Affaire Omar Raddad : « l’ADN désigne une personne déjà interrogée »

Depuis sa sortie d eprison, Omar Raddad attend d’être innocenté.
JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Trente ans après le meurtre violent de Ghislaine Marchal, le condamné puis gracié Omar Raddad attend toujours d’être innocenté. La défense dépose ce jeudi 24 juin une requête en révision, qui s’appuie sur une nouvelle analyse ADN. Selon l’enquêteur privé Roger-Marc Moreau, celle-ci ne laisse guère de place au doute.

Un rebondissement spectaculaire pour l’une des plus énigmatiques affaires criminelles françaises ? Le 24 juin 1991, on retrouve Ghislaine Marchal, 65 ans, tuée dans le sous-sol de sa villa de Mougins (Alpes-Maritimes), la porte barricadée et deux inscriptions en lettres de sang sur les murs : « Omar m’a tuer » et « Omar m’a t ». L’accusation semble désigner son jardinier, un marocain illettré qu’elle a pris sous son aile. Il sera condamné en 1994, avant d’être gracié en 1996 par le président Chirac. Ce jeudi 23 juin, son avocate, Sylvie Noachovitch, dépose un nouveau recours en révision, pour qu’Omar Raddad soit innocenté, en s’appuyant sur une nouvelle analyse ADN. Une révision qu’il attend depuis près de 30 ans.

Roger-Marc Moreau, enquêteur privé, est un compagnon de route de la défense du jardinier marocain depuis 1994. Chargé de mener une contre-enquête par l’avocat d’Omar Raddad, l’illustre Jacques Vergès, au lendemain du procès, il a été de toutes les batailles pour faire réhabiliter Omar Raddad. Il raconte à Marianne pourquoi cette piste de l’ADN pourrait permettre de démasquer le vrai coupable, selon lui, et d’innocenter le jardinier.

Roger-Marc Moreau : En 1994, les enquêteurs sont partis d’un postulat : Omar Raddad est coupable car il est inscrit « Omar m’a tuer » sur les murs de la pièce où l’on a trouvé le corps de Mme Marchal. Ils ont immédiatement considéré qu la victime était l’auteure de l’inscription car la pièce était – soi-disant – fermée de l’intérieur. On ne fera donc aucune recherche sur d’autres personnes. On ne s’est pas demandé si quelqu’un bénéficiait de sa mort. Une personne qui travaillait pour la victime était supposée être présente sur les lieux, elle a dit que Mme Marchal lui avait donné congé, mais rien n’a été vérifié. Les inscriptions sont à la base de l’instruction. Et la culpabilité d’Omar Raddad va être confortée par des experts en écriture saisis par le juge d’instruction, qui expliquent que l’écriture est celle de Mme Marchal, ils se disent sûrs « à 100 % »…

La graphologie n’est pourtant pas connue pour être une science exacte…

Ces conclusions sont très étonnantes, les experts en écriture se prononcent très rarement à 100 %. Les manuels de spécialistes expliquent que pour cela il faudrait que les textes soient très longs, et les écritures comparables : une écriture sur papier avec un stylo comparé à une écriture sur papier avec un stylo. Là, on a comparé des mots croisés sur du papier et des écritures sur un mur, une poignée de mots… Scientifiquement parlant, il n’y a rien de probant. Au procès en 1994, les experts rabaissent leur conviction à 60 % à 70 %. Plus tard, quand je suis chargé de la contre-enquête, tous les autres experts en écriture que je consulte me font part de leur stupéfaction devant cette affaire. Des experts italiens, anglais, français, belges ou suisses vont tous montrer qu’il n’y a aucune certitude. Un collège d’experts ira ensuite dans leur sens au début des années 2000 : on ne peut pas dire que l’écriture est celle de Mme Marchal. Ces inscriptions en lettres de sang avaient été primordiales pour condamner Omar Raddad… « Dans toute l’histoire de la criminologie ce n’est jamais arrivé qu’une victime dénonce son meurtrier avec son sang. »

Pour vous, il n’est pas vraisemblable que Mme Marchal ait inscrit, seule, ces mots ?

Mme Marchal, âgée de 65 ans, était extrêmement blessée. Elle a le foie transpercé de part en part, a reçu 13 coups de couteau, elle souffre d’un œdème cérébral… Après le départ des meurtriers, on explique qu’elle aurait tracé ces inscriptions, dont une dans le noir complet, en lettres géantes, sans oublier l’apostrophe… Aux États-Unis, il y a eu une affaire semblable : les policiers ont conclu que c’était invraisemblable, que dans un tel état, au seuil de la mort, la victime aurait écrit sur le sol et en petit. Dans toute l’histoire de la criminologie ce n’est jamais arrivé qu’une victime dénonce son meurtrier avec son sang.

Qu’est-ce qui motive le premier recours initié par la défense, en 1999 ?

Lorsque l’on dépose la requête en révision, on a trouvé des suspects qui manquent d’alibi, et se sont fabriqué de faux alibis. On a dans nos bagages les analyses graphologiques qui démontent celles des experts du procès, et aussi une demande d’analyse de la substance sur les portes. En 1999, la cour demande un complément d’information. On a demandé l’analyse de la substance rouge, et on l’obtient. En 2000 ça tombe enfin : c’est bien du sang, celui de Mme Marchal. Mais il est mélangé à deux ADN masculins. La justice considère alors que parmi ces deux ADN masculins, au moins un des deux doit correspondre à celui de M. Raddad. Elle s’attend donc à ce que ce qu’il refuse le prélèvement, puisqu’il a été gracié en 1996… Mais Omar Raddad demande qu’on lui prélève tout de suite son ADN. Il vit à Toulon, n’a pas beaucoup d’argent, mais il décide de prendre l’avion pour Paris afin qu’on prélève son ADN au plus vite. Et il ne correspond pas !

On a cherché à trouver à qui ces ADN appartenaient ?

Pas vraiment, on entendra dire que ce n’est pas important, que c’est un ADN de contamination, antérieur ou postérieur à la commission du crime. Jacques Vergès et moi expliquons alors que c’est absurde, le sang de la victime était encore frais, c’est son sang. Si on soupçonne une contamination, il faut discriminer, vérifier que ce n’est pas celui d’un enquêteur. Quand on trouve un ADN sur une scène de crime, on vérifie à qui ça appartient ! Et là, on ne va pas le chercher, et on rejette la requête en révision d’Omar Raddad. Ensuite, on va se battre pendant 20 ans pour obtenir de nouvelles analyses. En 2014, enfin, une commission parlementaire simplifie la procédure pour déposer une requête en révision, il n’y en avait eu qu’une dizaine en 200 ans… Désormais, la défense peut faire des demandes d’acte préalables à la requête en révision.

Vous demandez alors de nouvelles analyses ADN…

La défense d’Omar Raddad sollicite de nouvelles analyses ADN avant le dépôt de requête en révision. En 2014, Eric Bedos, procureur de la République de Nice, reçoit notre demande de procéder à des analyses sur les lettres de sang, on savait que les méthodes les plus modernes permettraient d’avoir un profil génomique complet et une inscription au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), ce qui n’était pas possible avant. Le procureur nous demande de lui faire confiance, étudie le dossier, saisit le grand laboratoire d’Olivier Pascal à Nantes. Ce dernier se déplace en personne, prend les portes, et effectue les prélèvements. « Quand vous êtes un Maghrébin illettré comme Omar Raddad, vous ne pouvez pas vous défendre »

Et les résultats suivent ?

Hélas, non… En 2015, on apprend que le labo a transmis des résultats dignes d’intérêt. Mais Jean-Michel Prêtre a été choisi comme nouveau procureur de Nice et il ne va pas se montrer aussi ouvert que son prédécesseur. Il n’annonce pas les résultats. Je décide donc de publier une lettre ouverte relayée par l’AFP. Jean Michel Prêtre est contraint de reconnaître qu’il est en possession des génomes complets de la scène de crime. Un an après, en 2016, il déclare lui-même à la presse qu’ « un des deux ADN a matché ». On a donc l’identité d’un des deux, un homme condamné pour des faits de violence Mais là encore, il ne se passe rien. En 2018, il déclare que finalement il y a une erreur, que la personne en question n’est pas la bonne. Étrangement, il décide de clôturer définitivement l’affaire. Pour moi il est dans la défense de l’institution. On proteste, on saisit le procureur général qui dit qu’il va faire quelque chose. Mais Jean Michel Prêtre est muté, sanctionné après l’affaire Geneviève Legay, on n’a plus d’interlocuteur et l’affaire tombe à l’eau.

Une expertise réalisée en 2019 permet aujourd’hui à la défense de déposer cette nouvelle requête en révision, comment en est-on arrivé là ?

Un expert nous contacte après nous avoir vus sur LCI, l’avocate d’Omar Raddad, Maître Sylvie Noachovitch et moi-même. Cet expert s’appelle Laurent Breniaux et nous n’avons aucun doute sur sa compétence puisqu’il a été l’associé d’Olivier Pascal qui avait fait les analyses en 2015. L’avocate lui soumet l’intégralité des expertises, dont celles déclarées par le procureur Prêtre comme ne correspondant pas à la bonne personne. L’expert refait l’analyse, et travaille les statistiques. Son bilan ne laisse guère de place au doute : il n’y a pas d’erreur, l’ADN désigne de manière certaine la personne interrogée en 2018. Il y a une chance sur 23 milliards que ce ne soit pas lui…

Quelles autres informations donne son analyse ?

Laurent Breniaux relève que l’on trouve l’ADN entre les jointures des mains, comme si quelqu’un tenait la main de Mme Marchal. Il relève aussi qu’au début du tracé de chaque lettre, il y a une majorité d’ADN de la victime, mais qu’à la fin on trouve l’ADN étranger en plus grande quantité. Selon la conclusion de l’expert, cela prouve que c’est bien une mise en scène. Et il y a là de quoi motiver largement une requête en révision, qu’Omar Raddad et son fils attendent depuis deux ans maintenant.

Selon vous, les origines maghrébines d’Omar Raddad ont-elles joué dans cette affaire ?

Je pense que les inscriptions ont été écrites par le meurtrier qui s’est dit « c’est un arabe, il n’aura pas d’alibi puisque sa présence sur place est connue ». C’était simple de le faire accuser. Et ça a très bien fonctionné, les gendarmes ont circonscrit toute l’enquête sur Omar Raddad. On est dans une région très raciste, quand vous êtes un Maghrébin illettré comme lui, vous ne pouvez pas vous défendre. Le président des Assises a fait le rapprochement entre ses origines et l’idée d’un égorgement, en rapprochant celui de la victime avec l’égorgement rituel d’un mouton. Ce juge était un ancien de l’Algérie française. L’avocat d’Omar Raddad, Jacques Vergès, était aussi celui du FLN, et il a épousé l’égérie du FLN. Tout cela a joué au cours du procès, Jacques Vergès étant obligé de réagir quand le président lâche un « Omar debout » pour que M. Raddad se lève, ce qu’il ne ferait jamais pour un blanc. Il y avait dans l’air un sentiment de racisme qui va toucher beaucoup de gens à l’époque.

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Source : Marianne

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