François Boulo, la robe jaune

Par Charles Delouche, Photo Boby pour «Libération»

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Posé et argumenté, l’avocat de 32 ans est devenu une figure paradoxale et un porte-parole écouté des gilets jaunes.

 

Il a enfilé le gilet jaune par-dessus la robe noire. François Boulo a mis de côté, pour un temps, les plaidoiries et ses dossiers en droit du travail et en droit de la famille. Sa priorité est aujourd’hui de porter la parole des gilets jaunes. Sa légitimité, il l’a gagnée en allant à la rencontre des manifestants lors d’un jogging qui l’a mené sur un rond-point rouennais.

Devant une assiette de raviolis italiens, l’homme de 32 ans à l’allure sage de comptable, lunettes rondes en écaille et écharpe grise nouée autour du cou, revient sur son engagement. Ultraposé, ultracarré, il paraît être l’antithèse du cliché vociférant accolé au gilet jaune. «Lorsque j’ai vu l’ampleur que la mobilisation commençait à prendre, j’ai eu un mélange d’espoir et d’intuition qu’elle ne s’arrêterait pas à la journée du 17 novembre. La taxe sur le carburant n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase

Celui qui a voté Sarkozy en 2007 a entamé la sortie de son «coma politique» il y a quelques années. Dette publique, création monétaire, injustice sociale… il dévore les essais, se plonge dans l’histoire politique française et construit petit à petit sa critique du néolibéralisme. «Je me suis refait tous les débats jusque dans les années 70. C’est absolument génial.» Une réflexion qui doit aboutir sur un livre, entrepris au mois de septembre dernier. «Avant même les gilets jaunes, j’avais prévu de l’appeler « le Réveil citoyen ». Ce n’est pas une blague.»

Le 17 novembre, alors qu’il a réussi à se motiver pour un jogging, il rencontre un groupe de manifestants sur un rond-point. L’alchimie se crée. Quelques jours plus tard, il est invité à prendre la parole à une réunion publique sur le parking d’un centre commercial de Rouen, où il habite. «Ça a été un moment charnière. Il y a eu un silence religieux lorsque j’ai parlé.» Celui qui se qualifie volontiers de CSP + «pas à plaindre» s’attendait à «se prendre une tomate». Il reçoit une salve d’applaudissements. «A la fin de mon discours, ils criaient tous « François référent »», commente-t-il dans un grand sourire. Rapidement, Boulo recueille les signatures de 200 soutiens qui le mandatent pour aller défendre le mouvement dans les médias.

Et son galop d’essai télévisé tourne au coup d’éclat. Le 1er janvier, sur le plateau de LCI, gilet jaune sur chemise bleu ciel, il déroule ses arguments contre l’injustice sociale. «Ce que souhaitent les gens, c’est que soient remis en cause tous les dispositifs fiscaux qui sont au bénéfice des 1 % les plus riches. C’est-à-dire l’ISF réformé, la flat tax, l’exit tax et le CICE, captés pour moitié par les plus grandes entreprises. L’ensemble de ces cadeaux fiscaux, c’est 20 milliards en 2018 et 30 milliards en 2019.» Face à Patrick Martin, vice-président du Medef qui évoque un détournement de l’objet initial de la colère des gilets jaunes, le jeune avocat fait mouche. Précis et piquant. «Vous verrez que les dispositifs fiscaux sont expressément mentionnés dans les cahiers de doléances […]. Que vous soyez dans le déni, ça vous regarde.» Sur les réseaux sociaux, le moment fait le buzz et cumule plusieurs dizaines de milliers de vues. Cette notoriété soudaine, il la balaie d’un revers de main : «Je défends mes convictions et une cause qui me dépasse.» Magnanime, il pointe que le succès de la séquence tient autant à ses propos qu’à son contradicteur. «Il incarnait l’objet du ras-le-bol… Le premier passage télé, c’est comme lorsque vous arrivez dans un groupe qui ne vous connaît pas : il ne faut pas rater votre blague car, après, c’est plié !»

Avocat mais aussi finaliste d’un concours d’éloquence en 2014, Boulo a clairement le goût de la parole. En réunion, voix un poil nasillarde mais articulation nickel, le fan de Dire Straits et guitariste électrique à ses heures aime citer Coluche et Tocqueville pour mieux appuyer sa critique des élections, «qui ne sont pas l’alpha et l’oméga de la démocratie». Il puise son inspiration chez l’écrivain François Bégaudeau, «un homme avec des mots d’une précision chirurgicale», ou encore chez l’économiste radical Frédéric Lordon.

Bouleversé lorsqu’il a appris la blessure de Jérôme Rodrigues place de la Bastille, la nouvelle star des gilets jaunes loue la force de caractère de l’homme, avec lequel il a eu un «feeling rapide». Le barbu chapeauté dit en retour de l’avocat «qu’il est énorme et qu’il sera un jour président». Certitude : Boulo est habile, stratège et tout terrain. Dans les médias, le jeune avocat affiche une verve maîtrisée et policée. «A la télé, j’adopte le même ton que j’ai en prétoire par rapport à un dossier. Si je pratique l’ironie sur les plateaux, ce sera perçu comme une attaque personnelle. Ce n’est pas ce que je veux.» Au contraire, lors des conférences des gilets jaunes, il n’hésite pas à manier le sarcasme contre les adeptes des privatisations qui sont aussi les contempteurs du souverainisme qu’il envisage comme «le socle de la démocratie».

L’avocat, qui a prêté serment en 2012, a grandi à Louviers, 18 000 habitants, dans l’Eure. Fils d’un dirigeant d’une petite PME spécialisée dans la vente de clôtures et d’une ancienne commerçante, il aime rappeler les valeurs «gaullistes» dans lesquelles il a grandi. Avec sa sœur aînée, aujourd’hui notaire, il explique avoir été élevé dans «l’idée que lorsqu’on travaille, on doit pouvoir gagner sa vie. Et qu’il n’y a pas de sot métier. J’ai été éduqué dans les valeurs de mérite, de travail, de courage et de justice. Mes parents n’ont pas le bac, donc le mépris de classe n’existe pas chez nous».

Il n’a encore jamais défilé dans la capitale. Le samedi, il manifeste à Rouen. Ses parents sont inquiets. «S urtout par rapport à l’image que ça peut donner de moi. Pour mon travail. Et leurs amis sont comme les miens, tous macronistes.» Il est marié depuis six mois à une architecte, qui ne manifeste pas.

Adepte du foot en salle entre potes, l’avocat supporteur du PSG parle politique jusque dans le vestiaire. Un ami d’enfance, directeur d’une agence bancaire : «Parfois, après le match, je le raccompagne chez lui. Il est capable de rester jusqu’à minuit dans ma voiture à débattre, parce qu’il veut absolument me convaincre. Dans notre milieu social, c’est sûr que François détonne

Mais Boulo a aussi des silences. Sur son vote à la dernière présidentielle, par exemple. En revanche, il affirme, assez fiérot, avoir averti ses proches, pour la plupart acquis au futur élu, dès le soir du second tour de la présidentielle : «Si Macron passe, dans six mois le peuple est dans la rue… Je me suis trompé d’un an.» Jeune impétrant à l’aplomb de vieux briscard, François Boulo est, chez les jaunes, un nouveau venu pas si vert.


1986 Naissance à Evreux (Eure).
2012 Serment d’avocat.
2014 Finaliste du concours d’éloquence du barreau de Rouen
Novembre 2018 Mandaté porte-parole par les gilets jaunes.
5 février 2019 Appel à la grève générale.

Source : Libération

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