Cette crise de défiance – Fake news : Quand Emmanuel Macron diagnostique un vrai danger mais propose un remède qui pourrait se révéler pire que le mal

Emmanuel Macron a renoué ce mercredi avec la tradition présidentielle des « voeux à la presse ». Lors de son discours, il a notamment évoqué les prochaines réformes, les municipales de mars 2020 et les violences au sein des récents conflits sociaux.

000_1NQ4VF

Ce que les voeux à la presse nous disent du macronisme

Il y a deux ans, le 3 janvier 2018, nous avions vu apparaître la première fêlure dans la statue du président. Peu de monde y avait pris garde. Mais les journalistes présents aux voeux à la presse il y a deux ans étaient repartis avec une impression de malaise. Le président à qui rien ne semblait résister y avait en effet annoncé ce qui est devenu « la loi contre la manipulation de l’information » en période d’élection, votée le 20 novembre 2018. A première audition, tout semblait naturel, surtout quand on se convainquait de la manipulation des élections occidentales par des puissances étrangères: n’était-il pas naturel de pouvoir contrôler RT ou Sputnik en période d’élection présidentielle? Et puis, soudain, les journalistes présents avaient commencé à se dire qu’une telle loi pourrait censurer leurs médias. Même les plus macronistes des auditeurs présents ce jour-là étaient ressortis avec une impression mitigée.

Deux ans plus tard, la situation a changé du tout au tout. Le président de la République est affaibli dans les sondages. Il vient d’affronter, coup sur coup, la plus grave crise sociale de la Vè République, le mouvement des Gilets Jaunes; puis une grève qui bat, elle aussi des records de durée, concernant la réforme des retraites. Le nouveau président de l’Association de la presse présidentielle, Olivier Bost,  n’a pas mâché ses mots: les inquiétudes qui perdurent concernant les « fake news », les incidents entre policiers et journalistes, les tentatives du pouvoir de mettre en cause la confidentialité des sources. Tout y est passé. Emmanuel Macron y a-t-il répondu?

Nous avions affaire, hier, au visage séducteur du Président. Détendu, capable d’un peu d’humour – lorsqu’il a plaisanté sur son expression malheureuse « Il vous suffit de traverser la rue pour trouver un emploi » -, le président a campé sur ses positions, de manière moins raide que d’habitude mais non moins réelle. A propos des journalistes qui se sont vu confisquer leur matériel lors de manifestations, il a surtout parlé de la violence des manifestants; plutôt que de parler de la loi « fake news », il a évoqué les menaces que font peser les GAFA sur le modèle économique de la presse. Sur les fondamentaux de la liberté de la presse, de la loi de 1881 à la protection des sources, le président a évoqué la nécessité, aujourd’hui, de réguler pour protéger le métier de journaliste.

Tout n’était pas faux dans l’analyse présidentielle, en particulier quand Emmanuel Macron a évoqué la remise en cause profonde, par le numérique, des modèles économiques et des dangers que l’évolution technologique fait peser sur la viabilité des médias, anciens ou nouveaux. Cette question est bien entendu fondamentale et l’on sentait le Président partagé entre la volonté de montrer qu’il avait fait pression sur les partenaires européens pour peser contre les intérêts de Google & Cie et un sentiment d’impuissance. Pourtant, cela fait longtemps que des pistes de travail ont été avancées: les pays européens n’ont jamais travaillé sérieusement sur la question des micro-paiements pour les articles lus; il serait également envisageable de créer des remises fiscales pour les abonnements aux médias. Mais notre président, que d’aucuns s’obstinent à qualifier de « libéral », a apporté encore une fois la preuve, hier qu’il ne dispose pas du bon logiciel pour comprendre et agir sur le monde actuel.

Le passage le plus frappant de la conférence de presse est celui où Emmanuel Macron évoque le danger que représente la possibilité, pour tout un chacun, de devenir journaliste avec son smartphone. Je suis témoin d’un événement, je filme et je mets la vidéo sur les réseaux sociaux. Pour le Président, cela ne fera jamais de moi un journaliste, au sens d’un professionnel de l’information. A partir de là, on a assisté à une construction intellectuelle alambiquée, tendant à prouver que la vocation du journaliste étant la production d’informations vérifiées, le fait que le reporter improvisé qui met une vidéo sur facebook ne soit pas vraiment un journaliste, empêche que les informations qu’ils relaient soient vraies etc….Et l’on était reparti dans l’expression d’une conviction: les réseaux sociaux sont les principaux pourvoyeurs de Fake News !

On donnera juste un exemple pour montrer les limites d’un tel raisonnement: sans les vidéos des missiles frappant l’avion de ligne abattu par les Iraniens au-dessus de leur territoire le 8 janvier 2020, les Etats occidentaux ou l’Iran auraient-ils réagi de la même façon à l’événement? En saurions-nous aujourd’hui autant? Que ferions-nous sans les réseaux sociaux pour savoir ce qui se passe vraiment en Iran, où la propagande officielle, relayée par tous les journalistes anti-Trump du monde occidental, tendait à nous faire croire que la population était unanime à porter le deuil de Suleimani? Les plus gros pourvoyeurs de fake news ne sont-ils pas, historiquement, les Etats? Nos journalistes sont-ils plus menacés par les réseaux sociaux ou par la tendance au conformisme progressiste d’une grande partie de la profession?

Enfin, il est un sujet que le Président n’a pas du tout abordé: la confiance dans les journalistes est à un point bas dans toutes les enquêtes d’opinion. Celle envers les politiques n’est pas beaucoup plus élevée. Sort-on de cette double crise de confiance en confondant journalisme et information et en voulant réserver aux journalistes professionnels un hypothétique monopole de l’information crédible, en vouant au « commentaire » toutes les personnes éprises de vérité actives sur les réseaux sociaux? L’opposition entre information et commentaire est absurde. Le propre du métier de journaliste est précisément d’aider à analyser et interpréter une information qu’il n’est pas seul à pouvoir constituer. Il y a bien, comme l’a rappelé le Président, des enjeux de déontologie et de professionnalisme. Mais il a oublié la seule question importante: en quoi le beau métier de journaliste permet-il de faire émerger l’information la plus qualitative et la mieux vérifier? Cela ne passe ni par l’exclusion des réseaux sociaux ni par la réédition d’une connivence entre journalistes et gouvernants.

Il vous faudra encore beaucoup d’efforts, Monsieur le Président, pour comprendre votre époque et sortir des ambiguïtés du « libéralisme d’Etat » à la française.

Source : Atlantico

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *