Gilets jaunes, l’échec du Tea party français?

gilets-jaunes-tea-party-trump-1200x728Gilets jaunes à Pont de Beauvoisin, Savoie, novembre 2019. Sipa/ ALLILI mourad. Numéro de reportage : 00932802_000004

Le mouvement des Gilets jaunes souffle sa première bougie. Sera-t-elle la seule ? Le mouvement serait-il usé ? D’aucuns veulent croire que non et préfèrent parler de veille plutôt que d’essoufflement. Une certitude, cette année écoulée n’a pas vu le triomphe d’un Tea Party à la française. Alors que le mouvement français tousse, le modèle américain a su conquérir la présidence et s’implanter au Congrès en sept ans. Des stratégies différentes et un contexte différent pour des idées parfois ressemblantes.


Il y a un an, le mouvement des Gilets jaunes a fait son entrée sur la scène médiatique ; 287 710 personnes ont alors défilé selon le ministère de l’Intérieur, un chiffre brillamment précis et dénoncé comme largement sous-évalué, comme ceux des samedis suivants, et qui est tombé à quelques milliers depuis. Sur Facebook, l’inconnu Éric Drouet avait appelé à une manifestation nationale le 17 novembre. Au printemps, Priscillia Ludosky, tout aussi inconnue, avait publié une pétition en ligne pour demander la baisse du prix des carburants, le thème initial des manifestations. Depuis, le mouvement a manifesté chaque samedi et a obtenu des concessions – dont l’abandon de la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – qui, finalement, l’ont divisé, le pouvoir n’ayant pas répondu à toutes les attentes. À ses débuts, il a émis des revendications parfois similaires à celles du Tea Party, mais n’a pas connu la même trajectoire ni quant à son articulation ni concernant sa stratégie et ses succès.

Le meilleure réponse au mépris

Le 15 mars 2009, le Tea Party entrait officiellement dans l’espace public à l’occasion du Tax Day, la date limite pour rendre les feuilles d’impôts au gouvernement fédéral. Des manifestations eurent lieu dans tout le pays en forme de mise en garde à l’administration Obama. Alors assez confidentiel, le mouvement fut traité avec mépris par les médias ; un présentateur de CNN, Andy Cooper, qualifia les militants de « Tea Baggers », une injure désignant le fait d’avoir ou de mettre un sexe dans une bouche. De nombreuses personnalités reprirent le mot de Cooper, à commencer par le président Obama ou Bill Clinton. Cette opposition des élites renforça les militants, libertariens, républicains ou démocrates, dans leur sentiment d’être méprisés et contribua à la désignation des médias comme des ennemis. En France, face aux Gilets jaunes, le journaliste Jean Quatremer a parlé de « mouvement de beaufs, poujadiste, factieux et rouge brun », ou Christophe Castaner de « séditieux d’ultradroite », nourrissant la rancune d’une population qui manifestait sa colère face au mépris.

Du Tea Party à Trump

Rapidement, le Tea Party se structura. Le premier congrès eut lieu en février 2010 à Nashville. On y définit un programme commun à tous les Tea Parties (moins d’État, moins de taxes, une fiscalité plus juste, plus de droits pour les Etats fédérés et une sécurité nationale forte). La stratégie de conquête passait par la décision de peser sur le Parti républicain lors des primaires de 2011 pour les élections de mi-mandat. Le résultat fut heureux : sur les 80 élus républicains à la Chambre des représentants, 60 avaient été investis par le Tea Party et nombre d’entre eux étaient relativement inconnus. Cinq ans plus tard, Donald Trump remportait les primaires républicaines contre toute attente et la présidence alors qu’il était donné largement battu. En 2017, les trois premiers personnages de l’État, le Président, le Vice-président Mike Pence et le Speaker Paul Ryan étaient proches du Tea Party.

45% de soutien

Après les élections de 2011, 65 % des Américains avaient un regard neutre ou favorable sur le Tea Party tandis que 24 % le jugeaient toujours négativement. Ce chiffre est à comparer à la forte sympathie ressentie par les Français pour les Gilets jaunes qui frôlait un taux de 75 % après l’Acte I du 17 novembre. Cependant, le mouvement des Gilets jaunes a vu sa cote de popularité péricliter et bénéficie actuellement de 45 % d’opinions favorables. Les violences émaillant ses manifestations, une couverture médiatique devenue rapidement négative, les divisions ou des revendications économiques irréalistes ont empêché le mouvement de consolider la sympathie qu’il attirait. De plus, alors que Jean-Luc Mélenchon traitait les Gilets jaunes de « fachos et fâchés » au début, les sympathisants du Rassemblement national (RN) ont fini par se lasser des manifestations qui ne correspondaient plus à leurs attentes, tandis que ceux de la France insoumise, habitués aux luttes sociales, les ont remplacés.

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Fiasco aux européennes

Si les Tea Parties, protéiformes, décentralisés, ont su s’organiser, se font fixés des caps électoraux en investissant le Parti républicain, les Gilets jaunes ont pu se retrouver dans des assemblées à trois reprises entre janvier et juin 2019, mais y ont redit leur opposition à la jonction avec des partis politiques. Aux élections européennes, les deux listes de Gilets jaunes, Évolution citoyenne et Alliance Jaune, font respectivement 0,01% et 0,54%, et aucun parti ayant investi un Gilet jaune ne passe la barre des 5% nécessaire pour avoir au moins un élu, tandis que le RN bénéficie de 44% des voix des Gilets jaunes. S’ils ont obtenu des gains en réponse à leurs demandes, leurs divisions empêchent de parler de succès électoral, quand bien même la liste massivement choisie par eux est arrivé en tête, car ils n’ont pesé sur aucun choix et ne peuvent forcer un parti à se réorienter.

Convoquer l’histoire

Outre la lutte contre la fiscalité, là où les Tea Partiers et les Gilets jaunes se ressemblent, c’est sur une volonté de liberté d’expression que les médias, dans le cas français, ont préféré éluder pour ne mettre en avant que les revendications économiques. En janvier, les Gilets jaunes avaient lancé leur plateforme intitulée « Le Vrai débat » où ils revendiquaient la libre expression, notamment les sujets de société dont l’immigration. Le Tea Party se mobilise, lui, pour le Premier Amendement qui garantit la libre expression. Les deux mouvements convoquent l’Histoire : le drapeau du Tea Party, le Gadsden Flag, est un emblème datant de la Guerre d’Indépendance, tandis que les Gilets jaunes font référence aux jacqueries paysannes contre la fiscalité ou à la Révolution française avec leur « nouveau serment du Jeu de paume » de décembre 2018, comme un besoin d’identité.

La droite a quitté la rue

Si dans leurs structures les deux mouvements diffèrent, leurs natures divergent aussi, surtout depuis que les sympathisants de droite ont quitté la rue : alors que le Tea Party luttait contre l’interventionnisme étatique, les Gilets jaunes réclament davantage d’aides sociales au risque d’alimenter le cercle vicieux intégrant la pression fiscale qu’ils dénoncent. Et, fait notable, la culture juridique importe davantage aux Etats-Unis qu’en France concernant la Constitution dont la Heritage Foundation et divers éditeurs publient des versions explicatives détaillées, ce qui explique la focalisation du Tea Party sur ce texte.

Malgré ces divergences, l’un des grands gagnants de la crise française est américain, celui qui a su cristalliser la colère des Tea Partiers, Donald Trump. Le rejet des taxes officiellement motivées par l’écologie est perçu par le Président américain comme une confirmation de son choix de ne pas suivre les accords de Paris sur le climat.

Source : Causeur

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