Affaire Karki : tous les ingrédients d’un polar tropical

Un juge embastillé nuitamment alors qu’il s’apprêtait à boucler une affaire sensible de trafic de drogue ayant mis en cause des gendarmes et des policiers et, peut-être, provoqué la mort d’une adolescente mahoraise. Des accusations de viol touchant à un magistrat décrié par sa hiérarchie pour ses méthodes de cow-boy mais dépeint comme un redresseur de torts bousculant des habitudes et des népotismes dans l’île hippocampe.

À Mayotte comme à la Réunion, une partie de l’opinion a déjà rendu son verdict. Le juge Karki est bien la victime d’une sombre conspiration visant à le faire tomber parce qu’il dérangeait. Si l’on ajoute au tableau que l’ex petit-ami de la plaignante officiait sur place au SDIG, à savoir les anciens RG, tous les ingrédients indispensables sont réunis pour composer un polar tropical séduisant. Oubliant allègrement qu’une femme a fait la difficile démarche d’aller déposer plainte et de subir auditions et examens médicaux ; que trois juges d’instruction n’ayant jamais travaillé à Mayotte ont estimé qu’il existait des indices graves et concordants pour une mise en examen après les premières investigations de trois policiers ; que le juge Karki lui-même n’évoque pas une pareille machination en affirmant que les rapports sexuels avec la plaignant étaient consentis, ce tribunal populaire et des réseaux sociaux est convaincu que le magistrat est tombé dans un traquenard. Difficile d’en savoir plus mais les commanditaires appartiendraient aux hautes sphères du pouvoir réunies dans un cabinet noir ou dans les catacombes de la République.

Il est vrai aussi que le juge Karki aurait eu l’outrecuidance de soutenir l’ex-procureur de Saint-Denis Philippe Muller lorsque celui-ci s’est retrouvé convoqué à un entretien disciplinaire devant le procureur général de la Réunion. Bref, selon les tenants de cette thèse du complot, il s’agissait de régler le sort de ces deux trublions aimant se pâmer du costume chevalier blanc. Même si le télescopage des deux cas peut être propice aux idées de coups tordus, il est toutefois difficile d’imaginer un tel lien. Blâmé par sa hiérarchie pour son manque de travail, l’ex-procureur Muller a été contraint de quitter son poste depuis la mi-juin. Et il risque de connaître bien d’autres soucis professionnels avec la publication de sa fameuse lettre sur la ’’justice de métro’’ comme avec l’histoire du corbeau.

Quant à l’affaire Roukia, il serait peut-être temps d’arrêter de croire que ce dossier peut faire vaciller la République. Des scandales, nos institutions en ont vu d’autres. C’est un fait : des gendarmes et des policiers regroupés au sein du GIR ont commis une bavure de taille en remettant en circulant de la drogue par le biais d’indics. Mais à ce stade des investigations, il n’est pas encore démontré que c’est bien cette drogue qui a coûté la vie à la petite Roukia. Par ailleurs, il est impressionnant de voir à quel point le dealer présumé qui a fourni la drogue à l’adolescente se défausse sur les forces de l’ordre pour atténuer ses propres responsabilités. Certes, un général de gendarmerie a écrit au juge Karki pour lui demander de ne pas entendre des militaires. Son courrier totalement déplacé lui a valu d’être muté. Quant au procureur Faisandier, accusé par le juge Karki de faire pression, il a quitté son poste. Rien n’empêchait donc Hakim Karki, qui pouvait compter sur la vigilance des avocats de la victime, de renvoyer gendarmes et policiers devant un tribunal. Alors, comment oublier que cette affaire traîne en longueur depuis janvier 2011 et que le juge s’est fait taper sur les doigts par la chambre de l’instruction pour des erreurs de procédure contribuant à annuler des mises en examen de gendarmes. Difficile de voir là l’œuvre d’un clan bien placé pour étouffer l’affaire.

Dernier point, la décision de remise en liberté du juge Karki fixe les limites de la théorie du complot. D’autres juges ont contredit leurs collègues en estimant que la détention provisoire du magistrat, présumé innocent, ne s’imposait pas pour les nécessités de l’enquête. Des juges qui appartiennent à la cour d’appel, elle-même suspectée d’être un des repères de l’association de malfaiteurs manœuvrant contre Hakim Karki. Depuis jeudi soir, on assiste à un curieux paradoxe. À l’opposé de ceux qui sont révoltés que l’appareil judiciaire ait réservé un sort particulier au juge d’instruction de Mamoudzou, d’autres dénoncent avec la même force un traitement privilégié dont aurait bénéficié le mis en cause. Les deux camps se perdent en interprétations alors que cette décision résulte avant tout des règles de la procédure pénale dont les subtilités échappent au plus grand nombre.

Une fois encore ce type d’affaire montre à quel point perdure l’idée d’une justice aux ordres, en proie à de perpétuelles manipulations de la part de forces obscures. Mais comment en serait-il autrement dans une démocratie soi-disant moderne dans laquelle un ancien président de la République utilise comme moyen de défense les attaques contre les juges pour les disqualifier. Et agite, devant plus de 8 millions de téléspectateurs, la thèse du complot.

Jérôme Talpin

Source : Clicanoo.re

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