Effacer, même les morts

Régis de Castelnau

Le 24 février 2022, les troupes russes sont rentrées sur le territoire internationalement reconnu de l’Ukraine. C’était matériellement une invasion et ce fut considéré par l’Occident comme une agression. La Russie faisait remonter la guerre au coup d’État organisé, financé et soutenu par les États-Unis en février 2014 à Kiev, coup d’État considéré par elle comme une agression contre ses intérêts vitaux. Toujours est-il qu’il existe aujourd’hui un état de belligérance entre la Russie et l’Ukraine qui a évolué en affrontement entre la Russie et l’OTAN, et s’inscrit aujourd’hui dans un contexte géostratégique de guerre mondiale hybride.

Nécessairement, le conflit débouche sur des analyses, des visions et des prises de parti différentes qui vont s’affronter. La première victime de la guerre étant la vérité, des deux côtés du front se donnent à voir et à entendre des sommets de propagande. Les médias des pays occidentaux étalant à cette occasion l’exemple d’un abandon de l’analyse du réel au profit de mensonges nourris la plupart du temps d’une arrogance occidentaliste et d’une russophobie consternante.

La France n’étant pas partie au conflit militaire sur le terrain, et n’étant donc pas en guerre avec la Russie, les positions respectives devraient pouvoir s’exprimer et se confronter. Malheureusement, notre pays, par l’intermédiaire de ses dirigeants et de sa presse-système, armés de leur improbable morale, s’est signalé comme le pire des instrumentistes de ce triste concert.

Il vient d’ajouter à son agitation belliciste une mesquinerie sordide et pour tout dire déshonorante. La commune de Sainte-Geneviève-des-Bois abrite depuis 1920 un cimetière orthodoxe où des représentants de l’émigration russe fuyant la révolution bolchevique, généraux blancs, artistes philosophes, poètes et écrivains, ont trouvé leur dernier repos.

Parmi les personnes inhumées, il y a de nombreux militaires, des nobles obligés de fuir la Révolution d’Octobre, des descendants des Romanov, l’ancienne famille régnante de Russie, rappelle Le Parisien. On y croise ainsi les noms d’Anne Barbe de Bellegrade (demoiselle d’honneur de la garde impériale), le prince Nikolaï Troubetskï (aristocrate du XIXe siècle, cofondateur du conservatoire de Moscou), la baronne de Meyendorff (dont le portrait esquissé par le peintre Disderi est exposé au Musée d’Orsay et qui a entretenu vers 1870 une correspondance avec le compositeur Franz Liszt) ou encore l’auteur Boris Zaïetsev et Alexeïevitch Bounine, premier prix Nobel de littérature de l’histoire russe, en 1933.

Depuis cette date le cimetière a été préservé, même pendant la période soviétique, et l’État russe prenait en charge le financement de la prolongation des concessions arrivées à échéance. Au motif des sanctions financières imposées à la Russie, la France refuse aujourd’hui que celle-ci continue à les financer, ce qui permettait d’éviter la destruction des tombes. La commune ayant fait savoir que, faute de règlement, celles-ci allaient être récupérées, on imagine que les restes ainsi déterrés finiront dans une décharge publique. Excellente idée, n’est-ce pas, de faire ainsi rendre gorge ainsi aux moujiks en s’attaquant aux morts. « Prends ça Poutine ! »

On imagine ce qui attend probablement les soldats russes tombés et enterrés en France pendant la Première Guerre mondiale, ainsi que ceux de l’Armée rouge pendant la deuxième. Il faut dire que toutes les profanations spectaculaires de monuments aux morts soviétiques en Ukraine et dans les pays baltes (malgré des traités internationaux), n’ont jamais arraché ne serait-ce qu’un froncement de sourcils à nos dirigeants professeurs ès morale.

De leur côté, afin qu’elle repose aux Invalides aux côtés de l’empereur, les Russes ont organisé, avec les honneurs militaires, le retour en France de la dépouille du général Charles Étienne Gudin mort à Smolensk le 22 août 1812, des suites des blessures reçues à la bataille de Valoutina.

Dans le même ordre d’idées, à la mort de Roland de la Poype, héros de l’escadrille Normandie Niemen, fut organisée en octobre 2012 aux Invalides la cérémonie due au Compagnon de la Libération. Ni Le Drian, ministre de la Défense du gouvernement Ayrault, ni aucun autre de ses membres ne daigna se déplacer. Les Russes, quant à eux, envoyèrent un ministre et les chœurs de l’Armée rouge pour interpréter la Marseillaise. C’est qu’ils sont sentimentaux ces moujiks. Comme par exemple quand ils veulent que tous les écoliers russes connaissent l’histoire de Maurice de Seynes, cet autre membre de Normandie Niemen tué dans le crash de son avion avec son mécanicien qu’il avait refusé d’abandonner. Il faut voir, le carré de cette escadrille scrupuleusement entretenu et régulièrement fleuri dans le cimetière de Moscou. D’ailleurs, la Russie continuera également à s’occuper et à entretenir les cimetières napoléoniens et ceux de la Wehrmacht, comme elle l’a toujours fait.

Informée, l’opinion publique russe a commencé à réagir. Cette décision de suspendre la coopération avec la Russie sur le cimetière de Sainte-Geneviève en raison de la guerre en cours en Ukraine, et de refuser les paiements pour l’expiration des concessions a choqué en Russie, et des voix s’élèvent pour que les 5000 dépouilles exilées du cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois soient rapatriées et qu’elles reposent désormais dans leur patrie. Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, a qualifié cette bassesse « d’exemple d’une immoralité inhumaine flagrante ».

On imagine que son ministre, Sergueï Lavrov, répondra comme il le fait désormais quand on lui parle de l’Europe : « il n’y a plus rien à discuter avec ces gens-là ». Difficile, en l’occurrence, de lui donner tout à fait tort.

Source : Vu du Droit

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