage de Kennedy à Dallas, Oswald a été manipulé et ses activités « soigneusement surveillées, contrôlées et, si nécessaire, embellies et chorégraphiées », de sorte que, « le 22 novembre, les dossiers d’Oswald à la CIA établiraient son lien avec Castro et le Kremlin ». Cependant, dans un épilogue ajouté en 2008 à son livre, Newman explique que le véritable objectif de la mise en scène de Oswald en costume communiste n’était pas de déclencher la Troisième Guerre mondiale, mais de fournir à Johnson un prétexte de « sécurité nationale » pour forcer toutes les administrations et les médias à cesser toute enquête. La légende de communiste castriste de Oswald était donc un dispositif intégré au complot pour justifier l’obstruction à toute enquête. Même le public américain, à qui on avait rapporté dès le 22 novembre à la télévision que Oswald était un militant castriste qui avait fait défection en Union soviétique, sentait bien qu’on leur mentait en leur disant maintenant que Oswald avait agi seul, mais la plupart admettait que c’était pour leur bien.

« Le plan a fonctionné. Peu importe à quel point la performance des tireurs à Dallas était bâclée, peu importe à quel point l’autopsie et la manipulation des preuves étaient bâclées, tout serait éclipsé par la menace de la Troisième Guerre mondiale et de 40 millions de morts américains. Dès le début, l’intrigue était basée sur l’hypothèse que, face à cette horrible possibilité, tout le monde rentrerait dans le rang. Cette hypothèse était correcte »2.

Le chemin le moins fréquenté de la recherche sur l’assassinat de JFK

Après avoir passé en revue les étapes de l’élaboration de ce complot, et les compétences pour le faire, Newman conclut : « À mon avis, il n’y a qu’une seule personne dont les mains rentrent dans ces gants : James Jesus Angleton, chef du personnel de contre-espionnage de la CIA ». Newman n’est pas le premier investigateur sur JFK à s’intéresser à Angleton. Ce nom revient très souvent dans les livres incriminant la CIA, car Angleton apparaît comme le marionnettiste le plus probable du patsy Oswald. « Au milieu des années 1970, écrit James Douglass, le Senate Church Committee on Intelligence et le House Select Committee on Assassinations (HSCA) ont soulevé le couvercle de la CIA sur Lee Harvey Oswald, et ils ont découvert James Jesus Angleton »3.

Mais Douglass passe sous silence les deux aspects les plus importants de la carrière d’Angleton : premièrement, le fait que le département du contre-espionnage (Counter­intelligence Staff) que dirigeait Angleton était une « CIA dans la CIA », très jalouse de ses secrets, disposant d’un pouvoir et de moyens énormes, et n’ayant de compte à rendre à personne ; deuxièmement, que Angleton était également la liaison exclusive de la CIA avec le Mossad, dont les dirigeants le considéraient comme un soutien indéfectible, un sioniste accompli.

Ces deux points sont parfaitement documentés dans la récente biographie consacrée à Angleton par Jefferson Morley, intitulée « The Ghost ». Quand Angleton est devenu chef du contre-espionnage en 1954, il occupait déjà à la CIA, depuis le début de 1951, le « Bureau israélien », créé pour lui après la visite du Premier ministre David Ben Gourion aux États-Unis. Pendant près de 25 ans, Angleton a été la liaison exclusive de la CIA avec les services secrets israéliens. Lorsque, à la veille de l’invasion israélienne du Sinaï en 1956, Angleton affirmait à son chef Allan Dulles que « nos amis » (Israéliens) n’avaient aucune intention belliqueuse, certains comme Robert Amory, chef de la direction du renseignement de la CIA, le dénonçait déjà comme un « agent israélien ». Selon Morley, Angleton connaissait intimement les principaux cadres du Mossad, et « il fut l’un des principaux architectes de la relation stratégique de l’Amérique avec Israël, qui perdure et domine la région à ce jour »4. « L’influence de Angleton sur les relations américano-israéliennes entre 1951 et 1974 dépasse celle de n’importe quel secrétaire d’État, à l’exception peut-être d’Henry Kissinger. Son influence était largement invisible pour le Congrès, la presse, d’autres institutions démocratiques et une grande partie de la CIA elle-même »5.

James Jesus Angleton (à droite) et son meilleur ami au Mossad, Efraim Halevy

Morley est le premier à explorer en détail l’incroyable collusion entre Angleton et le Mossad. Mais Morley ne s’est pas intéressé à l’assassinat de Kennedy. À l’inverse, tous les enquêteurs sur l’assassinat de JFK qui ont suivi la piste de la CIA ont abouti devant la porte de Angleton, mais tous ont refermé la porte aussitôt après l’avoir entrouverte, lorsqu’ils ont aperçu le bureau Israël tapissé d’empreintes du Mossad.

Cela s’explique aisément : la piste de la CIA est le chemin le plus fréquenté de la recherche sur JFK, tandis que la piste du Mossad est considérée comme suicidaire. Faites un pas dans cette direction et l’ADL vous tombera dessus. Comme le député Paul Findley osa l’écrire en mars 1992 dans le Washington Report on Middle East Affairs : « Il est intéressant de noter que dans tout ce qui a été écrit ou dit sur l’assassinat de Kennedy, l’agence de renseignement israélienne, le Mossad, n’a jamais été mention­née »6.

En vérité, elle l’a été dès 1994 par Michael Collins Piper dans son livre « Final Judgment : The Missing Link in the JFK Assassination Conspiracy ». Piper est le pionnier courageux qui a brisé le tabou, et je lui ai dédié mon propre livre, « Qui a maudit les Kennedy ? »

Les preuves qu’Angleton était sous le contrôle du Mossad ne constituent qu’un élément du dossier à charge d’Israël. La piste de Jack Ruby, l’assassin d’Oswald, mène elle aussi directement à Israël. À défaut de connaître l’identité des tireurs de Dealey Plaza, tout chercheur de « la vérité sur Kennedy » devrait commencer son enquête par Ruby, l’homme qui empêcha qu’un procès dévoile les failles de l’accusation. Mais Jacob Rubenstein — c’est son vrai nom, qui n’apparaît au mieux que dans les notes de bas de pages — a suscité bien peu d’intérêt de la part de ces chercheurs. Ils ne mentionnent jamais ses antécédents comme trafiquant d’armes au profit de l’Irgoun, l’organisation terroriste dirigée par Menahem Begin, ni qu’il a affirmé à plusieurs reprises avoir liquidé Oswald « pour les juifs ». On nous demande simplement d’admettre qu’il était membre de « la mafia ».

Ce que seuls les lecteurs du quotidien juif The Forward (news that matter to American Jews) ont le droit

Enfin, la piste de Lyndon Johnson, le suspect numéro un, mène lui aussi à Tel-Aviv. Un article de 2013 du 5 Towns Jewish Times intitulé « Notre premier président juif Lyndon Johnson ? », lui prête ce point commun avec Ruby : « les deux arrière-grands-parents de Lyndon Johnson, du côté maternel, étaient juifs. […] La lignée des mères juives remonte à trois générations dans l’arbre généalogique de Lyndon Johnson. Il fait peu de doute qu’il était juif »7. C’est peut-être exagéré. Mais ce qui est avéré, c’est que Johnson est l’homme d’Israël depuis son entrée en politique.

Plus important que sa possible judéité secrète est cet autre point commun que Johnson partage avec Ruby : ce sont les deux seules personnes dont il est prouvé qu’ils voulaient la mort de Oswald. La balle de Ruby n’avait suffi à tuer Oswald, qui était donc encore vivant lorsqu’il arriva à l’hôpital Parkland de Dallas. Le Dr Charles Crenshaw se souvient, dans son livre « JFK, Conspiracy of Silence » (1992), qu’alors qu’il opérait sur Oswald avec d’autres chirurgiens, il remarqua qu’un inconnu était entré dans la salle d’opération, avec un pistolet dépassant de sa poche arrière. Quelques minutes plus tard, on l’informa d’un appel urgent pour lui et il quitta la salle d’opération. L’appel provenait du président nouvellement assermenté Lyndon Johnson, qui demanda d’abord : « Dr Crenshaw, comment va l’assassin présumé ? » Crenshaw répondit : « Monsieur le président, il tient bon en ce moment ». Alors Johnson dit fermement : « Dr Crenshaw, je veux une confession de l’assassin présumé sur son lit de mort (I want a deathbed confession from the accused assassin). Il y a un homme dans la salle d’opération qui prendra la déclaration. Je veux une pleine coopération dans cette affaire ». Le Dr Crenshaw répondit « Oui, monsieur » et raccrocha. Il n’a cessé de s’interroger depuis : puisqu’il venait de dire à Johnson qu’Oswald « tenait bon », l’expression deathbed confession ressemblait à un ordre implicite qu’Oswald ne quitte pas la salle d’opération vivant. Quelques instants après que le Dr Crenshaw fût retourné à la salle d’opération, le cœur d’Oswald s’arrêta, et l’homme au pistolet disparut. « L’incident, écrit Crenshaw, défiait la logique. Pourquoi le président des États-Unis s’impliquerait-il personnellement dans l’enquête sur l’assassinat, et pourquoi retirerait-il l’enquête des mains des autorités texanes ? J’étais perplexe »8.

Quel intérêt avait Israël à assassiner Kennedy ?

Noam Chomsky a déclaré à plusieurs reprises qu’enquêter sur le meurtre de JFK était une perte de temps, parce que cet événement n’a eu aucun effet sur la politique américaine et ne pouvait donc pas être un coup d’État. Voici par exemple ce qu’il a dit à Jim DeBrosse, auteur de « See No Evil : The JFK Assassination and the U.S. Media » :

« Il y a une question importante à propos de l’assassinat de JFK : était-ce un complot de haut niveau avec des implications politiques ? C’est assez important, et cela vaut vraiment la peine d’être étudié. J’ai beaucoup écrit à ce sujet, en passant en revue toute la documentation pertinente. La conclusion est claire, exceptionnellement claire pour un événement historique : non. / Cela laisse ouverte la question de savoir qui l’a tué : Oswald, Mafia, Cubains, maris jaloux … Personnellement, cette question ne m’intéresse pas plus que la dernière tuerie dans le ghetto noir de Boston. »

Mais Chomsky est un menteur. Car, comme l’écrit DeBrosse, « il y a eu au moins un changement de politique clair dans la transition entre les administrations de Kennedy et de Johnson : la volonté des États-Unis de fournir des armes offensives à Israël et de détourner le regard alors qu’Israël développait secrètement un arsenal nucléaire dans la poudrière du Moyen-Orient »9. Chomsky le sait. Mais il ne veut pas que les Américains le sachent, car s’ils le savaient, leur intérêt pour l’assassinat du président Kennedy serait ravivé, et ils commenceraient à se demander si Israël, avec ses dizaines de milliers de sayanim, était impliqué. Ils risqueraient de tomber sur le livre de Michael Collins Piper. Ils se demanderaient alors inévitablement pourquoi les auteurs comme James Douglass, qui ont souligné la détermination de Kennedy à débarrasser le monde de l’arme nucléaire, ne font jamais allusion à son bras de fer avec le Premier ministre israélien David Ben Gourion, tout aussi déterminé à fabriquer secrètement les premières bombes atomiques israéliennes dans l’usine de Dimona. De ce point de vue, le titre du livre de Douglass, « JFK et l’indicible », prend un sens ironique : apparemment, ce qui est vraiment « indicible » n’est pas ce que dit Douglass, mais ce qu’il ne dit pas.

Pourtant, le fait que le contentieux avait atteint un point critique en 1963 est bien documenté depuis la parution du livre de Seymour Hersh, « The Samson Option » (1991), suivi par celui d’Avner Cohen, « Israel and the Bomb » (1998). L’historien Stephen Green l’avait déjà dit en 1984 dans « Taking Sides : America’s Secret Relations with a Militant Israel  » :

« Le développement peut-être le plus important de 1963 pour le programme d’armes nucléaires israélien s’est produit le 22 novembre : dans un avion volant de Dallas à Washington, DC, Lyndon Johnson a prêté serment en tant que 36e président des États-Unis, à la suite de l’assassinat de John F. Kennedy. […] Dans les premières années de l’administration Johnson, le programme d’armement nucléaire israélien était qualifié à Washington de “sujet délicat”. La Maison Blanche de Lyndon Johnson ne voyait pas Dimona, n’entendait pas Dimona et ne parlait pas de Dimona, lorsque le réacteur est devenu critique au début de 1964 »10.

John McCone, que Kennedy avait nommé à la tête de la CIA avec comme priorité de l’informer sur l’avancement du programme d’armement nucléaire d’Israël, démissionna en 1965 en se plaignant que Johnson ne lisait pas ses rapports sur ce sujet.

Il ne fait aucun doute que l’assassinat du Président Kennedy était un coup d’État. Mais le but du coup d’État était invisible à l’époque. Ce qui a radicalement changé n’est devenu apparent que des années plus tard, en 1967. Dans le Washington Report on Middle East Affairs de 2009, nous lisons que « Lyndon Johnson fut le premier à aligner la politique américaine sur la politique d’Israël ».

« Jusqu’à la présidence de Johnson, aucune administration [états-unienne] n’avait été aussi complètement pro-israélienne et anti-arabe que la sienne. […] Non seulement il était personnellement un fervent partisan de l’État juif, mais il avait un certain nombre de hauts fonctionnaires, de conseillers et d’amis qui partageaient son point de vue. […] Ces fonctionnaires occupaient de hautes fonctions telles que l’ambassadeur auprès des Nations unies, le chef du Conseil de sécurité nationale et le poste de numéro deux au département d’État. Ils étaient assidus à mettre en avant les intérêts d’Israël dans des mémorandums tels que « Ce que nous avons fait pour Israël » et « De nouvelles choses que nous pourrions faire en Israël » et « Comment nous avons aidé Israël ». […] L’influence des partisans d’Israël était si omniprésente pendant le mandat de Johnson que le directeur de la CIA, Richard Helms, pensait qu’il n’y avait aucun secret américain important affectant Israël dont le gouvernement israélien n’était pas au courant pendant cette période »11.

La volonté inflexible de Kennedy d’empêcher Israël de se doter de l’arme nucléaire, que Ben Gourion percevait comme une menace pour la survie d’Israël, fut probablement la raison la plus urgente de remplacer JFK par LBJ, comme Michael Collins Piper l’a démontré, ce n’était pas la seule. Le problème de Dimona ne peut être séparé du contexte géopolitique plus large de la guerre froide. Car les Soviétiques étaient aussi inquiets que Kennedy du risque de prolifération nucléaire. On a objecté à la théorie de Piper que Kennedy n’avait pas la capacité d’empêcher Israël de se doter de la Bombe, et qu’il n’y avait donc aucune nécessité pour Israël d’éliminer Kennedy. C’est peut-être vrai. Mais Kennedy n’était pas le seul chef d’État à voir d’un très mauvais œil le projet d’Israël : Nikita Khroutchtchev était du même avis.

Le vrai danger pour Israël était que les deux premières puissances mondiales unissent leurs efforts pour contrecarrer l’ambition nucléaire d’Israël. Lorsque le ministre des Affaires étrangères de Khrouchtchev, Andrei Gromyko, s’est rendu à la Maison Blanche le 3 octobre 1963 pour discuter des moyens d’étendre les progrès du traité d’interdiction limitée des essais nucléaires (Limited Test Ban treaty), Kennedy chargea son secrétaire d’État Dean Rusk d’aborder la question du programme nucléaire secret d’Israël avec Gromyko lors de sa réunion du soir à l’ambassade soviétique12. Si les Américains et les Russes décidaient ensemble d’interdire à Israël l’accès à l’arme nucléaire, Israël n’avait plus aucune marge de manœuvre.

Mais le danger que présentait la coopération naissante entre Kennedy et Khrouchtchev n’était pas seulement leur probable accord de priver Israël de « l’option Samson » : c’était aussi, et plus encore peut-être, leur soutien commun au plus grand ennemi d’Israël, l’Égypte. Ce point est bien argumenté par Salvador Astucia dans « Opium Lords: Israel, the Golden Triangle, and the Kennedy Assassination » (en pdf ici) :

Kennedy et Khrouchtchev avaient tous deux des liens plus forts avec le président égyptien Nasser qu’avec Israël. Leur amitié avec Nasser, une icône vivante symbolisant l’unité arabe, était un signal pour Israël que les deux superpuissances s’intéressaient davantage au monde arabe qu’à la survie d’Israël en tant que patrie juive, sans parler de l’expansion d’Israël dans les territoires arabes voisins13.

« En bref, écrit Astucia, la détente marquerait le début de la fin pour Israël en tant que puissance mondiale car aucune des superpuissances n’avait d’intérêt stratégique en Israël »14. Ce qu’il fallait à tout prix, c’est faire de l’Égypte non plus un terrain de rapprochement, mais un terrain d’affrontement entre les États-Unies et l’Union soviétique.

Astucia a publié son livre en 2002 et manquait de recul sur le 11 septembre pour établir le parallèle qui peut maintenant être établi entre l’assassinat du président Kennedy et les attentats sous fausse bannière du 11 septembre 2001. Le parallèle devrait être clair pour ceux qui comprennent maintenant que le 11-Septembre était à la fois une opération psychologique de masse et un coup d’État de politique étrangère visant à enrager les Américains du côté d’Israël contre leurs ennemis arabes (voir mon récent article sur RI, « 11 Septembre 2001 : la théorie du “complot piraté” »). Comme cela est aussi rappelé dans mon film « Le 11-Septembre et le Grand Jeu israélien ».

« En 2001, la réputation d’Israël dans l’opinion publique mondiale avait atteint son point le plus bas ; des condamnations s’étaient fait entendre de toutes parts contre sa politique d’apartheid et de colonisation, et contre sa guerre systématique contre les structures de commandement palestiniennes. Les attaques du 11 septembre 2001 ont instantanément inversé ce processus. Les Américains ont vécu ces attaques comme un acte de haine de la part du monde arabe, et ils ont éprouvé de ce fait une sympathie immédiate pour Israël. […] Ainsi, du jour au lendemain, grâce aux attaques du 11-Septembre, le monde arabe et la résistance palestinienne furent amalgamés au terrorisme islamique dans l’opinion occidentale ».

En1963, la situation était comparable. Israël recevait de sévères condamnations de la part des dirigeants mondiaux et de fortes pressions de la part de l’administration Kennedy. Au cours de ses premiers mois à la Maison Blanche, Kennedy s’était engagé auprès du président Nasser et d’autres chefs d’État arabes et africains à soutenir la Résolution 194 de l’ONU pour le droit au retour des réfugiés palestiniens. À l’automne 1962, le Premier ministre israélien David Ben Gourion avait réagi à la pression insistante de Kennedy par une lettre qu’il fit circuler parmi les dirigeants juifs américains, dans laquelle il déclarait : « Israël considérera ce plan comme un danger plus sérieux pour son existence que toutes les menaces des dictateurs et des rois arabes, que toutes les armées arabes, que tous les missiles de Nasser et ses MIG soviétiques. […] Israël luttera contre sa mise en œuvre jusqu’au dernier homme »15. Deux jours avant son assassinat, la délégation de Kennedy aux Nations unies exhortait encore Israël à appliquer la Résolution 194.

Durant la présidence de Kennedy, l’influence sioniste sur l’opinion publique était encore limitée et Kennedy avait suffisamment de marge de manœuvre pour mettre en œuvre une politique équilibrée au Moyen-Orient. La plupart des Américains avaient encore à l’esprit l’agression non provoquée d’Israël contre l’Égypte en 1956, soutenue par la France et l’Angleterre.

Pour les observateurs attentifs, cette crise avait d’ailleurs révélé une différence majeure entre Kennedy et Johnson. Quand Eisenhower soutint la décision du secrétaire général de l’ONU Dag Hammarskjöld d’imposer des sanctions à Israël, Johnson pesa de tout son poids politique de chef de la majorité au Sénat pour sauver Israël de cet embarras. Il écrivit même une lettre de protestation au secrétaire d’État John Foster Dulles, qui fit la une du New York Times le 20 février 1957.

John Kennedy ne défia pas Johnson ouvertement. Mais cinq mois plus tard, il prit la parole au Sénat en s’affichant comme un fervent défenseur du nationalisme arabe en dénonçant l’occupation coloniale française de l’Algérie. Son discours fit à son tour la une du New York Times. En soutenant l’indépendance de l’Algérie, Kennedy s’était indirectement aligné sur l’ennemi juré d’Israël, le président égyptien Nasser16. Il n’est pas farfelu de supposer qu’à partir de ce moment-là, il fut décidé que, si Kennedy battait Johnson aux primaires démocrates en 1960, tous les chantages possibles seraient utilisés pour placer Johnson juste derrière son dos. Contrairement à ce que dit le récit publique, Kennedy n’a pas choisi Johnson comme colistier pour des raisons politiques : « Je n’ai pas eu le choix… ces bâtards essayaient de me piéger », était l’explication que Kennedy donnait en privé17.

En tant que président, Kennedy resta fidèle à ses sympathies pour Nasser et le nationalisme arabe. L’historien Philip Muehlenbeck écrit : « Tandis que l’administration Eisenhower avait cherché à isoler Nasser et à réduire son influence en faisant du roi Saoud d’Arabie saoudite un rival conservateur du président égyptien, l’administration Kennedy a poursuivi la stratégie exactement opposée »18. Étant donné que l’Union soviétique, porte-drapeau de l’anticolonialisme, était également un partisan naturel de l’indépendance arabe, les Israéliens sont devenus de plus en plus inquiets en voyant la Russie et l’Amérique rivaliser d’amitié avec leur ennemi le plus redoutable, et paniqués à la perspective du Moyen-Orient devenant l’endroit même où les États-Unis et l’URSS finiraient par s’entendre et mettraient fin à la Guerre froide, aux dépens d’Israël.

Kennedy était devenu une menace majeure pour Israël. Dans une culture qui n’a aucune inhibition contre les assassinats ciblés de goyim gênants (lire l’enquête historique de Ronan Bergman, « Lève-toi et tue le premier. L’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël »), l’assassinat du président américain devenait une question de sécurité nationale.

L’embuscade de Dallas était un coup d’État sioniste visant à remplacer un ami de l’Égypte par un ami d’Israël à la tête des États-Unis. Si les Américains ne l’ont pas vu de cette façon, c’est parce que, après 1957, les médias américains s’étaient mis d’accord pour effacer les prises de position pro-israéliennes de Johnson de son CV.

Johnson transforme les ennemis d’Israël en ennemis des États-Unis

En 1967, avec Johnson au pouvoir, les conditions pour qu’Israël renverse Nasser et annexe un nouveau territoire étaient beaucoup plus favorables qu’en 1956. Les choses avaient beaucoup changé en dix ans. Du côté américain, les adversaires les plus influents d’Israël étaient morts ou avaient quitté leurs fonctions publiques, et avaient été remplacé par des alliés d’Israël, pour ne pas dire des sayanim. Le monde arabe était de son côté divisé par la guerre au Yémen. Les forces égyptiennes étaient affaiblies après cinq ans d’engagement militaire dans ce conflit.

C’est donc en juin 1967 qu’Israël lança son attaque contre l’Égypte, sous un faux prétexte de légitime défense. Johnson avait non seulement donné son feu vert, mais chargé James Jesus Angleton, liaison exclusive entre la CIA et le Mossad, de fournir à Israël les photos aériennes qui permirent aux Israélien de détruire au sol la quasi totalité des avions égyptiens en quelques heures.

Johnson planifia également, avec les sayanim de son entourage, l’attaque d’Israël contre le navire USS Liberty, destinée à être mise sur le compte d’Israël pour entraîner les États-Unis dans la guerre contre l’Égypte. Le 23 mai 1967, l’USS Liberty avait reçu l’ordre de quitter d’urgence sa patrouille sur la côte ouest de l’Afrique pour se rendre au large du Sinaï, tandis qu’un autre navire espion, l’USNS Private Jose F. Valdez, reçut l’ordre de quittez la zone. Phillip Nelson, auteur de plusieurs livres essentiels sur Johnson et sur l’affaire du USS Liberty, fait l’hypothèse que cet échange était motivé par le nom même des deux navires concernés : « Remember the Liberty » faisait un excellent cri de guerre, tandis que « “Remember the Private Jose F. Valdez” n’avait tout simplement pas le même panache19.

Lorsque l’équipage parvint à envoyer un SOS malgré le fait que les avions israéliens avaient mitraillé les antennes en premier, Johnson rappela personnellement les avions envoyés aussitôt au secours du navire, ordonnant par téléphone à l’amiral Lawrence Geis, commandant de la Sixième Flotte : « Je veux que ce putain de bateau coule par le fond »20. Les torpilleurs israéliens qui s’acharnaient contre le navire ne parvinrent pas à le couler, et l’opération sous faux drapeau échoua. Johnson accepta l’excuse convenue d’Israël d’une « erreur d’identité » et étouffa l’affaire. Cinq mois plus tard, il invitait le Premier ministre israélien Levi Eshkol à la Maison Blanche et lui fit l’honneur rare de l’inviter dans son ranch privé

Levi Eshkol et Lyndon Johnson

Outre la conquête par Israël de la vieille ville de Jérusalem, du Sinaï et de la bande de Gaza, de la Cisjordanie et du plateau du Golan, la guerre des Six jours a eu trois conséquences majeures. Premièrement, cela a réchauffé la guerre froide et marqué Nasser comme un ennemi des États-Unis, tout en faisant d’Israël un atout stratégique des États-Unis dans la Guerre froide. Nasser rompit ses relations diplomatiques avec les États-Unis et ordonna à tous les Américains de quitter l’Égypte. S’il s’était efforcé jusqu’alors de garder une position neutre, il se plaça désormais entièrement sous la protection de l’Union soviétique. En 1970, les Soviétiques lui fournirent un puissant système de défense aérienne et lui envoyèrent 1500 techniciens soviétiques. L’administration Nixon subit alors des pressions pour contrer les Soviétiques en fournissant à Israël 125 avions de chasse supplémentaires.

Fait intéressant, à la mort de Nasser le 28 novembre 1970, son successeur, le général Anwar el-Sadate, tenta de changer de camp, mais à sa grande surprise, son offre fut rejetée par Henry Kissinger sous une forte influence israélienne. De nouveau en février 1973, Sadate envoya un émissaire privé à Kissinger pour discuter d’un accord négocié par les États-Unis, avec un peu plus de succès.

Deuxièmement, la victoire rapide d’Israël dans la guerre des Six Jours permit de rallier la communauté juive américaine au soutien d’Israël. Les universitaires juifs Michael Kazin et Maurice Isserman ont écrit dans « America Divided : The Civil War of the 1960s » :

« Pour de nombreux juifs américains, le conflit de 1967 a réveillé et inspiré des passions qui ont beaucoup transformé leur sentiment d’identité. Israël n’était plus seulement une raison de fierté juive, un miracle du désert d’orangeraies et de kibboutz prospères, dont la création a été romancée dans Exodus—un roman et un film populaires de la fin des années 50 et du début des années 60. Israël était désormais la patrie de compatriotes juifs qui s’étaient battus seuls pour leur survie et se résignaient à vivre en perpétuel danger »21.

De plus, comme l’a expliqué Norman Finkelstein, « Après la guerre de 1967, l’effort militaire d’Israël pouvait être ouvertement célébré parce que ses armes pointaient dans la bonne direction—contre les ennemis de l’Amérique. Ses prouesses martiales pouvaient même faciliter l’entrée dans les sanctuaires intérieurs de la puissance américaine »22.

La troisième conséquence majeure de la guerre des Six Jours a été une transformation du caractère même d’Israël. George Ball, ancien sous-secrétaire d’État, a écrit dans The Passionate Attachment :

« La leçon ultime de l’attaque du Liberty a eu beaucoup plus d’effet sur la politique en Israël qu’en Amérique. Les dirigeants israéliens ont conclu que rien de ce qu’ils pourraient faire n’offenserait les Américains au point de justifier des représailles. Si les dirigeants américains n’avaient pas le courage de punir Israël pour le meurtre flagrant de citoyens américains, il était clair que leurs amis américains les laisseraient faire à peu près n’importe quoi »23.

C’est ce qui permit aux sionistes les plus durs – ceux que le Premier ministre Moshe Sharett (1954-55) avait accusés d’avoir « élevé le terrorisme au niveau d’un principe sacré »24 – de s’emparer de la direction de l’État juif. Dix ans après 1967, Menahem Begin, ancien commandant de l’Irgoun Zvai Leumi qui avait perpétré en 1946 l’attentat sous faux drapeau de l’hôtel King David, devient premier ministre (1977-1983). Il sera remplacé par Yitzhak Shamir, ancien chef opérationnel du Lehi (alias le Stern Gang) qui avait assassiné le diplomate britannique Lord Moyne et le médiateur de l’ONU Folke Bernadotte, bombardé l’ambassade britannique à Rome et envoyé des lettres piégées à tous les membres du cabinet britannique à Londres25. Après Shamir, la raison sembla triompher avec Yitzhak Rabin, qui serra la main de Yasser Arafat et signa les Accords d’Oslo. Il fut assassiné pour cela, laissant la place à une nouvelle génération d’extrémistes totalement désinhibés : Benjamin Netanyahu, Ehud Barak et Ariel Sharon, les instigateurs des attentats du 11-Septembre.

Avec John Kennedy comme président jusqu’en 1968, éventuellement succédé par son frère Robert jusqu’en 1976, rien de tout cela ne serait arrivé. Il n’y aurait pas eu de guerre des Six Jours et la question palestinienne serait peut-être réglée. L’« attachement passionnel » des États-Unis pour Israël n’aurait pas évolué en soumission au psychopathe des nations. Et la route vers le 11 septembre n’aurait pas été pavée.

Vous retrouverez tous les indices importants de l’implication d’Israël dans l’assassinat de John Kennedy dans mon livre « Qui a maudit les Kennedy ? », et un résumé dans le film réalisé par ERTV « Israël et le double assassinat des frères Kennedy», tous deux disponibles chez KontreKulture.

Source : Reseau International

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