Au procès de Jonathann Daval, les derniers mystères d’une affaire hors normes

Jonathann Daval entouré par les parents d’Alexia.
SEBASTIEN BOZON / AFP

Trois ans après le meurtre d’Alexia Daval, le procès de son compagnon, Jonathann Daval, s’ouvre à Vesoul ce lundi 16 novembre pour cinq jours. L’issue d’une affaire hors normes où toutes les zones d’ombre n’ont pas encore été levées.

Une affaire « hors normes au regard des moyens mis en œuvre pour parvenir à la manifestation de la Vérité ». Ce sont les juges d’instruction qui l’écrivent eux-mêmes, avec un V majuscule, dans l’ordonnance qui renvoie Jonathann Daval devant la cour d’assises pour meurtre sur conjoint – un crime passible de la perpétuité. Les magistrats notent aussi le « retentissement médiatique exceptionnel » du dossier et déplorent les multiples violations du secret de l’instruction qui ont « fragilisé les actes en cours, influencé les témoignages et potentiellement nui à l’enquête ».

Une partie du public pense peut-être tout savoir de l’affaire Alexia Daval, survenue en octobre 2017 à Gray (Haute-Saône). Et pourtant, le procès qui s’ouvre ce lundi pour cinq jours à Vesoul devait réserver son lot d’intensité, d’affrontements entre avocats et peut-être de nouvelles révélations.

L’étrange personnalité de Jonathann Daval

Jusqu’ici, le dossier criminel n’a pas manqué de rebondissements. De l’hypothèse d’un crime de rôdeur, lorsque le corps d’Alexia Daval a été retrouvé en tenue de joggeuse et à moitié calciné dans le bois d’Esmoulins, le 30 octobre 2017, jusqu’aux premiers aveux de Jonathann Daval, le 30 janvier 2018. De sa rétractation jusqu’à ses accusations portées contre sa belle-famille, en octobre 2018, avant qu’il n’endosse à nouveau l’entière responsabilité du crime. D’incessants coups de théâtre qui masquent une constance : dès le départ, les gendarmes creusaient la piste de l’époux. Un détail en particulier a guidé les enquêteurs : malgré les nombreux coups administrés au visage de la jeune femme, et révélés par l’autopsie, ses lunettes de vue étaient toujours en place lorsque son corps a été retrouvé. « Ce qui établissait que l’auteur du meurtre les avait replacées après l’avoir frappée, et ne correspondait pas au comportement qu’aurait pu avoir un rôdeur » indiquent les magistrats dans leur ordonnance.

Si le double jeu de Jonathann Daval a beaucoup accentué la médiatisation de l’affaire, c’est bien sa personnalité qui demeure la principale énigme du procès. Le trentenaire s’en tient désormais à sa version – une dispute qui a mal tourné – mais l’autopsie du corps a davantage montré un acharnement, tant dans le nombre de coups donnés que dans les longues minutes de strangulation qui ont causé sa mort.

Amnésies et propos « bizarres »

« Il reste aussi des questions sur la prise de médicaments par Alexia », relève Jean-Hubert Portejoie, qui défend aux côtés de son père Gilles-Jean et de son frère Renaud, la famille Fouillot, c’est-à-dire les parents, la sœur et le beau-frère d’Alexia. Les mois précédant sa mort, la jeune femme se plaignait de « black out » auprès de sa sœur, et sa mère l’avait un jour entendue tenir des propos « bizarres » au téléphone. En mars 2017, elle rapportait à son médecin traitant des « sensations d’absences » avec des « amnésies complètes ». Puis, plus tard, à un praticien spécialiste : des « troubles du langage » et des épisodes d’ « agressivité vis-à-vis de son conjoint ».

Des éléments susceptibles d’accréditer la thèse de Jonathann Daval, imputant à sa compagne des « crises » d’hystérie. Mais qui ont aussi fait émerger un scénario, selon lequel Daval aurait pu droguer son épouse à son insu. Le couple traversait une zone de turbulence. Les analyses ont montré que le sang de l’employée bancaire présentait les traces de trois médicaments, dont un antalgique opiacé désormais interdit à la vente. Mais aucune de ces substances n’a pu être réellement rapprochée des symptomes éprouvés par la jeune femme.

« Toute-puissance »

Autre mystère, selon Jean-Hubert Portejoie, qui semble déterminé à aller au bout des choses : « Des traces de sperme ont été découvertes sur les vêtements et dans le vagin d’Alexia. On peut s’interroger sur un acte sexuel post mortem. » Une piste aussi déroutante que fragile et que l’instruction n’a pas creusée. « N’étant pas psychiatre, je ne peux rien faire pour apaiser l’esprit visiblement fertile et agité de mon confrère » réplique l’avocat de Daval, Randall Schwerdorffer.

Les experts psys qui se sont penchés sur la personnalité de son client ont conclu qu’il était « dangereux sur le plan criminologique », il est capable de « constater le décès de son épouse sans le dire, de déplacer le corps et de revenir à une forme de normalité (…). Ce secret cache au final assez mal une propension à la toute-puissance et la dangerosité. »

« Rentrer dans l’intimité du couple »

Randall Schwerdorffer et ses associés auront fort à faire pour étayer sa vision du dossier : « Jonathann Daval, c’est vous, c’est moi, explique-t-il à Marianne. Comme lui, je cultive une idée du bonheur qu’on m’a imprimée. Comme lui avant, j’ai une femme, une maison, je ne fais pas d’histoire. Ça nous ramène à notre propre expérience de vie et à nos problèmes de couples. On ne prend jamais le temps de se connaître soi-même. »

Dans sa volonté de faire de son client un type banal qui aurait pété les plombs, la défense va se heurter à un « véritable frein » : « le port du masque, qui nous prive de l’émotionnel et risque de nous faire passer à côté de la personnalité de Jonathann ».

Même avec les règles sanitaires, les journalistes et le public présents dans la salle ne devraient pas manquer une miette des interventions de Daval. « Il ne s’est exprimé qu’une seule fois à la marche blanche, en hommage à Alexia, avant ses aveux. Et en plus, c’était pour dire une phrase malheureuse, « elle était mon oxygène »… » rappelle Aude Bariéty, journaliste au Figaro qui vient de sortir le premier livre sur le dossier (L’affaire Daval, éditions du Rocher). Surtout, « Me Schwerdorffer va rentrer dans l’intimité du couple et ça peut être très mal vécu par les parties civiles, si ça va trop loin. »

« Féminicide »

Le pénaliste de Besançon est cependant rompu aux polémiques. Quand son client a été placé en garde à vue, sa stratégie de défense lui avait attiré les foudres de féministes, et notamment celle de Marlène Schiappa. Devant les caméras, l’avocat avait alors parlé d’un « accident » et de la « personnalité écrasante » d’Alexia Daval. Celle qui était alors secrétaire d’Etat à l’égalité femme-homme s’était indignée : « Elle a une personnalité écrasante« , et c’est pour cela qu’elle aurait été assassinée, je trouve ça proprement scandaleux (…)  En disant ça, on légitime les féminicides. »

Deux ans plus tard, aucun avocat, ni de la partie civile, ni de la défense, ne reprend ce terme de « féminicide ». « La politique n’a pas à s’immiscer dans le juridique » balaie Jean-Hubert Portejoie. « Un féminicide, c’est tuer une femme parce qu’elle est une femme. L’affaire Daval, ce n’est pas du tout cela, renchérit Randall Schwerdorffer. Je connais d’ailleurs peu d’affaires où l’on tue une femme parce que c’est une femme…»

Dans le code pénal, le terme « féminicide » n’existe pas.

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Source : Marianne

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