Circulaire Castaner: «Jamais un juge français n’a si clairement reproché au pouvoir de biaiser les résultats électoraux»

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le Conseil d’État a suspendu la circulaire du ministre de l’Intérieur, accusée de biaiser les résultats des élections municipales. Pour l’avocat de LR, Me Henri de Beauregard, ce jugement est un camouflet.

CHRISTOPHE CASTANER, MINISTRE DE L'INTERIEUR, RENCONTREF.Bouchon/Le Figaro


Henri de Beauregard est avocat au barreau de Paris et agréé auprès la Cour pénale internationale. Il défend notamment Les Républicains.


FIGAROVOX.- Vous avez saisi le Conseil d’État d’une requête contestant la «circulaire Castaner» du 10 décembre dernier. Celle-ci permettait selon vous à la majorité de gonfler artificiellement ses résultats aux prochaines élections municipales?

Henri DE BEAUREGARD.– Cette circulaire avait évidemment un intérêt politique pour la majorité, pour deux raisons. En limitant le nuançage aux candidats des communes de 9 000 habitants et plus, elle effaçait la représentation politique de toutes les petites et moyennes communes dans lesquelles LREM n’est pas ou peu implantée. Dans le même temps, la nuance «LDVC» (liste divers centre) était artificiellement gonflée par un double mécanisme.

D’une part la circulaire ne distinguait pas cette nuance «LDVC» d’une nuance «union du centre» comme elle le faisait pourtant à gauche et à droite (pour lesquelles elle distingue les listes d’union – regroupant LR ou le PS et d’autres partis – des listes divers – regroupant exclusivement d’autres partis): au centre tout était «divers centre». D’autre part la circulaire donnait aux partis de la majorité présidentielle une sorte de pouvoir thaumaturge, par lequel ils pouvaient transformer en «divers centre» tout ce qu’ils touchaient. La circulaire disait ainsi expressément «la nuance LDVC a vocation a être attribuée aux listes qui, sans être investies par LREM, le MODEM, l’UDI seraient néanmoins soutenues par l’un de ces partis». Naturellement, ce pouvoir magique n’était prévu qu’au bénéfice de ces formations.

La circulaire donnait aux partis de la majorité présidentielle une sorte de pouvoir thaumaturge.

Pour quelles raisons le Conseil d’État a-t-il suspendu cette circulaire?

Le juge des référés du Conseil d’État a jugé d’une part qu’il y avait urgence à statuer compte tenu de la proximité des élections municipales, et d’autre part que les moyens d’annulation que nous présentions contre cette circulaire jetaient un doute sérieux sur sa légalité. Pour suspendre le seuil de 9 000, le juge a retenu le moyen selon lequel ce seuil, qui conduisait à effacer l’expression de plus de 40 % du corps électoral procédait d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’objet même de cette circulaire: donner aux citoyens une information aussi complète et fiable que possible. Pour suspendre les modalités d’attribution de la nuance «LDVC», le juge a considéré que la différence de traitement dont bénéficiait les partis de la majorité présidentielle n’avait pas de justification et matérialisait une atteinte au principe d’égalité entre les formations politiques.

Mais dans les petites communes, l’étiquette a moins d’importance, non?

Ce que les débats ont démontré, c’est que si, en 2014, près de 80 % des listes présentées dans les communes de moins de 9 000 habitants ne correspondaient pas un parti politique identifié, près des trois quart d’entre elles avaient pu être nuancées «divers gauche» ou «divers droite». La moitié étaient d’ailleurs des «divers droite». C’est évidemment une donnée importante pour l’information des citoyens mais aussi celles des analystes, des chercheurs, des sociologues, bref de tous ceux qui s’intéressent au «pouls» de notre pays. Mais pour le ministre, ces territoires, majoritairement de droite, sont en fait incolores. C’est une forme de méthode Coué qui tient la droite pour un apolitisme.

Le Conseil d’État a-t-il adressé un reproche exceptionnellement ferme au gouvernement?

Oui. De mémoire de juriste, on n’a jamais vu un juge reprocher aussi clairement à un pouvoir de biaiser les résultats électoraux. C’est un camouflet.

Dans un domaine si sensible, le domaine électoral, qui fait le cœur de nos démocraties, c’est inédit.

Le juge a retenu au mot près plusieurs des griefs que j’avais présenté au nom d’élus LR qui, avec Damien Abad, avaient décidé de le saisir. Et ces mots parlent d’eux-mêmes: «erreur manifeste d’appréciation», «violation de l’objectif d’information des citoyens»… Franchement, dans un domaine si sensible, le domaine électoral, qui fait le cœur de nos démocraties, c’est inédit. Et dans beaucoup de démocraties, cela aurait posé la question de la responsabilité du ministre.

 

Le même Conseil d’État a également été sévère sur le projet de réforme du système de retraites…

En effet, et cela dit probablement quelque chose du mépris que ce gouvernement paraît porter aux procédures, aux institutions, aux oppositions dont l’écoute effective lui aurait toujours permis d’échapper à ces désaveux. Cela étant, sur les retraites, il s’agissait d’un avis donné en formation de conseil: ça n’a pas la dimension «vexante» des décisions contentieuses. Ici, c’est un juge qui a jugé. Et il a été cinglant.

Source : Le Figaro

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *