Violences policières : « Nous sommes des gueules cassées par armes de la police »

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Les policiers plaident l’erreur lorsque les tirs de Flashball ou LBD atteignent les visages. – Marion Vacca / Hans Lucas
Rarement un mouvement social aura été réprimé aussi violemment que celui des gilets jaunes. Franck, 20 ans, a été éborgné par un tir de lanceur de balles (LBD). Steven, même âge, a subi deux fractures. Eux, Jim et Marie racontent le jour où ils ont été blessés par la police.

Franck a vingt ans. Le 1er décembre 2018, jour de l' »acte 3″ des gilets jaunes, il parlait avec sa mère au téléphone pour la rassurer alors que les manifestants étaient nassés autour de la place de l’Étoile, à Paris, lorsqu’il a été touché au visage par un projectile tiré par un LBD 40 (lanceur de balles de calibre 40 mm), la nouvelle arme à la mode pour le maintien de l’ordre. « On voulait marcher symboliquement mais les lacrymogènes tombaient en pluie. On ne pouvait pas fuir, nous étions encerclés », explique-t-il. A terre après avoir été percuté, un CRS lui appose une couverture de survie et s’éloigne. Deux gilets jaunes vont le prendre en charge, appeler sa mère et les pompiers. Franck est l’une des douze personnes éborgnées depuis le mois de novembre, selon le décompte partiel du site Désarmons-les. Quatre personnes ont perdu une main.

Rarement un mouvement social aura été réprimé aussi violemment. Steven, vingt ans également, était à la manifestation parisienne du 8 décembre. Il en est revenu avec une fracture ouverte à la main, une autre au tibia. « On était encerclés. Je m’étais pris la tête avec des casseurs. Au début, j’ai cru que c’était eux. Mais non. J’ai pris une balle de LDB 40 dans le tibia et des coups de matraque sur la main. J’ai perdu connaissance et je me suis réveillé à l’hôpital ». Là, sa porte est gardée par deux policiers qui ne lui adressent pas la parole. Il comprend qu’il est en garde à vue. Comme Franck, il venait de Haute-Marne. A l’hôpital, sa demande de voir un avocat reste sans réponse. Il ne sera jamais interrogé et soudain, les policiers quittent le pas de sa porte. Il ne les reverra pas, pas plus que son téléphone. Il garde un souvenir cuisant : deux mois en fauteuil roulant et 45 jours d’incapacité temporaire de travail (ITT).

Si l’effet recherché par la répression violente qui s’est abattue sur les gilets jaunes était de les épouvanter, le résultat est inverse. Tous les blessés interrogés par Marianne affirment que leur détermination est renforcée.

« Si l’on vise la tête, c’est que l’on a des ordres ! »

Jim venait pour sa part de l’île d’Oléron, avec son épouse, pour participer à la manifestation du 8 décembre à Bordeaux. « On ne connaissait pas la ville. On a essayé de partir par les petites rues mais les policiers en civil bloquaient et nous tiraient dessus. J’ai voulu protéger ma femme, indique-t-il. Après… Je ne me souviens plus de rien ». Il a été victime d’un tir de LBD 40 au visage et a perdu un œil tandis que l’autre a perdu en acuité. « On m’a fait une piqûre d’adrénaline. Je me rends compte que j’ai failli y passer. Je me suis réveillé le dimanche. J’ai 15 fractures au visage et désormais, j’ai une plaque en titane sur le côté droit ». Tout comme Franck, qui a eu le crâne ouvert d’une oreille à l’autre pour passer sa plaque en titane.

« J’ai la rage, explique Jim. Je suis un ancien para. Si l’on vise la tête, c’est que l’on a des ordres ! 220 joules en pleine tête, ce n’est pas anodin. C’est pour faire peur aux autres. Qui radicalise l’autre ? Vous savez, tous les proches des victimes sont très en colère. Il faut changer la politique de maintien de l’ordre ».

Le FLashball et autres LBD en cause

Plusieurs policiers interrogés par Marianne plaident l’erreur lorsque les tirs de LBD atteignent les visages. « Vous savez, en manif, vous faites des tirs réflexe, ça peut très bien atteindre le visage par erreur. Il y a de la fumée partout… Et puis on trimbale les armes dans des sacs, dans des coffres de voiture, les viseurs peuvent être déréglés », explique l’un d’eux. Mais cette théorie ne tient guère. En effet, les LBD 40 sont tous équipés d’un viseur électronique de la société EOTech, réglés et scellés. Selon le fabriquant, il est donc très compliqué de rater sa cible. Selon les tests du bureau de l’armement de la police nationale effectués avec un LDB muni de ce viseur, l’écart constaté en termes de précision à 25 mètres est de 14 centimètres. En outre, au cours des dernières manifestations, nous avons pu constater que les tirs de LBD ne se font pas dans les jambes ou le torse, mais souvent à hauteur de visage ou, au mieux, de plexus.

Le 15 octobre 2014, le Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur exposait les conditions d’utilisation du fameux LBD. Ce dernier « peut constituer, dans le respect des lois et des règlements, une réponse graduée et proportionnée à une situation de danger lorsque l’emploi légitime de la force s’avère nécessaire pour dissuader ou neutraliser une personne violente et/ou dangereuse ». Le ministère précise que l’arme n’est pas létale mais qu’elle peut occasionner des lésions graves à moins de 7 mètres. Il ne doit être utilisé « que pour protéger une valeur supérieure à celle sacrifiée par son usage » ou lors « d’un attroupement mentionné à l’article 431-3 du code pénal, en cas de violences ou voies de fait commises à l’encontre des forces de l’ordre ou si elles ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent ». Par ailleurs, le ministère précise que cette arme ne doit pas être employée pour viser la tête : « Il appartient au porteur de l’arme d’éviter de recourir au tir de « Flash-Ball » quand la personne en cause présente un état de vulnérabilité manifeste (blessure visible, état de grossesse apparent, situation de handicap évidente, âge de la personne visée, etc.). Les zones préférentielles de visée sont le torse et les membres supérieurs et inférieurs. La tête n’est pas visée ». Enfin, le ministère précise que la personne touchée doit rester « sous surveillance constante » des agents de police, ces derniers devant faire appel aux services de secours. En outre, un décompte précis des tirs doit être réalisé et donner lieu à des rapports circonstanciés. Aucun des blessés interrogés par Marianne ne mentionne la présence auprès d’eux de policiers après les tirs.

« Nous sommes une sorte d’association des gueules cassées par armes de la police »

Marie a eu plus de chance. Elle n’a pas été blessée. Mais elle fait partie des nombreuses personnes arrêtées « préventivement », avant même d’avoir vu le début d’une manifestation. « On débarquait du Jura. Nous étions environ 50 dans un bus. A peine sortis, on a été interpellés par la BAC. Nous avons fait 15 heures de garde à vue, nous avons été pris en photo sous toutes les coutures », raconte-t-elle. « Je ne sais pas ce que vous foutez ici », lui aurait dit un officier de police judiciaire au commissariat. « Les femmes étaient entassées dans une cellule de dégrisement. Quand vous n’avez jamais eu affaire à la police, ça fait drôle de se retrouver dans une cellule couverte d’excréments. Je suis asthmatique et cardiaque. Je n’ai pas pu voir de médecin. Mais vous savez, ça renforce la détermination des 50. On ne se connaissait pas et maintenant, on se parle tous les jours ».

« Vous savez, ces blessures laissent des séquelles à vie. Nous sommes une sorte d’association des gueules cassées par armes de la police », explique un membre du collectif Désarmons-les. « Avant 2018, on avait 2 ou 3 personnes mutilées par ans. En 2018, avant les gilets jaunes, on était plutôt autour de 5. Depuis novembre, les chiffres explosent », poursuit-il.

L’usage des LBD est autorisé par le responsable hiérarchique, qui tient ses directives du préfet, qui les tient lui même du ministère, indique un policier. « C’est la plupart du temps oral et nous savons très bien que celui qui sera poursuivi, c’est le policier auteur des tirs, pas l’Etat », conclut-il. Mais comme la plupart des policiers auteurs des tirs sont en civil, sans signe distinctif permettant de les identifier, les procédures ont peu de chances d’aboutir…

Source : Marianne

 

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