Dans l’enfer des maisons de retraite

Alors qu’éclate le scandale Orpea, retour sur les témoignages de Dominique, dont le père a subi des mauvais traitements dans un EHPAD, et de Jérôme, qui travaillait dans une maison de retraite du groupe Orpea. Deux preuves que les faits dénoncés par Victor Castanet ne datent pas d’hier.

Jérôme, quarante-cinq ans, travaille comme aide médico-psychologique dans des maisons de retraites en Île-de-France. Il a décidé de quitter le groupe Orpea au bout d’un an et demi à cause de conditions de travail déteriorées. Dominique, elle, a dû placer son père en maison de retraite dans la région de Marseille, mais après seulement trois mois, les pompiers ont conduit son père aux urgences, tuméfié. Des récits et témoignages sur les conditions de vie et de travail dans des maisons de retraite françaises.

“Ces EHPAD, ce sont des pompes à fric”

En 2015, Dominique choisit pour son père l’une des maisons de retraite des plus chères — trois mille euros par mois —  et des plus luxueuses : on y trouve des chambres individuelles, un grand jardin, et beaucoup de confort, du moins en apparence.

Au fil de ses visites, Dominique constate l’apparition de bleus sur le corps de son père, la “disparition” de certains résidents, et un turn-over important du personnel. Son père semble amaigri, et en détresse psychologique. Un jour, son père est hospitalisé et elle s’aperçoit que les pompiers ne peuvent pas rentrer facilement en cas d’urgence. De plus, elle se rend compte qu’il n’y a pas d’aide-soignant à demeure pendant la nuit, et que les résidents Alzheimer sont livrés à eux-mêmes. Ce soir-là, elle se retrouve à devoir changer son père elle-même.

Après seulement trois mois, les pompiers conduisent de nouveau son père aux urgences. On explique à Dominique que son père a chuté, mais quand elle découvre l’état de son père, complètement tuméfié, elle a un choc : “il ressemblait à un boxeur qui sortait d’un ring”, dit-elle.  Alors qu’elle veut poser une main courante, la police l’encourage à porter plainte. Une enquête médico-légale est alors ouverte. C’est pour Dominique une épreuve terrible de se rendre dans la morgue de la Timone à Marseille. “Ils étaient nombreux, ils m’ont frappé”, répète en boucle son père. Pourtant, le personnel de la maison de retraite soutient que le père de Dominique est “tombé de sa hauteur”, et qui plus est, on réclame à Dominique et son frère un dédommagement financier pour les dégâts matériels occasionnés. C’est l’Institut Médico-Légal, l’IML, qui tranchera.

“J’ai compris que cette maison était un mouroir de luxe. Si je n’avais pas récupéré mon père, il serait mort dans cet EHPAD.” ” Dominique

Malgré ses efforts, Dominique n’obtient pas réparation. Elle, elle ne cherche pas de dédommagement financier, mais que la situation évolue dans ces maisons de retraites, et que le silence soit levé.

“On était toujours dans l’urgence”

Jérôme est régulièrement chargé des malades d’Alzheimer, du fait de sa formation psychologique. Cela n’a pas fait exception dans l’EHPAD Orpea, un des leaders du domaine avec Korian. Quand il prend son poste, il n’a pas moins de seize personnes à soigner quotidiennement. Une charge de travail impossible à assurer sans maltraiter les patients. “On bricole”, avoue-t-il. “On alterne entre douches et petites toilettes”. L’autre problème, ce sont les équipements. Jérôme décrit par exemple le manque d’ergonomie de la douche, avec une chaudière défectueuse : il lui arrive de brûler les résidents, ou au contraire de leur faire subir une douche glaciale. Il se sent coupable en permanence, alors il tente de se rattraper comme il peut, avec des petites attentions qui sont pour lui loin d’être suffisantes.

“J’étais une autre personne. J’étais un bourreau. Je fais honte à mon métier, je ne l’aurais jamais imaginé.Jérôme

Jérôme dénonce le manque d’investissement de la part des maisons de retraites comme Orpéa ou Korian dans les unités Alzheimer, qu’elles ouvrent justement pour gagner plus. Même s’il a décidé de quitter ces structures, il ne peut s’empêcher de penser aux résidents qui continuent à subir ces maltraitances au quotidien.

Depuis son témoignage en 2017, Jérôme est parti dans une petite structure en tant qu’aide-soignant et continue à travailler dans les EHPAD. Il a souhaité bifurquer pour s’occuper des enfants mais s’est rendu compte qu’il préférait finalement travailler auprès des personnes âgées. Aujourd’hui, il est animateur dans une maison de retraite toujours pour un petit groupe et en évitant sciemment les gros groupes comme Korian et Orpea.

BONUS

La mère de Frédéric est en maison de retraite depuis douze ans, dans la région de Marseille. Il y a deux ans, le groupe Orpea a pris la tête de l’établissement et depuis lors, les problèmes se multiplient. Voici son témoignage.

La mère de Frédéric est en maison de retraite depuis douze ans, dans la région de Marseille. Il y a deux ans, le groupe Orpea a pris la tête de l’établissement et depuis lors, les problèmes se multiplient. Voici son témoignage. Écouter 7 min Frédéric et sa mère

Merci à Jérome, Dominique et Frédéric.

Première diffusion : 14/9/2017

Reportage : Pascale Pascariello

Réalisation : Jean-Christophe Francis et Cécile Laffon

Chanson de fin : « No surprises – reprise Radiohead » par Yaron Herman trio

Source : France Culture

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