Frappe américaine Le général Quassem Soleimani, le maître de guerre

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Le général iranien Quassem Soleimani, en charge des opérations extérieures de la République Islamique et homme-clé du régime, a été tué ce vendredi par des frappes américaines à Bagdad.

3 janvier 2020 _ Alain Rodier _ (ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée. )

La médiatisation d’un général habituellement discret

Depuis le début de l’aide iranienne aux régimes syrien et irakien dans la lutte qu’ils mènent contre les rebelles salafistes-djihadistes (et autres), la propagande iranienne mettait en avant le général Qassem Souleimani. En effet, il avait été photographié et parfois filmé sur tous les points chauds du front syro-irakien. Cela a été le cas en décembre 2017 à Abou Kamal en Syrie à la frontière irakienne, où il était venu soutenir les milices chiites irakiennes et afghanes, ainsi que le Hezbollah libanais très impliqué dans cette bataille où il a subi des pertes sévères. Au Kurdistan irakien, il avait assisté personnellement, le 6 octobre 2017 aux obsèques de Jajal Talabani, le président historique de l’UPK. On comprend dès lors pourquoi ce parti kurde est jugé comme proche de Téhéran. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, était aussi présent pour représenter l’Iran lors de ce dernier hommage rendu à celui qui fut le président irakien de 2005 à 2014 (en réalité, jusqu’en décembre 2012, date où il fut victime d’une grave attaque cérébrale). Le film de fiction « Bodyguard » (Iran, 2016) avec un sosie cinématographique a même été réalisé en s’inspirant de son personnage.

Cette surmédiatisation reste assez étrange pour un homme qui avait placé sa carrière sous le sceau de la discrétion. Or, dans le domaine de la guerre secrète, rien n’est dû au hasard. Le statut de héros national qui lui avait été attribué est vraisemblablement destiné à galvaniser le peuple iranien dans les guerres où Téhéran s’est engagé. Cela participe à la légitimisation de l’intervention de l’Iran contre Daech. Mais cela faisait également de lui l’ennemi numéro un pour les adversaires de Téhéran. Abou Mohamed Al-Adnani, le porte-parole défunt du groupe État islamique lui avait rendu un grand service en déclarant : « Oh Sunnites ! L’alliance entre les Juifs et les Chiites est claire aujourd’hui. Voici l’Iran alliée à l’Amérique se partageant les rôles dans leur guerre contre l’Islam et les Sunnites. (…). Le leader de cette bataille est l’immonde safavide Souleimani : il est leur maître et celui qui reçoit leur bénédiction ». Il était aussi considéré comme le diable en personne par Israël, les États-Unis, les Européens qui suivent bon an mal an et par Riyad qui s’ même essayé au film d’animation de propagande se terminant par le général Souleimani qui se rendait en tremblant de peur. Les Saoudiens ont bien le droit de rêver !

Un parcours remarquable

Né le 11 mars 1957 à Qanat-e Maleh dans le district de Rabor (province de Kerman) au sein d’une modeste famille paysanne, Qassem Souleimani commence une carrière d’ouvrier dans la construction tout en se passionnant pour les activités sportives, dont l’haltérophilie et les arts martiaux.

Lors de la Révolution de 1979, il est l’une des premières recrues du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (Sepâh-e-Pasdârân-e Enqelâb-e eslami, Pasdaran ) qui viennent de naître. Cette force d’élite paramilitaire regroupe les éléments les plus convaincus à la « cause » prônée par l’Ayatollah Rouhollah Khomeini. Il faut dire que les mollahs se méfient de l’armée dont pourtant ils ont fait exécuter tous les cadres qui pouvaient représenter un danger pour le nouveau régime. Souleimani se fait remarquer par son zèle lors de la répression de la première révolte kurde (1979-1982) survenue la province de l’Ouest-Azerbaidjan, à l’extrémité nord-ouest du pays.

Il débute la guerre (1980-1988) déclenchée le 22 septembre par Saddam Hussein à la tête d’une compagnie dont les membres sont issus de sa province natale. Il se fait rapidement remarquer par son courage et son esprit d’initiative, si bien que, malgré son jeune âge, il prend le commandement de la 41e division Tharallah (Sarallah). Il convient de nuancer le terme de « Division », surtout quand il s’agit des Pasdaran. Ces unités ont en réalité la taille d’un gros régiment à celui d’une petite brigade (de 1 500 à 3 000 hommes). Souleimani mène également des missions derrières les lignes ennemies pour le compte de l’« état-major Ramadan », un organisme semi-clandestin chargé à l’époque des opérations spéciales. Il est l’ancêtre de la force Al-Qods, le « Service Action » des Pasdaran. À cette occasion, il rencontre des responsables kurdes irakiens et de l’organisation Badr, tous opposés au régime de Bagdad. Ces contacts lui seront très précieux plus tard.

À l’issue de la guerre, il prend le commandement de sa province natale de Kerman, située au sud-est du pays. Il combat alors énergiquement le trafic de drogues en provenance d’Afghanistan. À noter que si le Hezbollah libanais, créature de Téhéran, en a toujours fait une source de revenus, l’Iran lui ayant demandé de s’autofinancer au maximum pour ne pas trop avoir à lui verser des subsides, le trafic de drogues au pays des mollahs est passible de la peine de mort par pendaison. Et elle est régulièrement appliquée, parfois en public « pour l’exemple ».

Il est officiellement affecté à la force Al-Qods fin 1997, avant d’en prendre le commandement en 1998. Il est vraisemblable qu’il avait rejoint cette unité bien plus tôt, ayant été un habitué des missions clandestines durant la guerre Iran-Irak. En juillet 1999, il fait partie des officiers des Pasdaran qui signent une lettre au président « modéré » Mohammad Khatami lui demandant de mater la révolution étudiante sous peine d’être renversé. Il s’attire alors toute la confiance du Guide suprême, l’Ayatollah Khamenei. Il n’a pas été nécessaire de renouveler cette démarche lors des manifestations de la fin 2017 puisqu’elles se sont éteintes rapidement, les Bassidji (Force de mobilisation de la résistance, Nirou-ye moghavemat-e Basij) encadrés par les Pasdaran ayant organisé d’énormes contre-manifestations pour soutenir le régime. Là aussi, c’est une méthode classique employée par le pouvoir qui organise des « rassemblements populaires spontanés » en jetant les populations dans la rue sous l’impulsion des miliciens.

Lors de l’invasion de l’Irak en 2003 par les États-Unis, puis lors de l’occupation de ce pays, c’est lui qui supervise les opérations chiites anti-américaines. Les services de renseignement américains l’identifient rapidement et, en mai 2007, Washington obtient de l’ONU son inscription sur la liste des personnalités iraniennes visées par des sanctions au titre de la résolution 1747. Les États-Unis, suivis par l’Union Européenne, alourdissent les sanctions à son encontre en 2011, en raison de son soutien à Bachar el-Assad. Pour eux et pour les Israéliens, il est le responsable opérationnel de l’extension de l’influence iranienne au Moyen-Orient.

Le 24 janvier 2011, Qassem Souleimani est nommé major général, le plus haut grade chez les Pasdaran, comme dans l’armée régulière. Dès lors, il prend une part active aux guerres civiles qui se déroulent en Syrie et en Irak. Mais si la propagande iranienne a tendance à mettre en avant la force Al-Qods qu’il commandait – et qui est effectivement à la manœuvre -, elle souligne moins le rôle surtout en Syrie des Bassidji et à partir de 2016, d’éléments de la 65e brigade aéroportée de l’armée régulière (Artesh).

Qassem Souleimani aurait effectué une visite à Moscou en juillet 2015 en contradiction avec la résolution 1747 du Conseil de sécurité de l’ONU citée plus avant. Il aurait expliqué aux Russes la gravité de la situation sur le terrain qui prévalait alors en Syrie. Le régime de Bachar el-Assad était aux abois sur tous les fronts et même son fief de Lattaquié menacé par des mouvements rebelles directement soutenus par l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et les Occidentaux. C’est à ce moment là, que le président Vladimir Poutine décidera d’intervenir militairement, Moscou acceptant de fournir un appui aérien massif mais pas de troupes combattantes au sol en dehors de forces spéciales (Spetsnaz dépendant du GRU, du SVR et du FSB et des éléments de la 431e brigade de reconnaissance navale) aux missions bien définies, les hommes de la 810e brigade d’infanterie navale de la Mer Noire et de la 120e brigade d’artillerie assurant la défense rapprochée de la base Hmeimim et de Tartous. Globalement, la guerre terrestre restait dévolue à l’armée syrienne, aux milices locales et à celles envoyées sur place par Téhéran (milices irakiennes, afghanes et pakistanaises), toutes placées sous l’autorité de Souleimani.

Les obsèques de sa mère en 2013 et surtout de son père en 2017 ont été largement couvertes par la presse iranienne et ont mis en valeur la présence des plus hautes autorités de l’État, ce qui démontre l’estime dans laquelle il était tenu par le régime.

Le principal objet du ressentiment américain

Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, Washington a adopté une attitude très offensive vis-à-vis du régime iranien qualifié de « régime fanatique » et d’« État voyou ». Les États-Unis considèrent notamment que les Iraniens violent l’esprit de l’accord du 14 juillet 2015 dit 5+1 (pays membres du Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne) portant sur l’arrêt du programme nucléaire militaire iranien (connu sous le nom de « Joint Comprehensive Programme of Action », JCPOA ) et ce malgré huit rapports successifs de l’AIEA ( Agence internationale de l’énergie atomique ) affirmant que Téhéran respecte ses engagements. Trump souhaite isoler Téhéran par des mesures politiques et des sanctions plus sévères et forcer les Européens à les suivre dans cette voie.

Par ailleurs, les Américains veulent neutraliser l’« influence déstabilisatrice et contenir son agression » au Moyen-Orient, laquelle était jusqu’alors symbolisée par l’action du major général Souleimani, devenu le « Dark Vador » de l’« Empire du mal », comme le percevaient les néoconservateurs américains. Pour ce faire, Washington soutient de tout son poids la politique belliciste du prince héritier saoudien, Mohamed ben Salmane (MBS).

Et cela va encore plus loin : si l’on en croit Rex Tillerson, le secrétaire d’État américain, qui affirme « travailler dans le but de soutenir ces éléments à l’intérieur de l’Iran qui amèneront une transition pacifique de ce gouvernement ». En clair, Washington avoue soutenir tous les mouvements d’opposition iraniens pour une « transition pacifique ». Leur méthode est bien connue depuis l’éclatement de la Yougoslavie, les « révolutions de couleur » puis les « printemps arabes »: agir via des ONG spécialisées dans les opérations d’influence – aux ordres de Washington et financées pour partie par le contribuable américain – et, quand cela ne suffit pas, déclencher des insurrections passives … et parfois très actives. Il est donc normal de se poser la question sur les manifestations, parfois violentes, qui sont survenues en Iran fin 2017 – début 2018. Est-ce que Washington a joué un rôle ? Selon des observateurs avertis, les moyens d’action des États-Unis en Iran sont aujourd’hui bien trop limités pour soupçonner une quelconque influence directe à l’intérieur. Les Américains, président en tête, se sont contentés de soutenir par leurs déclarations « le peuple qui se révolte contre le régime des mollahs ». Il est même possible que ces déclarations aient eu l’effet inverse de celui recherché tant l’interventionnisme américain est mal vu au sein des populations iraniennes – il est vrai éduquées dans un anti-américanisme primaire -. Comme cela a été dit plus avant, les Bassidji se sont chargés d’organiser et d’encadrer des contre-manifestations qui ont sifflé la fin de la récréation au prix de dizaines de morts. L’affaire était pliée !

À l’évidence, la personnalité emblématique du général Souleimani était mise en avant dans la communication de l’Iran à l’occasion de l’épreuve de force aujourd’hui engagée au Moyen-Orient. Cela dit, il n’était qu’un des atouts de Téhéran, dont les forces militaires sont parfaitement capables de résister à toute attaque de leur territoire. De plus, une offensive directe contre le pays n’aurait pour effet que de ranger les populations derrière le régime. Lors de la « Défense sacrée » de 1980 à 1988 – nom donné par Téhéran à la guerre Iran-Irak -, les Iraniens n’avaient pas reculé d’un pouce devant les forces irakiennes pourtant soutenues logistiquement par les principales puissances planétaires.

Bien sûr, Qassem Souleimani pouvait disparaître à tout moment et ça, les Israéliens par exemple, le savaient puisqu’ils l’avaient inscrits sur leur « Kill List ». Mais il n’est pas irremplaçable et sa mort pourrait même être sa dernière victoire : il se pourrait qu’il devienne rapidement un martyr….

Source : Atlantico

 

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