L’Afrique sous l’oeil de Big Brother

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Par François Misser.

L’Afrique ne parvient pas à nourrir tous ses fils. Mais ceux-ci sont de plus en plus surveillés par les Big Brothers au pouvoir, grâce au concours des Chinois, des Israéliens…et des Européens.

À mesure que la pénétration d’internet et des smartphones s’accentue en Afrique, les États y renforcent la surveillance digitale, souvent au détriment de la vie privée et des libertés. En décembre 2020, dans un article publié par l’Africa Centre for Strategic Studies de Washington, le politologue sud-africain Bulelani Jili avertissait que « l’extension de la technologie de la surveillance en Afrique, sans freins ni contrepoids, est en train de remodeler le paysage de la gouvernance tout en activant potentiellement un autre outil de répression ». Déjà, au moins 18 pays du continent ont déployé cette technologie (Afrique du Sud, Algérie, Botswana, Côte-d’Ivoire, Égypte, Éthiopie, Ghana, Guinée Équatoriale, Ghana, Kenya, Malawi, Maroc, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Tanzanie, Togo, Zambie et Zimbabwe).

Pas de régulation pour protéger la vie privée

Le piratage à distance (hacking) permettant d’accéder à des fichiers sur des PC ciblés et de s’emparer des mots de passe pour activer des webcams ou des micros deviennent de plus en plus commun dans l’arsenal des Etats. Sans compter les écoutes téléphoniques, les interceptions de SMS et les géolocalisations d’utilisateurs. Le tout sans guère de débat public, déplore Bulelani Jili, qui épingle l’Éthiopie. L’État y utilise les technologies de la communication pour connecter les districts (woredas) aux ministères mais se distingue aussi par ses fréquentes entorses à la liberté d’internet, imposant des black-out politiquement motivés. Un développement inquiétant car l’Éthiopie, comme la moitié des États africains, n’a pas de législation pour réguler la protection des données et de la vie privée.

En 2014, la Convention de l’Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données personnelles a bien vu le jour. Mais elle n’est pas entrée en vigueur car seulement cinq pays (Namibie, Sénégal, Ghana, Guinée-Conakry et Maurice) l’ont ratifiée, alors qu’un minimum de 15 signatures est nécessaire.

Reconnaissance faciale

En Ouganda, la reconnaissance faciale a été introduite massivement par la compagnie chinoise de télécommunications Huawei, comme dans une quinzaine d’autres pays africains dans le cadre de sa Safe City Initiative déployée dans une quinzaine de pays africains dont le Maroc, le Cameroun, le Kenya, le Mali, la Côte-d’Ivoire et Maurice) , menaçant potentiellement les citoyens d’intrusion dans leur vie privée et du piratage de leurs données, dénonce la chercheuse Karen Allen de l’Institute for Security Studies de Pretoria. L’initiative permet d’interconnecter des caméras vidéo, des systèmes de stockage de données sur le cloud afin d’espionner des plateformes publiques ou privées.

La police de Kampala s’est ainsi dotée en 2019 d’un système de surveillance par caméras de télévision en circuit fermé, facturé 126 millions de dollars par Huawei, sous prétexte de lutter contre la criminalité; l’opposition soupçonne d’autres usages. Non sans raison. Le Wall Street Journal a en effet révélé que les techniciens de Huawei ont aussi aidé les autorités ougandaises à pirater les comptes WhatsApp et Skype du chanteur populaire et candidat de l’opposition à la présidentielle du 14 janvier 2021, Robert Kyagulanyi, plus connu sous son nom de scène, Bobi Wine. Huawei a même invité des agents de la sûreté ougandaise à se rendre en Algérie pour y constater l’efficacité du système déployé là-bas par la firme chinoise pour surveiller les manifestants du mouvement prodémocratie Hirak.

En, Zambie, les techniciens de Huawei ont aidé les barbouzes locales à intercepter les communications de blogueurs opposants, permettant ainsi à la police de les arrêter.

Etats-Unis et Israël

Le rapporteur de l’Onu sur la liberté d’expression, David Kaye, constate toutefois que les compagnies chinoises – dont Huawei, mais aussi ZTE – ne sont pas seules à répandre des systèmes de surveillance en Afrique. Selon le Carnegie Endowment for International Peace, de Washington, les compagnies américaines IBM et Cisco sont aussi présentes sur le continent. Palantir, société créée avec un coup de pouce financier de la CIA, a été choisie pour analyser les données du Programme alimentaire Mondial, a révélé de son côté l’agence de presse onusienne IRIN en 2019.

Israël est un autre fournisseur important. Selon une enquête du Citizen Lab de l’Université de Toronto, la société de télécoms Circles, du jeune CEO Amit Kochavi, célébré comme une star par la presse de l’État hébreu, a vendu du matériel pour espionner les communications des opposants et des défenseurs des droits de l’homme au Botswana, au Nigeria et au Maroc notamment. Il permet de géolocaliser des téléphones n’importe où dans le monde, avec ou sans l’accord des compagnies, et d’espionner des individus sans l’accord d’un juge. Selon la même source, le logiciel Pegasus conçu par NSO Group, qui a fusionné en 2014 avec Circles, a vendu du matériel de détection en Afrique du Sud, au Rwanda, en Côte-d’Ivoire, au Kenya, au Togo, en Ouganda et en Zambie.

Des sociétés européennes aussi

La vieille Europe n’est pas en reste. En 2015, Wikileaks a dévoilé des milliers de documents et d’e-mails de la compagnie italienne Hacking Team, qui a vendu du matériel à l’Érythrée et au Soudan, où on viole les droits de l’homme à tour de bras, mais aussi à l’Éthiopie. En 2015, le gouvernement d’Addis Abeba a acheté du matériel d’écoute à la firme italienne pour surveiller des opposants et des journalistes. Addis a aussi acquis un logiciel invasif dénommé FinSpy auprès de la firme britannique Gamma Group, qui a permis d’utiliser des photos d’opposants comme appâts afin de pirater des comptes et surveiller leur activité digitale.

En 2011, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a porté plainte contre la société française Amesys qui avait vendu en 2007 au régime de Kadhafi des systèmes de surveillance pour espionner des opposants, par la suite arrêtés et torturés. Le magazine catholique Télérama rapporte qu’en 2018 une autre société française, dénommée Ercom, a vendu aux renseignements militaires égyptiens des systèmes de surveillances et un logiciel pour intercepter des SMS et des appels ainsi que pour surveiller internet et localiser des cibles, bien qu’Amnesty International ait signalé des centaines de cas de torture et de disparition dans un pays qui compte 60 000 prisonniers politiques. Ironie de l’histoire, selon Télérama, cette même société Ercom avait développé à l’époque la technologie pour rendre inviolable le Samsung Galaxy d’Emmanuel Macron… Cette dernière transaction fait fi en tout cas des recommandations de l’UE de cesser les ventes de tels équipements à l’Égypte en cas d’indices suggérant qu’ils pourraient servir à perpétrer des violations des droits de l’homme

Contradictions au sein de l’UE

À Bruxelles, on est conscient du problème : le 9 novembre dernier, le Parlement et le Conseil européens se sont entendus pour renforcer la réglementation des exportations de technologies de surveillance.

Mais l’UE elle-même n’est pas exempte de contradictions. Elle finance en effet un programme qui apprend aux États africains à espionner leurs propres citoyens, dénonce l’ONG Privacy International. Cette dernière a obtenu des centaines de documents révélant l’existence de formations controversés de policiers algériens, tunisiens et marocains par le Collège européen de police (CEPOL). En 2019, des experts européens auraient appris à des gendarmes algériens et marocains à utiliser de faux profils pour obtenir des renseignements sur leurs concitoyens, bien que ces techniques contredisent les politiques de l’UE sur la désinformation, accuse l’ONG.

Source : La Libre Afrique

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