La pandémie de la Covid-19 n’a fait qu’amplifier le réflexe anti-démocratique. Deux tiers de la population mondiale vivent sous des régimes autoritaires ou hybrides. Le pire est que l’opinion publique commence à perdre la foi en la liberté

Les faits –

Une centaine de pays doivent participer ce jeudi et vendredi au Sommet de la démocratie convoqué par Joe Biden, le président des Etats-Unis. L’événément qui se déroulera sous forme de visioconférence ne comprendra que deux sessions d’une demi-journée, décalages horaires obligent. Plus que d’aboutir à des décisions qui demanderont au moins un an à être mises en forme, les Américains veulent aboutir à un engagement commun des participants sur le concept de démocratie.

«Le XXIe siècle était présenté d’une manière optimiste comme le siècle de la démocratie. L’avenir apparaissait brillant alors que de nombreux régimes autoritaires et hybrides comme l’Arménie, la Gambie, la Malaisie, le Myanmar et la Tunisie devenaient des démocraties […] Malheureusement, la Covid-19 a exacerbé la tendance d’une augmentation de l’autoritarisme à travers le monde avec de nombreux dérapages dans l’échelle de la démocratie […] Des temps difficiles sont devant nous. La démocratie est en recul et de plus en plus de pays penchent vers l’autoritarisme à un niveau jamais vu depuis 1975 ». Mis en exergue du récent rapport de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (Idea) sur l’état de la démocratie en 2021, le cri d’alarme du Dr S.Y Quraishi, ancien chef de la commission électorale indienne, accompagne un tableau particulièrement inquiétant.

Depuis 2015, vingt pays ont viré vers des régimes autocratiques quand sept seulement se sont convertis à la démocratie. Et encore, figure dans ce lot l’Afghanistan, tombée depuis dans les mains des talibans. 2020 a été la pire année en matière d’autocratisme. La pandémie a favorisé, en effet, l’imposition d’états d’urgence, la propagation de la désinformation et la répression contre les médias indépendants et la liberté d’expression. L’intégrité des élections s’est trouvée de plus en plus contestée, non seulement par Donald Trump aux Etats-Unis, mais aussi au Brésil, au Mexique, au Pérou ou au Myanmar… «Plus d’un quart de la population mondiale vit dans des pays où la démocratie recule. Si on ajoute ceux qui vivent sous des régimes purement et simplement non démocratiques, on arrive à deux tiers de la population mondiale », relève le rapport de l’Idea. Lire aussi En invitant Taïwan à un sommet sur la démocratie, les Etats-Unis testent leurs relations avec la ChineMarqués par la page Trump, les Etats-Unis rejoignent la liste des «démocraties en recul» pour la première foisJean-Pierre Raffarin: «Il y a de moins en moins d’autorité et de respect dans nos démocraties»

Pire, l’opinion publique, elle-même, semble avoir perdu foi en la démocratie ! Selon une enquête d’opinion de Pew Research, dévoilée mardi, 56 % des personnes interrogées dans dix-sept des économies les plus avancées du monde estiment que leur système politique a besoin de changements majeurs, voire d’être complètement réformé. En Italie, en Espagne, aux Etats-Unis, en Corée du sud, en Grèce, en France, en Belgique et au Japon, le taux est égal ou supérieur à 66 %.

Désamour. Les principales causes de ce désamour sont la situation économique, notamment les moindres perspectives offertes aux générations futures ; la gestion de la pandémie qui amène 61% des gens à considérer leur pays comme plus divisé que jamais ; la corruption des hommes politiques qui à en croire les opinions ne concerne pas seulement les Grecs (89 %) ou les Russes (82 %), mais aussi les Américains (67 %), les Français (46 %) ou les Britanniques (45 %). Il y a, enfin, un fort rejet du système judiciaire, générateur d’injustices. Résultat, si 78 % des personnes interrogées apprécient encore la démocratie participative, 66 % ne se montrent pas opposées à la démocratie directe, 49 % ne sont pas défavorables à l’idée d’être gouvernées par des experts, voire par un leader fort (26 %) ou un militaire (24 %)… L’Amérique latine se dit, déjà, prête à un retour des caudillos!

C’est dans ce contexte que Joe Biden dont c’était une promesse de campagne réunit, ces jeudi et vendredi, le premier sommet pour la démocratie auquel il a invité une centaine de pays. « L’objectif est de renforcer nos institutions démocratiques, confronter franchement les défis lancés à la démocratie et évoquer les menaces contre nos valeurs, chez nous et en dehors. Ce forum doit permettre aux dirigeants de sérier les défis, d’identifier les opportunités pour un renouveau démocratique et d’annoncer des engagements, des réformes et des initiatives significatives », expliquait récemment lors d’une tournée en Europe Uzra Zeya, sous-secrétaire américaine à la Sécurité, à la Démocratie et aux Droits de l’homme. « Notre administration aborde cet événement avec beaucoup d’humilité. On sait que notre démocratie est, elle-même, fragile. Certes, il s’agit d’un leadership américain mais tout le monde doit s’y mettre », ajoute une autre source, en assurant, la main sur le cœur, qu’il ne faut pas y voir une coalition contre la Chine et la Russie, non invitées à la réunion, quand, pierre dans le jardin de Moscou et de Pékin, l’Ukraine et Taïwan sont conviées.

La liste des participants n’a pas manqué de faire polémique. La Turquie et la Hongrie n’y figurent pas contrairement à l’Irak ou le Pakistan, guère plus ouverts aux valeurs démocratiques. « Il vaut mieux avoir certains pays sous la tente que dehors ! C’est en tout cas dans l’intérêt stratégique des Etats-Unis de les avoir à leurs côtés. Il faut voir aussi ces invitations comme une incitation aux bonnes pratiques alors que certains de ces pays entrent dans un processus électoral, comme c’est le cas des Philippines », continue notre source, en calmant les attentes quant à des résultats concrets.

Avant que Joe Biden ne réunisse tout le monde, de nouveau, dans un an, des consultations vont être lancées tous azimuts avec la participation de la société civile pour trouver des solutions concrètes. « En attendant, nous inviterons les participants à prendre des engagements concrets autour de trois piliers : la défense contre l’autoritarisme, la lutte contre la corruption et le respect des droits de l’homme sur le plan intérieur comme international », résume Uzra Zeya. L’administration américaine voit le sommet plus comme un exercice de résilience que comme une opération de promotion. Priorité est donnée au renforcement des démocraties existantes…

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