Enquête – Les consulting boys de la Macronie

Actualité du conseil en stratégie 8 octobre 2019

Ils sont un certain nombre de consultants plutôt seniors à s’être investis dans la campagne d’Emmanuel Macron. Plusieurs raisons l’expliquent.

Au premier chef, la compatibilité idéologique qui existe entre le nouveau mouvement et les profils des consultants. La rupture avec la politique à l’ancienne proposée par En marche a aussi séduit des profils pour qui développer une culture d’entreprise en politique était nouveau et attirant. Enquête sur cette frange du secteur privé qui a convergé autour d’Emmanuel Macron.

Avril 2016, Emmanuel Macron lance son mouvement politique. À peine deux mois plus tard, Guillaume de Montchalin, alors principal et aujourd’hui partner du Boston Consulting Group, propose en juin 2016, à l’équipe naissante d’En marche, qu’Emmanuel Macron participe à l’un de ses « Office Fridays ». L’échange est organisé ponctuellement entre le staff du cabinet et des personnalités marquantes (chercheurs, entrepreneurs, philanthropes, politiques, etc.).

La demande est adressée à Stéphane Charbit proche de la campagne et actuel managing director chez Rothschild. Stéphane Charbit l’appuie ensuite auprès de Cédric O, alors trésorier d’En Marche et aujourd’hui secrétaire d’État au numérique.

Ce n’est pas la seule marque d’intérêt émanant des sociétés de conseil en stratégie. Guillaume Kasbarian, alors manager chez PMP et ancien consultant chez Monitor, se souvient avoir été parmi les « 100 premières personnes à adhérer ». « J’étais derrière Emmanuel Macron dès le premier jour. »

Son parcours – du conseil en stratégie vers la politique puisqu’il est aujourd’hui député La République En Marche (LREM) d’Eure-et-Loir – n’est pas unique. D’autres profils témoignent de la porosité entre le groupe politique et le conseil.

En 2015, Pierre Person, député de Paris, délégué général adjoint d’En Marche – qui n’a pas souhaité répondre à nos questions –, fonde et préside les Jeunes avec Macron. Il est alors consultant spécialiste du secteur public chez CGI et tente d’entrer dans le conseil en stratégie, chez Cylad par exemple. Sans succès. Ce sera finalement la politique et En Marche, où il devient conseiller politique d’Emmanuel Macron.

Les consultants en campagne

Ce ne sont pas des cas isolés, ainsi que le montrent les mails d’En Marche rendus publics par Wikileaks. Lors de la préparation de la campagne présidentielle, plusieurs consultants en stratégie ont a minima montré de l’intérêt pour le candidat Emmanuel Macron. D’autres se sont investis jusque dans le menu détail du développement d’En marche.

Au BCG, encore en juin 2016, Guillaume Charlin, partner lui aussi, aujourd’hui patron du bureau français, compte parmi « les premiers grands soutiens » du mouvement conviés pour un premier point d’étape.

McKinsey tient une place à part. Ils sont quelques-uns au 90 avenue des Champs-Élysées à avoir participé à des événements d’organisation de la campagne (réunion de réflexion, rédaction d’articles), comme Jean-Christophe Pierron, engagement manager chez McKinsey ou Guillaume de Ranieri, partner de McKinsey.

D’autres ont poussé leur engagement un cran plus loin, à l’instar de Karim Tadjeddine, partner en charge du secteur public. Il a par exemple été jusqu’à donner de son temps pour comparer les prestataires possibles pour le développement d’un site Internet pour la campagne, selon les mails rendus publics par Wikileaks.

Bien sûr, il y a aussi MLP (aujourd’hui eXplain), solution de prédiction des tendances électorales développée par Arthur Muller et Guillaume Liegey, tous deux des anciens de McKinsey, et à laquelle En Marche, comme François Hollande auparavant, a eu recours.

Des engagements hétéroclites

Faut-il parler d’engouement ? Si oui, qu’est-ce qui le justifie ? Pour la direction d’En Marche, il n’y a pas d’engouement particulier des consultants. Chiffres à l’appui. Le mouvement explique qu’en divisant quelques dizaines d’anciens du conseil par le total des permanents de la rue Sainte-Anne (120 personnes), les 300 à 500 bénévoles à Paris, les 1 000 bénévoles en province, et un turnover de 20 à 25 %, la filière des anciens du conseil est très ténue. Ce qui ne présume pas des profils plus seniors qui ont pu s’engager de diverses manières dans la campagne.

D’ailleurs, un ancien du mouvement, qui s’exprime anonymement, témoigne bien des engagements de consultants très hétéroclites. « Dans le personnel de la campagne d’En marche, il y avait beaucoup de consultants. Certains étaient embauchés, d’autres non. Certains s’étaient mis en disponibilité de leurs boîtes. »

Raison numéro un de l’effet de séduction opérée par En Marche auprès de ces consultants : « La compatibilité idéologique les a attirés », estime notre source. Candidat pro-entreprises, à la ligne plutôt libérale, ancien de la banque d’affaires Rothschild, Emmanuel Macron revendique une connexion réelle aux contraintes des entreprises et ne peut que séduire une certaine élite du secteur privé. Dont fait partie le conseil en stratégie. 

Puis il y a l’organisation même d’En Marche qui appliquait à la politique les codes de l’entrepreneuriat. « Ce n’était pas un parti traditionnel. C’était un parti agile avec des gens autonomes qui ont dix responsabilités en même temps. »

Dans ce contexte, le profil des consultants faisait merveille. « Il n’y avait pas un secteur d’activité réservé aux consultants. Polyvalents, ils pouvaient intervenir sur un secteur technique, des sujets pointus, la stratégie, l’apport d’idée ou apporter leur capacité de synthèse », analyse notre source.

Enfin, les consultants en stratégie sont des profils historiquement éloignés de tout militantisme politique. Et correspondent bien en cela à la carte d’identité type de l’adhérent d’En Marche.

Sur plus de 8 000 adhérents du mouvement sondés par le think tank Terra Nova en 2017, 80 % sont diplômés du supérieur et 71 % disent venir du secteur privé. Surtout, ils sont dans leur immense majorité totalement novices en politique. Les trois quarts n’ont jamais milité.

Tous partis après la victoire

Pile-poil ce que sont aussi les consultants qui se mobilisent dans la campagne. À une différence près de taille : après la victoire de 2017, ils ont majoritairement repris leurs distances.

« La politique, ce n’est pas la vie des consultants, ils ne s’y accrochent pas comme des barons locaux. S’ils voulaient obtenir quelque chose, c’étaient des boosts de carrière ou des places en cabinet, pas des postes politiques. »

Ils sont d’ailleurs assez peu d’élus issus du conseil. Au côté de Guillaume Kasbarian, Pacôme Rupin, député de Paris, est passé par Deloitte Consulting (de 2007 à 2009) quand Pierre-Alain Raphan, député de l’Essonne, a été manager chez Accenture (de 2007 à 2015). « Il n’y a pas de club d’anciens consultants », nuance Guillaume Kasbarian.

En revanche, certains, à l’issue de la campagne, ont réussi à obtenir la place à laquelle ils espéraient peut-être avant de s’engager auprès d’En Marche. Mathieu Maucort, ancien chef de projet chez McKinsey, est sans doute l’exemple le plus significatif de ce mouvement. Il fut responsable argumentaire et riposte en 2017 chez En Marche avant de devenir le directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi au secrétariat d’État au numérique, fonction qu’il occupe encore.

Le mouvement entre En Marche et le conseil est aussi à double sens. Certains qui n’étaient pas consultants en stratégie le sont devenus après mai 2017. Preuve supplémentaire de la compatibilité entre les deux univers : l’arrivée, annoncée fin septembre, de l’ancien conseiller d’Emmanuel Macron, Ismaël Emelien, comme consultant en stratégie notamment environnementale chez Bernard Arnault, en est une illustration éclatante.

Un ex-McKinsey pour diriger le parti

Si la filière conseil d’En Marche est probablement moins abondante qu’aux débuts, elle continue d’attirer. Des McKinsey, bien sûr. Ainsi d’Ariane Komorn : la normalienne est passée par McKinsey (de 2014 à 2017). Elle est officiellement responsable du pôle projets d’En Marche depuis mai 2017.

C’est le cas aussi de Guillaume Auffret (HEC 2013, Sciences Po 2012), un ancien d’A.T. Kearney où il a travaillé en 2013 et 2014, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il est conseiller politique chez En Marche depuis mai 2017. 

Enfin, au printemps, la République en Marche a recruté un directeur général adjoint, Paul Midy. Le background entrepreneurial du polytechnicien de 2003 – il a collaboré quatre années avec l’Amazon africain Jumia et a fait un bref passage à la tête de Frichti – aurait séduit Stanislas Guerini, le délégué général de LREM. Reste que son parcours professionnel compte une longue et très significative étape dans le conseil : chez McKinsey, dont il fut associate partner (de 2007 à 2014).

 « On est clairement sur ce type de personnes. Macron, c’est la finance, le conseil et la stratégie. Pas vraiment le Français moyen qui vit dans la Nièvre », raille anonymement un chiraquien du centre droit, un temps proche d’En Marche avant de s’en éloigner.

De là à parler d’une première « consultant mania » en politique avec LREM ? Un certain tropisme tout du moins, sans doute plus fort que dans les partis traditionnels – quoiqu’aucun chiffre ne l’atteste.

Car l’engagement politique des cadres et professions intellectuelles supérieures – majoritairement à droite – ne date pas d’Emmanuel Macron : ils sont surreprésentés en politique, 12 % parmi les conseillers municipaux, 15 % parmi les maires, 32 % parmi les conseillers départementaux et régionaux selon les chiffres de l’Insee. Certains associés parisiens de cabinets de conseil en stratégie ont ou ont eu des mandats locaux.

Certes, mais aucun parti créé par un chef d’entreprise n’a jamais percé dans les suffrages électoraux, rappelle l’historien Michel Offerlé. C’est la grande différence d’En Marche.

Benjamin Polle avec Pierre Sautreuil pour Consultor.fr

Crédit photo : Dvelec Photography. Téléchargée le 17 avril 2017 CC BY-NC-ND 2.0

Source :

Répondre à Michel n°1 Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *